César 2021: un président, une présentatrice, des révélations et des courts métrages

Posté par vincy, le 18 décembre 2020

Ce sera le 12 mars, soit un peu plus tard que d'habitude. La 46e cérémonie des César, aka celle de la résurrection, consacreront un cinéma français qui aura souffert en 2020, avec près de cinq mois d'absence pour cause de confinement des salles.

Roshdy Zem, César du meilleur acteur en 2020, présidera la soirée, tandis que Marina Foïs, jamais récompensée malgré cinq nominations, présentera la soirée, coécrite par Blanche Gardin et Laurent Lafitte. Cette cérémonie - en présentiel dans un lieu à déterminer - devra surtout effacer l'historique, soit celle de 2020 piégée par les polémiques et les scandales.

En 2020, les César ont opéré un reboot: conseil d'administration, gouvernance, règles (le César du public disparaît)...

En attendant, deux pré-listes ont été déjà communiquées: les révélations pour les César du meilleur espoir et les courts métrages candidats.

Révélations 2021 - les Comédiennes :

Noée Abita dans Slalom
Najla Ben Abdallah dans Un fils
Aïcha Ben Miled dans Un divan à Tunis
Nisrin Erradi dans Adam
India Hair dans Poissonsexe
Liv Henneguier dans Douze mille
Annabelle Lengronne dans Filles de joie
Pauline Parigot dans Frères d'arme
Julia Piaton dans Les choses qu'on dit, les choses qu'on fait
Camille Rutherford dans Felicità
Lauréna Thellier dans K contraire
Anamaria Vartolomei dans Just Kids

Révélations 2021 - les Comédiens :

Abdel Bendaher dans Ibrahim
Lucas Enlander dans Les Apparences
Sandor Funtek dans K contraire
Thomas Guy dans Un vrai bonhomme
Guang Huo dans La Nuit venue
Félix Lefebvre dans Été 85
Nils Othenin-Girard dans Un vrai bonhomme
Jules Porier dans Madre
Bastien Ughetto dans Adieu les cons
Benjamin Voisin dans Été 85
Alexandre Wetter dans Miss
Jean-Pascal Zadi dans Tout simplement noir

Courts métrages :

19
Réalisé par Marina ZIOLKOWSKI
MARS COLONY
Réalisé par Noël FUZELLIER
L'AVENTURE ATOMIQUE
Réalisé par Loïc BARCHÉ
MASSACRE
Réalisé par Maïté SONNET
BAB SEBTA
Réalisé par Randa MAROUFI
MATRIOCHKAS
Réalisé par Bérangère MCNEESE
BALTRINGUE
Réalisé par Josza ANJEMBE
MORTENOL
Réalisé par Julien SILLORAY
BLAKÉ
Réalisé par Vincent FONTANO
OLLA
Réalisé par Ariane LABED
COMMENT FAIRE POUR
Réalisé par Jules FOLLET
QU'IMPORTE SI LES BÊTES MEURENT
Réalisé par Sofia ALAOUI
FELIX IN WONDERLAND
Réalisé par Marie LOSIER
SAPPHIRE CRYSTAL
Réalisé par Virgil VERNIER
HOMESICK
Réalisé par Koya KAMURA
SHAKIRA
Réalisé par Noémie MERLANT
L'IMMEUBLE DES BRAVES
Réalisé par Bojina PANAYOTOVA
THE LOYAL MAN
Réalisé par Lawrence VALIN
INVISÍVEL HERÓI
Réalisé par Cristèle ALVES MEIRA
TSUMA MUSUME HAHA
Réalisé par Alain DELLA NEGRA et Kaori KINOSHITA
JE SERAI PARMI LES AMANDIERS
Réalisé par Marie LE FLOC'H
UN ADIEU
Réalisé par Mathilde PROFIT
JUSQU'À L'OS
Réalisé par Sébastien BETBEDER
YANDERE
Réalisé par Wiliam LABOURY

Court métrage d'animation :

BACH-HÔNG
Réalisé par Elsa DUHAMEL
SORORELLE
Réalisé par Frédéric EVEN et Louise MERCADIER
LE GARDIEN, SA FEMME ET LE CERF
Réalisé par Michaela MIHÁLYI et David ŠTUMPF SWATTED
Réalisé par Ismaël JOFFROY CHANDOUTIS
GENIUS LOCI
Réalisé par Adrien MÉRIGEAU
SYMBIOSIS
Réalisé par Nadja ANDRASEV
L'HEURE DE L'OURS
Réalisé par Agnès PATRON
TÊTARD
Réalisé par Jean-Claude ROZEC
MOUTONS, LOUP ET TASSE DE THÉ...
Réalisé par Marion LACOURT
LA TÊTE DANS LES ORTIES
Réalisé par Paul CABON
L'ODYSSÉE DE CHOUM
Réalisé par Julien BISARO
TRACES
Réalisé par Hugo FRASSETTO et Sophie TAVERT MACIAN

Drunk ennivre les European Film Awards 2020

Posté par vincy, le 13 décembre 2020

Logiquement, le film danois Drunk (Another Round) de Thomas Vinterberg emporte la plupart des trophées principaux aux European Film Awards. C'est la troisième fois que le cinéma danois est récompensé en tant que meilleur film, après deux réalisations de Lars Von Trier il y a vingt ans. Vinterberg, comme Mads Mikkelsen, sont pour la première fois honorés en tant que réalisateur et acteur.

Signalons aussi le prix de la meilleure actrice pour Paula Beer dans Ondine et le prix de la meilleure comédie pour le film français Un triomphe.

