(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Bonne Maman est un vrai personnage de comédie. Une grand-mère des Vosges ne réagirait pas comme elle…
FR : Mais, oui ! Bonne Maman réagit comme une noire parce que c’en est une. Elle se met à gueuler, puis sourit immédiatement. Lucien est Antillais et il connaît très bien cette façon de réagir différente d’une mère ou d’une grand-mère blanche.
En 2002, François Ozon fait appel à vous pour 8 femmes. Le rôle de Madame Chanel exprime parfaitement la place accessoire du black dans l’imaginaire d’un blanc. Ozon vous fait devenir une extension contemporaine de Mammy (Hattie Mc Daniel), la nounou d’Autant emporte le vent de Victor Flemming (1950) et aussi de Annie Johnson (Juanita Moore) dans Le mirage de la vie de Douglas Sirk (1959). Votre rapport avec Gaby (Catherine Deneuve), avec ses airs à la Lana Turner, est une copie conforme de ce chef-d’oeuvre du mélodrame. L’employée noire face à la maîtresse blanche et blonde…
FR : Oui, Madame Chanel est le prototype de la nounou qui a élevé les enfants d’une famille bourgeoise blanche.
Dans son univers, Ozon la pervertit à souhait cette nounou Chanel…
FRC’est son truc et c’est tant mieux ! J’ai passé des essais avec les comédiennes qui avaient été envisagées pour le rôle de Catherine, la benjamine des filles. J’ai donné la réplique à Emilie Dequenne, Vahina Gociante. Cette dernière a été retenue, mais comme elle est tombée enceinte, c’est Ludivine Sagnier qui a hérité du rôle. Comme quoi, quand les choses sont écrites… Une belle rencontre m’a unie à François parce c’est moi qu’il désirait pour le rôle de Madame Chanel. La seule chose qui m’avait contrariée, c’est qu’il voulait que j’adoucisse mon accent…
On en revient au blanc qui se fait une certaine idée du noir…
FR : Je lui ai envoyé un courrier où je lui ai fait part de mon étonnement. Il me semblait impensable que mon personnage s’exprime avec un accent pointu…
Vous avez raison. Cet accent renforce l’isolement du personnage. Quand, avec cette pointe de créole, vous interprétez la reprise de Pour ne pas vivre seul autrefois chantée par Dalida, c’est tout l’isolement sentimental du personnage, mais aussi sociologique et géographique, qui se révèle au spectateur…
FR : Bien sûr. Ce film demeure pour moi une très belle aventure. J’avais rencontré François lors de la première de Gouttes d’eau sur pierres brûlantes…
Adapté d’une pièce de Rainer Werner Fassbinder …
FR : J’avais trouvé Ludivine Sagnier absolument magnifique dedans. J’aime tellement l’ambiguïté que Ozon insuffle aux personnages de ses films. C’est pourquoi, quand j’ai reçu la proposition de 8 femmes, j’ai dit oui aveuglément avant même de lire le scénario. Je voulais faire partie de son univers. Et ce, quel que soit mon personnage.
Vous tournez 8 femmes quatorze ans après Romuald et Juliette…
FR : Oui. Je me suis dit qu’après le gros succès du Ozon, les choses allaient quand même bouger. Mais les mentalités sont si longues à changer…
Quel souvenir gardez-vous de ce tournage en studio tourné dans un décor quasiment unique - donc dans des conditions de travail proches du théâtre - et avec des partenaires d’exception ?
FR : Et aussi un confort de travail exceptionnel. Chaque actrice possédait sa loge. Nous tournions pas très loin de Paris. Tous les jours, nous nous retrouvions toutes dans cette grande salle pour jouer ensemble. Mais auparavant, les comédiennes répétaient séparément dans leur loge avec François. Ce qui a été si formateur pour moi, c’était de voir comment chacune s’attribuait son personnage. Comment elles se trompaient parfois car les actrices sont aussi des êtres humains avec leur sens du contrôle et leur vulnérabilité… J’ai eu, au fil de mon parcours, la chance de rencontrer ce qu’on appelle des « grands ». Sur Valse d’amour, j’avais joué avec Vittorio Gassman. Vous imaginez ! Eh bien, cet homme ne se faisait jamais doubler pour faire la lumière. Dans le film, il devait donner la réplique à des enfants. Champ ou hors champ, il répétait chaque prise avec la même intensité. Dans le seul but d’apporter de l’imaginaire au jeu des enfants.
Dans 8 femmes, le décor unique fait penser à celui de Dogville de Lars Von Trier. Quel que soit le statut de chacune des comédiennes, vous êtes toutes plongées dans la matière du travail. Il me semble que cet état d’esprit anéantit les clivages de la célébrité…
FR : Je vais vous dire. J’ai toujours remarqué que les plus grands étaient les plus humbles !
Et sept ans plus tard, vous obtenez le premier rôle dans La première étoile…
FR : Oui, une histoire universelle qui fait écho à ma vie et, je crois, à celle de beaucoup de monde. Son succès au Festival international de Comédie de l’Alpe de Suez le prouve (le film a obtenu le Prix du jury et celui du public). Vous savez, La première étoile sort quasiment jour pour jour vingt ans après Romuald et Juliette…
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