(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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A la frontière entre le court et le long métrage, Sébastien Betbeder construit une œuvre singulière et atypique qui place la parole et le texte au centre du récit. Son nouveau long métrage, Deux automnes, trois hivers, mêle ainsi monologues face caméra, voix devenues off et commentaires a posteriori sur l'action, souvent dans une même séquence. Une liberté de ton surprenante et ultra-vitaminée, entre auto-dérision et mélancolie douce amère qui fonctionne à plein régime pour dresser ce portrait sensible et drôle de trentenaires d’aujourd’hui indécis face à la vie.
A l’occasion du Jour le plus court, pour lequel il a accepté d’être l’invité d’honneur d’Ecran Noir, Sébastien Betbeder nous a accordé un long entretien dans lequel il revient sur la genèse du film, réalisé avec peu de moyens mais en toute liberté, et sur son travail d’écriture si spécifique.
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EN : Une des caractéristiques de votre travail, c’est un mode d’écriture très littéraire et un rapport primordial au texte.
SB : Il est assez différent de films en films, mais c’est vrai que les contraintes du scénario, à partir du moment où on les dépasse, où on joue avec, ça devient un objet assez fascinant. Parfois il y a des scènes qui sont écrites et qui ne sont pas dialoguées, c’est assez dur de rendre compte d’une ambiance. Donc dans un scénario comme celui de La vie lointaine, je prenais plaisir à écrire dans une forme absolument littéraire, presque poétique, pour pouvoir rendre compte de certaines ambiances. Ce n’était pas du tout de la simple description, c’était autre chose. Je sais que j’ai besoin de passer par l’écriture, par les mots, pour ensuite avoir des intuitions sur un décor, sur un personnage, au moment de la préparation du film. Toujours dans le scénario de La vie lointaine, j’avais des séquences qui faisaient cinq lignes et je parlais des nuages, de la lumière, parfois même un truc interdit dans un scénario normalement, des émotions du personnage. Ce qu’il ressentait. On a l’habitude de dire qu’un scénario est purement descriptif et j’aime bien pervertir ça, en fait… Les nuits avec Théodore était assez peu écrit, mais c’était des pistes lancées comme ça, presque comme un poème très contemporain, un objet qui ouvre des possibilités et des pistes au tournage. Après, Deux automnes, trois hivers, c’était un objet qui passait essentiellement par la parole. Là pour le coup il n’y avait aucune didascalie, ce n’était que de la parole, c’est sur cette parole que j’ai construit et séquencé le film. Forcément, le dispositif appelait l’objet totalement littéraire.
EN : Finalement, c’était l’inverse…
SB : Oui, c’était l’inverse ! Il y avait des dialogues par moments, mais la grande majorité, c’était des monologues. La deuxième étape du travail d’écriture qui a été très importante, c’était de renoncer à des pans entiers de monologues que je gommais pour faire surgir des scènes dialoguées, des scènes in situ, qui sont les autres scènes, celles qui ne sont pas les visages des comédiens cadrés face à la caméra. C’était un drôle d’objet, Deux automnes, trois hivers, mais c’était le cas pour pas mal d’autre films : je dois passer par beaucoup d’écriture pour pouvoir après en enlever et pouvoir faire advenir des instants de cinéma. Mais je passe souvent par cette étape-là. J’ai bien avancé sur mon prochain long métrage, par exemple, et j’ai voulu reprendre un peu la méthode de Deux automnes, trois hivers. Pas du tout la méthode du monologue car, ça, c’était propre à ce film, je ne pourrai jamais refaire un film comme ça. Ce ne serait pas sincère de refaire un procédé qui est unique pour ce film. Mais ce que m’a appris Deux automnes, trois hivers, c’est que je l’ai écrit sans faire de plan, sans faire de traitement, ce qui est communément le cas. Pour ce nouveau film, j’ai voulu me laisser emporter par les personnages. Au début, je ne les avais pas, je les ai eus au fur et à mesure. J’ai écrit assez vite une première version du scénario, mais en ne sachant jamais où j’allais. En ayant juste une prémonition de cinq ou six séquences, mais c’est tout, pas plus. Je suis arrivé assez vite à une version de 250 pages, et j’ai refait une deuxième, une troisième, une quatrième version. J’avais besoin de ce travail-là, très très long, avec plein de mauvaises directions, plein d’endroits où j’ai dû renoncer à des directions, mais c’était pour moi une manière de travailler que je trouve hyper stimulante. J’ai envie de continuer à écrire des films comme ça.
EN : Certains veulent voir dans Deux automnes, trois hivers une forte influence de la Nouvelle vague.
SB : Franchement, quand je l’ai écrit, je n’ai jamais pensé à ça. Quand je l’ai écrit, s’il y a un auteur de la Nouvelle vague auquel j’ai pu penser, c’était Eustache, pour les monologues, pour le dispositif. Je cite souvent un auteur qui était à côté de la Nouvelle vague, justement, c’est Alain Resnais, qui était plus pour moi une espèce de réconfort, dans le sens où un film c’est aussi une proposition formelle. Je crois que c’est ce qui me passionne le plus dans le cinéma, c’est quand le fond et la forme se rejoignent pour produire de l’émotion. Après, je me suis rendu compte que le film avait presque malgré moi des accointances avec la Nouvelle vague. Je pense que ça vient du fait que ce soit un objet revendiqué comme littéraire aussi. Il n’y a pas vraiment de voix-off dans mon film, ce ne sont pas des voix-off, ce sont des voix qui deviennent off par le montage, comme je disais, au début ce n’était que des visages filmés face caméra. A un moment l’image a disparu et a fait place à d’autres images, donc c’est devenu du off. Ce n’est pas une voix off dans le sens des films de Truffaut qui écrivait des voix-off pour les placer sur des images. Moi ce sont des choses qui font partie de la construction du film, qui sont venues a posteriori, presque. Après, c’est pas quelque chose qui me déplait, qu’on compare à la Nouvelle vague : j’aime beaucoup Rohmer, les premiers films de Truffaut. Voilà, je trouve qu’il y a beaucoup de choses que le cinéma contemporain a un peu perdu. Mais voilà, ce n’est pas le fait de prendre sa caméra et de filmer dans la rue, cette idée de la Nouvelle vague qui est essentielle. C’est plutôt cet aspect très littéraire du cinéma.
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