Meilleur film européen
Drunk de Thomas Vinterberg (le film est exploité en France depuis le 14 octobre par Haut et Court). Ce film est aussi le candidat du Danemark à l'Oscar du meilleur film étranger.

Meilleure réalisation
Thomas Vinterberg pour Drunk

Meilleure interprétation masculine
Mads Mikkelsen pour Drunk

Meilleure interprétation masculine
Paula Beer pour Ondine de Christian Petzold (le film est sorti en France sous la bannière des Films du Losange le 23 septembre). 

Découverte de l'année - prix FIPRESCI
Carlo Sironi pour Sole

Meilleur scénario
Thomas Vinterberg et Tobias Lindholm pour Drunk

Meilleure comédie
Un triomphe d'Emmanuel Courcol

Meilleur film d'animation
Josep d'Aurel

Meilleur documentaire
L'affaire collective de Alexander Nanau

Prix Eurimages à la coproduction
Luis Urbano

Meilleur court métrage
La nuit tous les chats sont gris de Lasse Linder

Meilleure photo
Matteo Cocco pour Je voulais me cacher

Meilleur montage
Maria Fantastica Valmori pour Once More unto the Breach

Meilleurs décors
Cristina Casali pour The personal History of David Copperfield

Meilleurs costumes
Ursula Patzak pour Je voulais me cacher

Meilleurs maquillages et coiffures
Yolanda Piña, Félix Terrero & Nacho Diaz pour Une vie secrète

Meilleure musique
Dascha Dauenhauer pour Berlin Aklexanderplatz

Meilleur son
Yolande Decarsin pour Petite fille

Meilleurs effets visuels
Iñaki Madariaga pour La Plateforme

C’est parti pour le 2e festival Format court à découvrir en ligne !

Posté par MpM, le 18 novembre 2020

Prévue initialement en avril dernier, puis cette semaine au cinéma des Ursulines, la 2e édition du Festival Format Court (du nom du site consacré au court métrage) aura donc essuyé deux confinements sans que cela entame en rien l'énergie et l'enthousiasme de son équipe organisatrice portée par sa directrice artistique Katia Bayer. Le festival commence ainsi aujourd'hui en ligne, ce qu'il faut voir comme une chance pour tout ceux qui pourront découvrir depuis chez eux sa programmation éclectique.

Au programme en effet, une compétition de 25 courts métrages qui mêle oeuvres très identifiées comme Sapphire Crystal de Virgil Vernier, Genius Loci de Adrien Merigeau, Love he said de Inès Sedan, L’Aventure Atomique de Loïc Barché ou encore Sole Mio de Maxime Roy et films plus confidentiels, parfois auto-produits ou encore en début de carrière. Deux jurys, l'un professionnel et l'autre composé de journalistes, décerneront leurs prix lors de la soirée de clôture qui se tiendra le dimanche 22 novembre, tandis que les internautes pourront voter pour le prix du public.

En parallèle, plusieurs focus sont organisés, notamment sur la nouvelle vague roumaine, le festival de Cannes, les origines du cinéma avec Lobster Films, et les réalisateurs iraniens Ali Asgari et Farnoosh Samadi. Des rencontres avec les différentes équipes sont également proposées tout au long de la semaine, ainsi qu'avec la réalisatrice Maïmouna Doucouré qui a accepté d'être la marraine de cette édition.

Pour suivre le festival, rendez-vous sur le site Format Court ! Les programmes y seront disponibles pendant 24 heures après leur diffusion, en accès libre en France, en Belgique et en Suisse. Les soirées d’ouverture et de clôture ainsi que les rencontres avec les équipes auront lieu sur Zoom. De quoi rappeler qu'aucun virus au monde ne nous empêchera de voir des films et d'échanger, même si cela doit se faire virtuellement.

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2e édition du Festival Format Court
Jusqu'au 22 novembre
Programme sur le site de Format Court

Le 35e festival européen du film court de Brest depuis chez vous

Posté par MpM, le 10 novembre 2020

Situation sanitaire oblige, le 35e festival européen du film court de Brest passe en ligne jusqu'au 15 novembre. Si c'est toujours un crève-coeur de renoncer à une édition physique, avec projections sur grand écran et rencontres autour des oeuvres et de leurs auteur.e.s, on peut malgré tout se réjouir de voir la belle sélection 2020 rendue ainsi accessible à tous !

Pour la découvrir, plusieurs solutions ! Tout d'abord, retrouvez sur Universcine les meilleurs films passés par le Festival ces dernières années, ainsi qu'une sélection du cru 2020. Parmi les films disponibles, on vous recommande chaudement Invisível Herói de Cristèle Alves Meira, La Chanson de Tiphaine Raffier, Le Grand bain de Valérie Leroy ou encore Négative space de Max Porter et Ru Kawahata.

Ensuite, pour découvrir les 38 programmes de la sélection 2020, et notamment les films des 4 compétition (européenne, française, OVNi et Bretagne), rendez-vous sur la plate-forme Film Court. Pour vous aider à faire votre choix parmi l'offre plus que pléthorique, on a repéré quelques films à ne pas manquer.

Dans la compétition européenne, précipitez-vous sur Marée de Manon Coubia dont nous avons déjà eu l'occasion de vous dire le plus grand bien. La réalisatrice, qui renoue pour la troisième fois avec l'univers de la montagne, propose une parabole minimaliste et fulgurante sur la fragilité de l'être humain face aux éléments naturels dont il sous-estime sans cesse la puissance, non pas concrète, mais spirituelle et presque mystique. Une plongée sidérante dans la beauté de ce qui nous échappe, fortement liée aux mystères de la nuit, de la vie et de la mort.

