Bienvenue à Bataville : quand le bonheur était obligatoire…

Posté par MpM, le 17 novembre 2008, dans Critiques, Films.

blog_bataville1.jpgL’histoire : La cité ouvrière de Bataville créée en 1932 par Tomas Bata (à l’origine de la fameuse marque de chaussures) fut conçue comme une expérience sociale et économique d’un genre nouveau, où chacun vivrait en bonne harmonie sous l’œil bienveillant, voire envahissant, du directeur. A travers un documentaire au ton assez personnel et incisif, François Caillat revient sur l’âge d’or (les années 50-60) de cette utopie patronale.

Ce qu’on en pense : L’"esthétique du faux" revendiquée par le réalisateur François Caillat déroute au premier abord. En guise de Monsieur Loyal factice et fanfaron, un acteur figure hors champ Tomas Bata comme s’il revenait sur les lieux de Bataville, sa cité ouvrière modèle favorite, aujourd’hui fermée. Des cartons annoncent les différents interlocuteurs ("le chef du personnel", "la piqueuse", "le footballeur"…) et l’harmonie locale sert d’interlude entre deux séquences. Le narrateur ne suit pas vraiment de ligne directrice et avance à sa guise, revenant parfois sur ses pas ou au contraire accélérant soudain. Le spectateur, lui, est captif de ce délire verbal souvent outré.

On comprend l’objectif du réalisateur (dénoncer l’utopie paternaliste quasi autoritaire de Bata en utilisant les mêmes procédés intrusifs que lui) mais l’effet final demeure ambivalent. Certes, on est horrifié par le tableau que dressent les différents témoignages, pourtant tous très positifs, de ce microcosme entièrement soumis au bon vouloir "bataïste" (on parlait à l’époque de "bataïsme" pour désigner la culture idéologique maison). Toutefois, le point de vue défendu par le film peut être assez difficile à appréhender tel quel. La forme hagiographique du monologue principal, les souvenirs joyeux des anciens employés, l’impression permanente de farce grotesque… pris au premier degré, tout cela semble signifier le contraire de ce que veut montrer François Caillat !

Ce dernier n’a en effet pas choisi la voie de la facilité, qui aurait consisté à analyser et expliquer le fonctionnement autarcique et manipulateur de Bataville, mais celle, bien plus ambitieuse, d’une démonstration par l’exemple dénuée de tout commentaire (les rares voix dissidentes sont immédiatement interrompues). Cela lui permet à la fois de ne pas être manichéen (à l’époque, une part de ce bonheur "obligatoire" était un bonheur réel et même un progrès social) et de laisser une chance à chaque spectateur d’appréhender la complexité d’un système qui partait d’une bonne intention, mais s’est fourvoyée dans les outils. D’ailleurs, qui sait si en ces temps de crise, le modèle bataïste d’une prise en charge globale des travailleurs (de leurs loisirs à leur vie privée, en passant par l’hygiène de leur maison ou le choix de leur logement), déresponsabilisante mais confortable, n’éveillera pas une certaine nostalgie chez ceux qui pensent comme Bata autrefois que "le personnel, ce qu’il veut, c’est être dirigé"…

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