(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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EN : A leur manière, les personnages de Perrine dans Les chaises musicales et Angélique des Emotifs anonymes sont presque des personnages politiques !
Isabelle Carré : Ah oui (rires) ! Il y a quelqu’un qui m’a demandé cela, qui m’a dit : "vous n’avez pas l’impression que c’est un peu engagé ce que vous faites ?" Oui, dans ce sens-là, franchement, si les spectateurs peuvent sortir de ce film en se disant : "je n’ai peut-être pas une ambition démesurée mais là où je suis, ça me plait, je n’ai pas besoin de courir 25 lièvres à la fois, je n’ai pas besoin de suivre les diktats sociaux qu’on essaye de nous imposer, avec cette réussite inaccessible et qui ne nous correspond pas forcément en fin de compte", déjà si ça peut être un peu libérateur de ce point de vue-là !!! La modestie, la discrétion. Bien sûr c’est ce qui fait du bruit qui est le plus voyant. Bon en même temps, est-ce que c’est ce bruit qui rend le plus heureux ? Je ne suis pas sûre. C’est ce que raconte le film.
EN : C’est quelque chose qui est important pour vous quand vous choisissez un rôle, que ça résonne en vous, et chez les autres ?
IC : Oui, bien sûr. Je veux bien jouer des personnes avec des ambivalences, avec des aspects parfois plus monstrueux, mais j’ai quand même besoin de trouver une humanité. Il y a des rôles que je ne pourrais pas jouer, c’est sûr. Je ne pourrais pas jouer une pédophile. On m’avait proposé à un moment donné de jouer une mère infanticide… Je sais bien que de grandes actrices ont joué merveilleuse Médée, mais… J’en avais beaucoup parlé avec Karin Viard qui me disait "mais si, justement, c’est passionnant, c’est vers là que j’ai envie d’aller. Un truc où je ne peux pas forcément avoir de connexion avec moi-même. Des trucs indéfendables." Elle n’a pas peur du tout de ça. Moi, c’est pas tant que ça me fait peur, mais à un moment donné, c’est trop noir. J’ai été tellement touchée par une phrase de Patrick Dewaere ! C’était bouleversant. Un jour, il avait tué quelqu’un dans un film et il était rentré chez lui complètement bouleversé en disant : "je suis capable de le faire, j’ai vu que je suis capable de le faire". Et de découvrir qu’il avait ça en lui, il était complètement chamboulé. Et j’ai trouvé ça hyper touchant. Il y a une phrase de Marivaux qui dit : "les acteurs, ils font semblant de faire semblant." Je suis assez d’accord avec ça. Il y a un moment où on met de soi-même. Bien sûr, il y a une distance, bien sûr, on est dans l’univers de quelqu’un d’autre, on n’a pas écrit ces mots-là, mais on les fait siens. C’est quand même un peu le principe. C’est un peu le but, que la distance entre soi et le personnage devienne fine comme du papier à cigarettes. Alors, oui, après, quand on rentre chez soi, on tourne la page. En même temps, ce n’est pas si étanche que ça. J’ai envie d’aller vers des choses où je peux me sentir quand même heureuse, pas trop plombée. Même si j’ai fait beaucoup de rôles durs.
EN : Oui, quand on regarde votre filmographie, c’est très partagé !
IC : A un moment, c’était même très rare, les comédies. C’est venu petit à petit. J’avais l’impression que je n’étais pas légitime parce que je ne me trouvais pas particulièrement drôle dans la vie, j’avais pas l’impression d’avoir un humour très évident. Bon, j’en ai, mais j’ai envie de dire : j’ai le mien ! Je ne ferais pas des One-man shows, hein… En plateau, par exemple, quand il faut avoir la petite blague, le sens de la répartie, moi je l’ai, mais dans le taxi en renvenant à la maison ! Donc j’avais l’impression que je n’étais pas tout à fait légitime pour la comédie. Et ça, c’est vraiment grâce à Zabou que ça a changé. Elle m’a proposé de jouer L’hiver sous la table de Roland Topor qui a très bien marché, on sentait les gens tellement heureux dans la salle ! Là, je me suis dit "ah ben si, c’est possible". Mais avant, j’avais l’impression que j’allais plomber un peu tout…
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