A voir également, Luis de Lorenzo Pallotta, film ténu et minimaliste qui raconte un très court moment, celui où deux frères s'apprêtent à être séparés, probablement pour la première fois. Sans effets spectaculaires, ni contexte surdramatisé, le film s'attache aux corps, aux gestes et aux mouvements de ses protagonistes, filmés dans de lumières douces et chaudes. C'est très abrupt, moins de 8 minutes, et pourtant suffisant pour nous attacher à ce duo fraternel. et nous faire retenir le nom de ce réalisateur à suivre.

Côté compétition française, c'est notamment l'occasion de (re)voir Massacre de Maïté Sonnet, une histoire d'adolescentes qui refusent de quitter leur île natale, dont on a beaucoup parlé en 2019 et Dustin de Naïla Guiguet qui suit le personnage attachant de Dustin, une jeune femme transgenre qui souffre de l'attitude distante de son petit ami (sélectionné à la Semaine de la Critique 2020). Mais le cinéma français brille également dans les autres sections, à commencer par la compétition Bretagne, dans laquelle on retrouve un film qui a déjà pas mal tourné, et à raison, le très mélancolique La Maison (Pas très loin du Donegal) de Claude Le Pape.

Un récit perpétuellement sur le fil, qui raconte comment le personnage principal, interprété avec justesse par Jackie Berroyer, se retrouve inexorablement dépossédé d'une partie de sa vie suite à la mort de l'homme chez qui il vivait. Si Claude Le Pape avait choisi d'en faire une comédie, peut-être cela aurait-il paru appuyé et déjà-vu. Mais toute la réussite du film est de prendre le contre-pied de ce qu'on aurait pu attendre pour osciller sans cesse entre le cocasse presque ridicule (via les longs monologues du personnage qui tente de sauver la situation) et le désespoir feutré qui se dégage de cette maison déjà presque abandonnée, du refus dérisoire de la réalité, et surtout de la présence-absence du défunt dont chacun tente maladroitement de faire le deuil.

Enfin, on aurait envie de conseiller toute la compétition OVNI, qui s'avère de loin la plus passionnante, même si son intitulé la survend quelque peu. Il s'agit en réalité de films à la facture moins classique, qui tentent d'adopter un ton décalé ou expérimentent formellement. Il faut absolument voir Muistatko de Iona Roisin dans lequel un chanteur déchiffre "Muistatko Monrepos", air finlandais très connu, sans parler le Finois. S'ensuit une réflexion sur ce que l'on peut appréhender, ressentir et recevoir d'un texte que l'on ne comprend pas. En parallèle, la réalisatrice interroge la notion même de film, puisqu'aucune image n'apparaît à l'écran, mais juste une succession de phrases sur fond noir.

A voir également, Supereroi senza superpoteri de Beatrice Baldacci, un essai intime qui explore, à travers des images d'archives familiales brouillées, les souvenirs de la réalisatrice sur sa jeunesse, et notamment sur sa relation avec sa mère. L'effet de la VHS qui saute d'une scène à l'autre, quand elle ne les mélange pas, et génère des parasites à l'écran, donne métaphoriquement à voir cette mémoire défaillante, fragile et vacillante, qui veut tout à la fois se souvenir et oublier.

Pour finir, on ne saurait trop vous conseiller de flâner dans le reste de la sélection, qui recèle beaucoup de belles choses, et notamment un panorama du cinéma d'animation, des programmes jeune public et même quelques séances à découvrir gratuitement, comme les courts solidaires. De quoi occuper avec bonheur les longues soirées du confinement.

Lumière 2020: Soul, l’âme et larmes

Posté par vincy, le 15 octobre 2020

C'était avant. Soul, sélectionné par Cannes 2020 (incontestablement, il aurait mérité une place en compétition), devait sortir en juin. Covid oblige, le film a été décalé à la saison des fêtes. Lumière, avec les festivals de Londres et de Rome, s'octroie alors une avant-première, et imagine même le réalisateur Pete Docter en invité d'honneur. C'était avant que la deuxième vague de cette Covid-19, avant que Tenet se plante au box office, avant que les salles de cinéma aux Etats-Unis décident de rester fermées pour un temps encore indéterminé.

Bien après avoir été programmé à Lyon, Disney annonce alors que Soul ne sera visible que sur Disney +, comme Mulan. Quelle chance nous avons alors de voir au Pathé Bellecour, sur grand écran, le meilleur Pixar depuis 5 ans (Vice-versa, toujours de Pete Docter). Et quel malheur aussi. Car, en sortant de la projection, on peut tout autant regretter que Soul ne soit vu dans les salles. Seul blockbuster toujours confirmé au 18 novembre, Sacrées sorcières (Warner, Robert Zemeckis, Roald Dahl, Anne Hathaway et Octavia Spencer au générique) aura comme mission en cette fin d'année, avec ou sans couvre-feu, de fédérer les familles qui oseront s'aventurer au cinéma. Thierry Frémaux a eu raison de regretter le choix de Disney de dédier Soul à ses abonnés, soulignant que les salles de cinéma méritaient un tel film et qu'il était crucial de les faire vivre avec des films fédérateurs...

