(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Après un exil aux Etats-Unis où il réalise trois films bien anglo-saxons (Raisons et sentiments, The Ice Storm et Ride With the Devil), il était presque normal que le taiwanais Ang Lee revienne à ses origines. Avec Crouching Tiger, Hidden Dragon (Tigre et dragon), c'est vers la Chine de son enfance qu'il se tourne. Chorégraphies somptueuses, scènes de combats totalement innovatrices et lyrisme des joutes martiales dans la Chine ancestrale, Ang Lee livre là un grand film à la fois épique et exalté. Un chef d'œuvre, tout simplement. |
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Ecran Noir: D'où vous est venu l'idée de ce film?
Ang Lee: J'ai d'abord découvert le roman -qui est très populaire en Chine- il y près de six ans. Et je crois que c'est la toute dernière scène qui m'a séduite. Mais c'est aussi un vieux rêve qui se réalise, celui de faire un vrai film d'art martial. Pas seulement le rêve d'un enfant ayant été élevé avec les films du genre, mais aussi celui d'un cinéaste voulant utiliser le drame comme un des points forts du scénario. Et quand je suis tombé sur le livre, j'ai sauté sur l'occasion. Il y avait un personnage féminin très fort qui pouvait littéralement porter l'histoire sur ses épaules, ce qui est assez rare dans le genre. Cela me permettait d'aborder la société chinoise -une société surtout sous domination masculine, et spécialement dans ce genre de film- sous un angle nouveau. Mais je me suis fait une promesse: je devais revenir à ma culture, à mon peuple, à ma langue maternelle, et faire ce dont j'avais toujours rêvé.
EN : Le fait de retourner en Chine était donc très important pour vous?
AL : Pas nécessairement le fait de faire un film en Chine, mais surtout de faire venir la Chine à moi, de m'en imprégner. Son histoire, sa culture, alors que je n'ai jamais mis les pieds sur le territoire principal. Mais mes parents en sont originaires et j'ai appris beaucoup de chose à travers les films qui se faisaient là-bas. Mais quand j'y suis retourné, tout était différent bien sûr. Ne serait-ce qu'à cause du colonialisme ou du communisme.
EN : Vous êtes-vous senti déçu?
AL : Oui. A la fois en tant que chinois mais aussi en tant que réalisateur cherchant quelque chose qu'il ne pouvait pas trouver. Je ne crois pas que la Chine soit une nation qui sache bien préserver sa culture. Ils sont plus rapide quand il s'agit de démolir (rires).
EN : Après The Wedding Banquet et Eat Drink Man Woman, était-ce important pour vous de partir aux Etats-Unis pour la suite de votre carrière?
AL : Le fait que le cinéma américain soit présent un peu partout dans le monde m'a toujours beaucoup intéressé. Et je pense que suis le genre de personne qui est à son meilleur niveau en faisant des films "mainstream". Et puis on y trouve des gens compétents, du bon matériel, beaucoup plus d'argent, un système de distribution plus efficace... De quoi faire de plus gros films. Mais tout ça ne me suffisait plus, c'est pourquoi je suis retourné à mes racines. Mais le fait de jouer sur ces deux tableaux, de prendre plaisir aux différentes sortes de libertés qu'offrent ces deux options sont des choses bien agréables. D'un autre côté, les ennemis que vous avez à combattre dans l'un ou l'autre de ces tableaux sont bien différents.
EN : Votre dernier film, Ride With the Devil (toujours inédit en France, ndr) était un western. Qu'elle différence fondamentale y a t'il entre ce genre et le film d'art martial?
AL : Le western est plus facile à faire (rires). Beaucoup plus facile. J'avait mis deux semaines pour en comprendre les rouages. Alors qu'après deux mois, sur Crouching Tiger, Hidden Dragon, Chow Yun Fat et moi étions toujours en train d'apprendre. Mais le plus difficile reste les chorégraphies. Le principe des pistolets et des chevaux est facile à comprendre, mais Ride With the Devil a surtout été mon premier avant-goût de séquences d'action. Ca m'a permis de réaliser que les acteurs, ou plutôt les cascadeurs, pouvaient y risquer leur vie et donc d'être confronté, pour la première fois, aux normes de sécurité: les différentes sortes de protections que nécessitaient les séquences pyrotechniques, les charges de cavalerie, ou tout ce qu'on pouvait faire avec des animaux. Mais j'y ai aussi beaucoup appris sur ma manière de filmer. Je ne pouvais pas aborder ces séquences d'action n'importe comment. Il fallait que ma caméra colle aux personnages pour qu'on y lise l'émotion. Sans ça, les spectateurs n'en on que faire de l'action et s'ennuient. Et toutes ces choses m'ont beaucoup aidé pour commencer à apprendre le kung fu. Mais en terme de difficulté, c'est sans comparaison. Spécialement avec les scènes nécessitant des câbles pour les séquences de combat en plein vol. C'était vraiment des choses folles à gérer. Les acteurs devenaient très vite fatigués. En terme de chorégraphie, vous pouvez faire tellement de choses que ma tâche en devenait très compliquée.
EN : De quelle manière avez-vous élaboré ces combats?
AL : Le script ne prévoyait rien de précis à leur propos. On garantissait simplement que ce serait les plus belles scènes qu’on n’ait jamais vues. Et ce n'est qu’à l'étape des répétitions qu'ils se sont réglés très précisément.
Pour moi, les scènes de combats sont avant tout de magnifiques outils cinématographiques permettant de traduire tout une gamme d’émotions: la poésie, le drame… et il serait dommage que l'on y voit qu'une série de combats. C’était une sorte de challenge de les exprimer comme un outil pour la progression dramatique. J'avais l'espoir d'apporter une certaine légitimité au genre.
EN : Yue Woo Ping voulait les garder au sol et non pas dans les airs...
AL : Oui, tonut simplement parce qu'il a l'habitude de le faire de cette manière. Il a tenté de me convaincre que le public occidental ne serait pas du tout sensible aux combats dans les airs. Et puis c'est vrai que rien que la moindre scène nécessitant les câbles nous prenait facilement quatre ou cinq heures, alors que dans cet intervalle, vous pouvez faire tellement de chose au sol. Les mouvements de caméra sont aussi plus compliqués, les possibilités de mouvement des acteurs sont décuplées... C'est pour toutes ces raisons qu'il n'était pas très chaud. Spécialement pour la scène des bambous pour laquelle il ne voulait pas entendre parler. Dans le cinéma de genre Hong Kongais, il est très courant d'organiser des combats au milieu des arbres, mais jamais au sommet! J’avais en tête cette scène qui était devenue un fantasme. Je l’ai conceptualisée, dessinée, mais on ne savait pas si ça marcherait vraiment.
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