Pour contrecarrer l’univers figé puisque cyclique de « Blue Velvet », Lynch s’impose comme toile de fond pour son nouveau long-métrage le road-movie à l’américaine. Le décor est planté : routes cahoteuses de l’ouest, décapotable et rencontres étranges dans de chouettes contrées isolées. Pimenté par un rythme effréné, « Sailor et Lula » cumule les personnages décalés et la perversité camouflée désormais inséparables de la thématique Lynchienne, pour les noyer dans une intrigue policière saccadée, épique, et incroyablement romantique.
Résultat : un parcours en zigs zags diablement contrôlés, inversement aussi bien maîtrisé que ce feu d’artifice d’hallucinations délirantes, de musique folle furieuse, et de performances d’acteurs inoubliables (l’un des meilleurs rôles jamais conçu pour Nicolas Cage). Davantage chargé en émotion que « Blue Velvet », volontairement plus froid, « Sailor et Lula » déploie également un panel impressionnant de références à des genres cinématographiques particuliers et diamétralement opposés (on passe du film de gangster « Scorcesien » au « Magicien d’Oz »). Lynch sait enrichir comme personne son film d’une intensité dramatique visuelle extrême, fascinante et bouleversante.
Certaines séquences arrachent les larmes par leur beauté tragique (l’accident nocturne).
« Sailor et Lula », pour qui est capable d’en supporter les excès, est le film le plus spectaculaire de Lynch, le plus baroque, et le plus foudroyant.
Le jury Cannois ne s’y est pas trompé et accorda au metteur en scène la Palme d’Or 1990 lors du célèbre festival. Cannes, qui, on le sait, apprécie le regard (clairvoyant ?) d’un film américain qui expose son pays d’origine et sa population présentant les symptomes évidents d’une démence caractérisée (« Barton Fink », « Apocalypse Now », « Taxi Driver »).
A noter également lors du final hallucinatoire de « Sailor et Lula », le clin d’œil affectueux de David Lynch à l’actrice Sheryl Lee, alias Laura Palmer dans la série « Twin Peaks », qui incarne la gentille fée venant mettre de l’ordre dans les idées de Sailor et transformant une situation tragique en happy-end surréaliste et coloré.
Romain