Sad sad situation

Soul se verra donc à la maison. C'est bien triste tant ce long métrage d'animation est brillant, un cran au-dessus des récentes créations hollywoodiennes. On peut même s'interroger sur la cible et l'ambition. Le personnage principal est un trentenaire célibataire, pianiste de jazz. Pas le genre de "héros" pour les enfants. Quant à l'histoire, plus complexe qu'il n'y parait et flirtant avec la mort, elle pourra dérouter les plus petits.

Mais c'est justement parce qu'il décide de miser sur l'intelligence des spectateurs de tous âges, que Soul se distingue des autres. Notre pianiste a la foi: il croit qu'il est fait pour être un brillant musicien, mais, pour subvenir à ses besoins et avoir la paix avec sa mère, il doit enseigner. La passion versus la nécessité. Le plus beau jour de sa vie arrive quand on lui offre un contrat à durée indéterminée de professeur et quand on lui propose d'être dans le quatuor d'une star de saxo. Il doit faire un choix. Mais, manque de chance, il meurt accidentellement ce jour-là.

Nous voici transportés dans la folie de Pixar: le grand monde d'après, où il ne reste que notre âme. Pas de Gabriel, de Paradis ou d'Enfer. Juste un grand astre lumineux où les âmes fusionnent. Celle de notre musicien résiste à cette fatalité et trouve un moyen d'échapper à cette finalité, pour se retrouver dans le grand monde d'avant. Là où nos personnalités sont forgées au moment de notre naissance. Notre âme survivante reviendra-t-elle dans son corps terrestre? Devra-t-elle retourner dans le grand monde d'après?

Rythm n' blues

Evidemment, cela reste un Pixar. Il y a de l'humour, du délire même, de l'action, de l'aventure, des personnages secondaires bien écrits, des défis personnels et un propos existentiel (la passion ne doit pas dévorer la vie, bien le plus précieux souvent gâché par notre capacité à ne plus s'émerveiller). Outre sa richesse narrative et ses références philosophiques (d'Aristote à Gandhi), Soul épate aussi par sa diversité graphique (New York, univers réaliste sur terre, le grand monde d'avant, univers fantasmagorique aux traits plus simples, empruntés à diverses influences artistiques).

Et, étonnamment, Soul, histoire de l'âme non dénuée de quelques larmes, évite les facilités: pas de relation amoureuse, pas de surdose affective. Le monde est même dépeint de manière assez hostile, avec des personnages souvent "cash". Tout le film tend vers son objectif: s'intéresser aux autres et à son environnement, bref se sentir exister entre l'avant et l'après. Prendre conscience que notre âme est autre chose qu'un amalgame de traits de caractère. Ici, l'animation, avec ses beaux traits, ne manque heureusement pas de caractère. A la fois sentimental et touchant, vibrionnant et virtuose, Soul, comme Wall-E, Là-haut, Vice-versa et Coco, est une leçon pour apprendre à profiter de la vie.

Lumière 2020: Le Guépard et Les années difficiles, le crépuscule des dieux

Posté par vincy, le 14 octobre 2020

Partons en Sicile et remontons le temps. A deux époques différentes, dans deux styles cinématographiques opposés. Le Guépard, adaptation du roman éponyme de Giuseppe Tomasi di Lampedusa et Palme d'or à Cannes en 1963, nous transporte en 1860 alors que l'Italie va se construire en un royaume unifié, s'industrialiser et que la grande île voit le général Garibaldi l'envahir. Les années difficiles, adaptation de la nouvelle Il vecchio con gli stivali de Vitaliano Brancati et sélectionné à Venise en 1948, nous fait traverser les décennies 1930 et 1940 pendant le règne du fascisme règne etla succession de   guerres sans fin, jusqu'au débarquement des Américains sur les flans de l'Etna.

Deux films où les mutations de la société et le basculement du pouvoir atteignent les habitants jusque dans leurs certitudes: la noblesse chez Luchino Visconti, les modestes chez Luigi Zampa. D'un bal aristocratique vertigineux illustrant le déni d'une caste face aux temps qui changent à l'opéra Norma accessible à toutes les classes mais censuré par des fascistes ignares, les deux films renvoient chacun le reflet d'une société qui se désagrège. L'effondrement de leurs acquis et de leurs habitudes s'opère sous nos yeux dans les deux films.

La somptuosité atemporelle et presque classique du Guépard, où Visconti orchestre ce milieu confiné dans un décorum opulent, ne doit pas cacher le propos sur le déclin de cette élite oisive, condamnée à quitter ses palais dorés. A l'inverse, Les années difficiles s'inscrit davantage dans son époque. D'abord par son style, mélange de néo-réalisme et de comédie italienne. Ensuite, Zampa filme avec dévotion les modestes, qu'ils soient aveuglés par la propagande fasciste ou critiques et circonspects à l'égard de cette dictature.

Un père de famille, s'il veut garder son poste à la mairie, est forcé de devenir membre du parti de Mussolini, alors qu'il n'a aucune ambition ni même d'avis sur la politique. Son aîné est envoyé sur le front. Sa femme et sa fille embrassent le "messie" de Rome. Zélé, il se soumet aux ordres du chef de la commune, qui est aussi le propriétaire de son appartement. Mais plus le temps passe, plus il doute du régime mussolinien. Une fois la guerre mondiale à leurs portes, il constate la lâcheté des uns, l'impuissance des autres et la bêtise de tous. Il sera le grand perdant de cette période, où les opposants n'ont eu aucun courage et les partisans s'avèrent capables de retourner leur veste au moindre vent contraire. Le film où l'on a sourit devient alors très amer.

