(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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EN : Vous est-il arrivés d’avoir des divergences au sujet d’une coupe ?
MF : Non, je n’en ai pas le souvenir. Il arrive parfois à Claude d’hésiter. À ce moment-là, je tente de le convaincre. Vous vous souvenez quand Depardieu vient pour la première fois rendre visite à la femme de Gamblin ? Dans le premier montage de Bellamy, pour faire ressentir l’univers étriqué et pavillonnaire du couple, Depardieu se garait sur un parking, puis longeait un mur et enfin montait les escaliers du pavillon jusqu’à la porte d’entrée. Comme il fallait réduire le temps du film, j’ai suggéré à Chabrol de retrouver directement le commissaire à la porte d’entrée du pavillon. Ce seul plan est suffisamment explicite pour situer socialement ce couple. De tels changements chamboulent la bande son que je monte en même temps.
EN : François Truffaut disait qu’un film qu’on entend mal est un film qu’on voit mal.
MF : C’est très vrai. J’accorde une très grande importance au son dans un film. Quand il n’est pas au point, le spectateur décroche. Dans une salle de projection, quand le volume est trop fort ou trop faible, l’attention du public est perturbée.
EN : Alain Resnais adore écouter les films sans les voir…
MF : Je comprends tout à fait cela car la bande son raconte une histoire. Cela me rappelle autrefois quand j’écoutais à la radio "Les maîtres du mystère". La qualité du bruitage était fantastique. Un son adéquat développe un imaginaire incroyable !
EN : Combien de temps le montage prend-il avant que le film rencontre sa forme définitive ?
MF : Quatre ou cinq mois pendant lesquels je travaille avec mon fils Olivier et Pauline Flamant, mon assistante qui n’a aucun mystère pour le montage virtuel. Bellamy est le premier film de Claude monté en numérique. J’avoue que j’avais très peur de ce changement car il existe des différences énormes entre ces deux manières d’appréhender le montage d’un film. Par exemple, un vrai raccord en montage manuel n’est pas bon en virtuel. En numérique, il faut qu’il y ait deux images de décalage pour trouver la justesse du plan. Mais le pli se prend vite, surtout lorsque l’on est très bien secondée !
EN : Comment est Chabrol pendant le montage de ses films ?
MF : Il ne vient pas au montage. Nous nous connaissons depuis tant de temps. Il sait que je ne le trahis pas. D’ailleurs, comment le pourrais-je ?... Sa mise en scène est d’une telle précision !
EN : Quand je vous ai demandé de choisir deux ou trois films de Chabrol pour cet entretien, vous m’avez répondu Les Fantômes du chapelier sans l’ombre d’une hésitation.
MF : Le montage s’est merveilleusement bien passé. C’est le tournage de Chabrol que j’ai le plus fréquenté. Une très bonne ambiance régnait sur le plateau. Une séquence m’a demandée un temps fou au montage. Vous vous souvenez de la scène de la partie de cartes dans le café ?... Eh bien, il fallait qu’il y ait une correspondance entre le jeu, le regard de Michel Serreau avec Charles Aznavour et ceux des autres joueurs. Au moment où les cartes tombaient, il y avait aussi une concordance avec le petit journaliste qui regardait tout ce petit monde du fond de la salle. Je dois dire que je suis très fière de ce montage qui montre une grande précision. C‘est un excellent souvenir !
EN : Une anecdote avec Michel Serrault ?
MF : Il y avait un plan avec lui qui me dérangeait. Il marchait ivre dans la rue en vociférant et en titubant. Je trouvais qu’il en faisait des tonnes ! Claude n’était pas du tout d’accord avec moi. Il a insisté pour que je monte le plan. Au bout du compte, c’est lui qui a raison car la folie commence à gagner le personnage… L’œil du Maître !
EN : Plus fort que l’œil du témoin !
MF : Oh que oui ! (rires) La distribution des Fantômes du chapelier est vraiment exceptionnelle : Michel Serreau, Charles Aznavour, Aurore Clément et Monique Chaumette. Tous formidables !
EN : En montant plan après plan, vous êtes aux premières loges pour disséquer le jeu de l’acteur.
MF : L’écoute des comédiens par rapport à leurs partenaires ne peut m’échapper, c’est vrai. La préparation de leur jeu se ressent aussi à l’image. Par exemple, Jacques Gamblin a besoin de se concentrer longuement pour aborder un personnage. Dans Au cœur du mensonge, son personnage boite un peu. Un mois avant le tournage, Gamblin s’est mis à boiter. Il entre littéralement, s’enferme dans son personnage pour l’habiter. Depardieu, lui, c’est tout le contraire. Si le metteur en scène lui demande de pleurer, ses larmes coulent instantanément. Sitôt la prise terminée, il éclate de rire. Ces différences de nature, je les discerne à l’image. Il me semble que Clovis Cornillac se rapproche plus du tempérament instinctif de Gérard Depardieu. C’est un très grand comédien.
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