« Lost Highway » est un film piège, et ce pour la raison à priori simple que la globalité du film et les idées qu’il évoque possèdent un arrière goût de déjà vu dans les œuvres postérieures de Lynch. Le réalisateur répartit généreusement sa panoplie d’effets, de tics, qui permettent au spectateur de reconnaître dès les premières images la facture Lynchienne. Pour exemple, il suffit de décortiquer la mécanique bien huilée des plans saccadés de Lynch, plans brusquement plongés dans l’obscurité, puis de nouveau baignants dans la lumière crue et blessante et/ou teintée, saturée, plans agités de soubresauts sonores qui soulignent les couleurs dominantes comme les couleurs soulignent les sons. Bref, « Lost Highway » peut s’apparenter au meilleur de David Lynch (the very best of…), une sorte de compilation savante de ses troubles obsessionels de prédilection et de son savoir faire artistique. !
Or ce qu’on pourrait interpréter peut-être comme un handicap (la redite) se décuple avec talent dans un exercice de style génial, une fois encore. Sans trouvailles évidentes, sans apports particuliers par rapport à ses précédents films, Lynch, pour la première fois, « fait » du Lynch, comme on appliquerait une recette à la lettre. En ces termes, « Lost Highway » s’apparente à une œuvre mineure du maître, sauf que, le maître domine son sujet et produit avec ce film une déferlante d’images fortes à souhait, de sons déchirés (et déchirants), une histoire aux pistes multiples et passionnantes, bref, une caricature de lui-même certes, mais qui s’impose avec fracas.
La force du travail visuel de Lynch tient davantage à décrypter les émotions, la psychologie des personnages, ou la situation dramatique par un jeu de symboles, un langage spécifique composés d’une palette de couleurs, de sons, etc.
Reconnaissons aussi à "Lost Highway", et à Lynch dans la quasi-intégralité de ses œuvres, cette qualité particulière et peu courante dans une industrie cinématographique bien trop « balisée » pour éviter de s’y perdre : susciter des questions sans fin chez le spectateur, qui, cherchant en vain à comprendre le « sens », est poussé à adopter une attitude active en salle, au demeurant bien plus intéressante que le positionnement passif provoqué par la majorité des autres films.
Seul regret : l’absence d’électro-choc et d’émotion intense modérée par le manque d’originalité de « Lost Highway ».
Romain