Si Visconti a sublimé la Sicile, la reconstituant comme on restaure un monument, Zampa la filme dans son authenticité. Car à la réalité des conditions difficiles de cette région isolée et à la dramaturgie d'une famille qui va payer le prix cher de la folie des hommes, il ajoute des images d'actualités toutes fraîches (on est trois ans après la fin de la guerre, quinze ans après l'avènement d'Hitler). Cela en fait un film "à chaud", où tout est encore en mémoire à l'époque (ce qui ne manquera pas d'être la cible de controverses).

Mais, le plus frappant est le discours politique du réalisateur. Juste sur ses compatriotes, qu'il ne ménage pas en pointant du doigt leur collaborationnisme assumé (le seul vrai résistant est un italo-américain), lucide sur les dérives du fascisme dont les braises sont encore chaudes, il fait de son film un documentaire troublant et fascinant sur cette période grise, tout en y entremêlant un drame émouvant et intime sur les humbles et les honnêtes écrasés par les ambitieux et une idéologie digne d'une religion obscurantiste. Ainsi, le pharmacien se révoltera dans un coup de sang, en chantant La Marseillaise (et disparaîtra en prison). Le fils, à qui l'avenir semblait radieux, connaîtra un destin aussi tragique que stupide. Mais le maire et les autres notables sauront s'acheter les faveurs des Américains. Le propos pacifiste et la désillusion du personnage principal souligne ainsi le gâchis général causé par la petitesse des esprits.

Avec un recul intellectuel admirable si peu de temps après les événements, Les années difficiles tend un miroir à une Italie traumatisée par la guerre et déboussolée par ses déviances. Elle ne s'en remettra jamais. L'épilogue, cruel et triste, se charge de nous faire deviner le destin de cette Sicile autrefois terre des guépards et désormais vouée à n'être qu'une province de magouilleurs régis par des codes sociétaux d'un autre temps.

Lumière 2020: Falling et Nomadland, l’entraide pour ne pas sombrer

Posté par vincy, le 13 octobre 2020

© ecran noir

Une sonate et une balade. Toutes deux remplies de silences. Viggo Mortensen et Chloé Zhao n'ont a priori rien en commun. Pourtant, à voir leur film en avant-première à Lumière, il y a une résonance particulière, comme un écho sensible et ténu qui fait le lien entre Falling et Nomadland.

Falling est le premier film en tant que réalisateur de Viggo Mortensen. Présenté en clôture à Sundance, sélectionné à Cannes 2020, ce drame intime, accompagné par la douce musique de Viggo lui-même, suit un père, atteint de démence au crépuscule de sa vie, et son fils, qui a quelques vérités sur le cœur à lui balancer. A travers cette histoire, il oppose aussi deux Amériques irréconciliables. Le patriarche sénile est un homme conservateur, anti-communiste, paysan, homophobe, misogyne, doté d'un handicap affectif qui l'a conduit à finir seul, abandonné de ses femmes et de ses enfants. Le fils est  marié à un homme d'origine asiatique, avec qui il a adopté une petite fille latino, vit en Californie et vote pour Obama. Mais, derrière ces gros traits de caractère, se dessine surtout l'incompréhension de l'un vis-à-vis de l'autre, le tableau d'un naufrage (la vieillesse) et l'envie d'aimer (au-delà des reproches et rancœurs). Falling est mélancolique et sombre. La chronique familiale - pas très loin des films aux personnages de vieux grincheux comme Monsieur Schmidt ou Un homme simple - s'offre quand même quelques parenthèses rageuses et touchantes, voire drôles avec l'irruption de David Cronenberg en proctologue. Mais on retient aussi cet amour de Viggo pour la nature, les saisons, les paysages, alors qu'il ne filme jamais la ville, préférant la protection du foyer.

C'est là qu'un lien invisible se dessine avec Nomadland de Chloé Zhao, récent Lion d'or à Venise. L'âge qui avance, une Amérique des oubliés, mais surtout ce rapport au "vivant": le ciel, les paysages splendides de l'Ouest américain, l'hiver enneigé et l'été lumineux... Comme si l'avancée vers la mort amenait un besoin de se réconcilier avec l'essentiel. Nomadland est, aussi, à sa manière, une histoire de famille. Celle qu'on se choisit, tant on n'a plus grand chose en commun avec celle de sang, quand il y en a une. On suite une femme proche de la retraite, récente veuve (et toujours inconsolable), plongée dans la précarité après la fermeture de l'usine qui faisait vivre un bled du Nevada. Entre villes fantômes et camps sauvages "hippies", elle prend goût à sa nouvelle liberté, loin des contraintes d'une société matérialiste. Ici, tout se bricole, se recycle, entre survie et contemplation. La beauté des images, portée par les lancinantes mélodies de Ludovico Einaudi, ne cache rien de la misère : esclavagisme chez Amazon, troc nécessaire pour palier au manque de dollars, etc... Mais la réalisatrice réussit avec grâce ce mélange de fiction - un road-movie en van comme une odyssée - et de réalisme - de vrais nomades qui racontent leur vie et donnent une touche d'authenticité bienvenue.

Dans leurs films, Mortensen et Zhao ont en commun ce besoin d'entraide pour ne pas sombrer. Un sentiment très fort qui montre une envie de solidarité. Entre les démunis, exclus de la masse, méprisés ou ignorés. Entre un père et un fils, qui doivent surmonter leurs différents et affronter le temps qui passe. Dans les deux œuvres, la mort n'est pas montrée, mais elle est omniprésente. Falling nous invite à aimer pour vivre tandis que Nomadland préfère nous rappeler la force de la liberté. Deux choix qui amènent le spectateur à se projeter dans un "vivre ensemble" où la sincérité et la tolérance sont des vertus indispensables.

Lumière 2020: le cap de la quarantaine dans Drunk et All About Eve

Posté par vincy, le 12 octobre 2020

© ecran noir

Pas facile de vieillir. Ni pour un enseignant Danois ni pour une star de Broadway. Cela entraîne de sérieuses addictions, et autant de dommages collatéraux, pour ne pas dire des dérapages dans le décor.

L'addiction dans Drunk est dans le titre: l'alcool (on boit aussi beaucoup dans Eve ceci dit). L'alcool, ça désinhibe. Ça donne confiance en soi. Et quand on sombre vers la cinquantaine, que le job, la famille, la vie ne sont que routines, ça peut revigorer et, finalement, retrouver le goût à la vie. Thomas Vinterberg, grandement aidé par son casting d'acteurs, l'excellent Mads Mikkelsen en tête, suit donc une année scolaire avec quatre profs au bord de la crise d'ennui. La force du jeu de Mikkelsen est de nous conduire subtilement de son état apathique à son esprit de reconquête, avec un regard perdu, ailleurs, pour finir dansant, prêt à dévorer la vie. Jamais moraliste, toujours humaniste, le scénario montre tous les aspects de la dépendance (et donc de la dose à consommer) aux élixirs enivrants. Mais Drunk (sélectionné à Cannes 2020) est avant tout un film vivifiant (et pas seulement parce qu'il fait revivre son quatuor). Cette renaissance (doublé d'une prise de conscience de chacun sur leurs échecs) est contagieuse (mise en scène, musique, final formidable et joyeux). On se reconnaît dans leurs failles (indispensables pour que l'on puisse comprendre le prix de l'existence et pour faire entrer sa lumière) et on les accompagne collectivement dans leur envie de boire, non pas pour oublier, mais bien pour se révéler.

La révélation c'est aussi le sujet de Eve, classique de John L. Mankiewicz (6 Oscars, meilleure actrice et prix du jury à Cannes en 1951) avec la charismatique Bette Davis, l'insupportable Anne Baxter et la novice Marilyn Monroe. Ici, l'addiction est davantage psychologique: le pouvoir, et même l'emprise. Cette histoire de harcèlement (dont on retrouve l'héritage dans des films comme Showgirls ou Black Swan), qui a inspiré Tout sur ma mère de Pedro Almodovar, est un magnifique jeu de manipulation entre une star établie, fragilisée par son vieillissement dans un business où la quarantaine signe la retraite, et une fille mystérieuse, trop bienveillante pour être honnête, et qui ne cherche qu'à prendre sa place en haut de l'affiche. Bette Davis brille par sa performance pleine de nuances, tour à tour montrée comme un monstre égoïste puis comme une victime de sa prédatrice. De l'antipathie qu'on pourrait éprouver pour elle, naît, chez le spectateur, une véritable compassion, tandis que le réalisateur inverse symétriquement les rôles avec le personnage de Baxter: la jeune fille pour laquelle on a de la pitié se mue en garce froide et calculatrice. Le film n'a pas vieillit et s'avère un girl fight plein d'esprit entre gens bien élevés.

Dans les deux cas, avec Mads Mikkelsen d'un côté et Bette Davis de l'autre, on comprend que la maturité est synonyme de vulnérabilité. L'amour ne fait pas tout, ni le succès, ni même le confort. Il y a cette réalité qu'on a les plus belles années derrière nous, que la jeunesse, ses rêves et ses espoirs ont fané. Mais que ce soit dans le Danemark d'aujourd'hui ou le Broadway d'hier, le cap rugissant de la quarantaine n'est pas insurmontable tant qu'on reste lucide (bizarrement l'alcool n'est pas un obstacle, au contraire). Tout est dans l'équilibre entre satisfaction égoïste, acceptation de la réalité, et aspiration à vivre sans se soucier de l'horloge qui tourne. On peut plaire, aimer, et danser (vite). Même après quarante ans. Il suffit de quelques applaudissements et d'un bon champagne pour aborder la seconde partie de sa vie.

Lumière 2020: tous les voyants au vert pour le festival du Grand Lyon

Posté par vincy, le 11 octobre 2020

La Halle Tony Garnier était en comité intime samedi soir, mais Thierry Frémaux a su réchauffer l'immense espace qui, pour raisons sanitaires, ne pouvait accueillir que 20% de sa jauge habituelle. Mais c'est déjà une grande nouvelle en soi: Lumière a lieu. Les spectateurs sont au rendez-vous. Les salles vont être pleines (en respectant la distanciation sociale).

Perdus dans le Grand Lyon, on y voyait quand même un défilé de limousines, de stars sur le tapis rouge, le tout rythmé par une musique d'un Sergio Leone signée Ennio Morricone (on y reviendra). Cette année, le programme est riche (et les montages concoctés pour résumer les carrières de chacun comme les grandes lignes du festival étaient formidables). On est ainsi passé de Joe Dassin (hommage à Melina Mercouri oblige) à France Gall (Sabine Azéma et le "Résiste" de Resnais, comme un hymne d'époque), de Viggo Mortensen polyglotte à Thomas Vinterberg sans frontières, d'Oliver Stone en guest-star à Jacques Audiard pour rallumer la flamme de son père. Tout ce beau monde, hormis Dassin et Gall évidemment, était présent, profitant de ses cinq minutes à leur gloire dans un déroulé chargé. Cela n'a pas empêché une splendide compilation des partitions de Morricone, disparu cette année, au piano et en solo par Steve Nieve.

On résiste, on prouve que le cinéma existe. A Lyon, désormais dotée d'un maire écolo qui a bien compris que le festival avait été très soutenu par son prédécesseur, on a beaucoup de vélos mais aussi un festival qui compense son empreinte carbone (quelque part dans les Alpes) et qui fait de l'insertion culturelle (écoles, prisons etc...). Bref Lumière est "vert".

Et quoi de mieux qu'un court-métrage défendant les paysans? La réalisatrice Alice Rohrwacher, plusieurs fois primée à Cannes, et l'artiste JR ont donné en guise de cadeau un court métrage, Omelia contadina. 9 minutes où, l'on suit une communauté paysanne se rassemblant sur un plateau à la frontière de trois régions pour célébrer les obsèques de l'agriculture paysanne. Une "action cinématographique" pour éviter la disparition d'une culture millénaire. Avec des plans filmés du ciel (merci les drones), des portraits géants de paysans conçus par l'atelier de JR, et cette mise en terre plus que symbolique, la cinéaste rappelle avec grâce et sans fioritures, que sans les agriculteurs, on ne nourrit personne. Cet hommage émouvant au "vivant" part d'un magnifique poème toujours d'actualité de Pier Paolo Pasolini. Car les combats d'hier sont toujours les grandes causes d'aujourd'hui. Mais il semble qu'à tous les enjeux climatiques, vitaux, il va falloir ajouter la défense activiste de la culture, tant elle est sacrifiée comme si elle était un pan de l'économie lambda. Pasolini écrivait: "Je pleure un monde mort. Mais moi qui le pleure je ne suis pas mort". Alors tout est encore possible...

Le cinéma d’animation revit sur grand écran au Festival Animafest de Zagreb

Posté par MpM, le 6 octobre 2020

Créé en 1972 à Zagreb, Animafest est le deuxième plus ancien festival consacré à l'animation dans le monde, juste après Annecy. D'abord biennal, puis alternant à partir de 2005 long et court métrage, avant de réunir les deux formats à partir de 2015, il aurait dû célébrer en juin sa 30e édition.

Là où de nombreuses manifestations ont dû être annulées, ou dans le meilleur cas passer en ligne, comme ce fut le cas d'Annecy et d'Ottawa, les organisateurs d'Animafest ont finalement réussi à maintenir une édition physique du 28 septembre au 3 octobre dernier, dans une configuration resserrée qui n'a empêché ni la qualité des programmes, ni les rencontres, et encore moins la convivialité. Amoindrie (les ressortissants de nombreux pays n'ayant pu faire le déplacement) mais soudée, la petite communauté du cinéma d'animation était heureuse de se retrouver, et de voir reprendre le cours des choses. Car pour beaucoup, il s'agissait du premier festival "en vrai" depuis parfois près d'un an.

Georges Schwizgebel, invité d'honneur


Etait notamment présent le réalisateur Georges Schwizgebel (ci-dessous à gauche, en compagnie de Paola Orlic et Daniel Suljic) qui était l'invité d'honneur de cette édition si particulière, et a reçu à ce titre l'Animafest Lifetime Achievement Award. Une rétrospective de son travail était également organisée, ainsi qu'une exposition permettant de découvrir les dessins et les peintures qui servent de point de départ à ses films. L'occasion de se replonger dans une oeuvre foisonnante et baroque dans laquelle la musique occupe une place prépondérante.

Dans La Course à l'abîme, c'est par exemple un extrait de la Damnation de Faust d''Hector Berlioz qui insuffle son rythme trépidant à l'image. Deux cavaliers avancent au galop, un train traverse la plaine, des oiseaux volent à tire-d'aile...

La mise en scène multiplie les effets de travellings et de zooms avant qui imitent la vue subjective, et donnent une impression de mouvement permanent. Puis le cadre s'élargit lentement pour révéler que toutes les scènes cohabitent dans le plan, formant un étrange tableau mouvant basé sur la répétition d'une même série d'images.

La boucle et la répétition sont d'ailleurs des motifs récurrents dans le cinéma de Schwizgebel jusqu'à son dernier court métrage en date La Bataille de San Romano qui s'inspire du tableau de Paolo Uccello.

On retrouve également son goût pour la littérature dans des films comme Le Roi des aulnes, adaptation du poème de Goethe dans lequel un père chevauche avec son enfant malade, ou encore L'Homme sans ombre, inspiré du roman d'Adelbert von Chamisso, qui raconte le destin d'un homme privé de son ombre après un pacte avec le diable. Dans les deux cas, la virtuosité de l'animation est époustouflante, et évoque des procédés de prise de vue continue comme la caméra semblant suspendue dans les airs et flottant autour des personnages.

Coup de projecteur sur le travail de Yoriko Mizushiri


Autre personnalité à l'honneur, la réalisatrice japonaise Yoriko Mizushiri n'a pu venir à Zagreb, mais son esthétique si particulière faite de teintes pastels, de bouches roses et de doigts aux ongles peints était partout, des catalogues à l'affiche du Festival, en passant par les Tote-Bags et les badges. On a pu par ailleurs découvrir une dizaine de ses courts métrages, dont les plus connus Futon et Sushi, mais aussi des clips pour des chanteurs japonais tels que Takao Kisugi et Kuchiroro.

Proposer cette rétrospective était une très belle idée, permettant d'appréhender immédiatement la cohérence de l'oeuvre de la réalisatrice et de jouer au jeu des correspondances entre les films. Au-delà d'une tonalité feutrée, de la prédominance du rose et de motifs récurrents comme les sushis et les différentes parties du corps, on retrouve dans chacun des courts métrages une sensualité douce et joyeuse, et plus généralement une sollicitation des différents sens, notamment gustatifs.

Teleport, par exemple, le clip conçu pour la chanson du même nom par Hasunuma Shuta, semble condenser tous les éléments propres à l'esthétique de Mizushiri. Un lent travelling latéral fait apparaître des fragments de scènes morcelées qui cohabitent dans le plan. En vrac, il y a une chaussure à talon violette qui glisse sous une robe blanche, une bouche qui glisse le long d'une épaule, une boule de glace qui rebondit au ralenti dans sa gaufrette, un sushi suspendu, des doigts qui entrent doucement dans une boulette de riz, des morceaux de poisson cru qui remontent lascivement le long d'un bras nu... Chaque image, d'une délicatesse extrême, sème le trouble dans les sens du spectateur, qui se retrouve frémissant, suspendu aux moindres inflexions d'une jambe ou d'une main.

Compétitions


Le festival proposait également plusieurs compétitions, dont une consacrée aux courts professionnels. On y retrouvait les grands succès de l'année, tels que Physique de la tristesse de Théodore Ushev, encore auréolé de son cristal à Annecy, et Genius Loci d'Adrien Mérigeau, lui aussi récompensé à Annecy, mais également des films en début de circuit, à l'image de Souvenir Souvenir de Bastien Dubois qui avait reçu trois prix au Festival Off-Courts de Trouville.

Le film est comme le making-of d'un film impossible à réaliser et surtout d'une histoire impossible à raconter, articulé autour d'une lancinante question : qu'a exactement fait le grand-père du narrateur pendant la guerre d'Algérie, où il était appelé. Bastien Dubois aborde ainsi le poids du silence sur les générations suivantes et cette transmission impossible qui laisse une trace indélébile. Le récit est à la fois très intime, le réalisateur partant d'un matériau très personnel et se mettant constamment en scène face à ses doutes, et en même temps absolument universel dans sa manière de traiter une parole impossible qui pourrait être celle des participants à n'importe quel autre type de conflit ou de tragédie humaine.

On a aussi repéré Opera de Erick Oh, qui donne à voir de multiples saynètes toutes connectées entre elles et se déroulant pendant un cycle jour-nuit complet. A chaque étage de l'étrange structure qui se dévoile progressivement à l'écran ont lieu des rituels liés à la vie et à la mort, mais aussi au travail ou à la religion. Chaque étage de la structure a ainsi une influence sur les étages inférieurs et supérieurs, tout se révélant peu à peu comme un immense système global qui schématise le fonctionnement de tous les types de société. Il est alors métaphoriquement question de notions telles que la lutte des classes, l'endoctrinement ou encore le racisme et la violence qui, toutes imbriquées les unes dans les autres, sont à la fois comme le moteur et le frein de la course du monde.

Il faut enfin citer Betty de Will Anderson (une variation mi-humoristique, mi-tragique sur la mise en abyme d'une rupture amoureuse) et Last Supper de Piotr Dumala (qui réinvente la Cène dans un train lancé à toute allure) mais aussi Leaking Life de Shunsaku Hayashi, présent à Annecy en 2019, éblouissant film expérimental qui joue sur les textures et les matières, et How to disappear de Robin Klengel, Leonhard Müllner et Michael Stumpf, déjà découvert à Berlin, et qui nous entraîne dans le jeu vidéo Battlefield V pour interroger le concept de guerre et poser une réflexion sur ce que signifie l'acte de déserter.

Le choix du jury, qui réunissait les réalisatrices Reka Bucsi et Martina Scarpelli, la journaliste Nancy Denney-Phelps, la programmatrice du festival national d'animation de Rennes Clémence Bragard et le réalisateur Vladislav Kneževic, s'est finalement porté sur Just a guy de Shoko Hara, documentaire sur la fascination exercée par le serial killer Ricardo Ramirez sur trois jeunes femmes qui ont correspondu avec lui lorsqu'il était dans le couloir de la mort. Basé sur leurs témoignages puissants, le film joue beaucoup la carte de l'émotion, mais aussi celle de l'humour, pour tenter de comprendre ces relations atypiques sans jamais porter de jugement. Même si l'on aurait voulu que le propos aille plus loin, impossible de nier la force qui se dégage de ces récits presque hallucinants et traités comme tels par une esthétique survoltée.

Côté étudiants, Naked de Kirill Khachaturov fait le doublé après son cristal à Annecy, malgré la concurrence du gros succès de 2019, Daughter de Daria Kashcheeva, qui repart tout de même avec le prix du jeune public. Le premier revisite le film de super-héros dans un style radical et minimaliste servi par une esthétique singulière et immédiatement reconnaissable qui met en scène des personnages presque difformes (longs cous, gros ventres, têtes minuscules) modélisés en 3D. Nous avons déjà eu l'occasion de présenter le second, un récit plutôt sombre aux accents réalistes, réalisé avec des marionnettes ultra expressives, qui met en scène la communication impossible entre une fille et son père, et simule à l’écran les effets chaotiques d’une prise de vue “caméra à l’épaule”.

Et le cinéma croate dans tout ça ?


La compétition croate, qui était jugée par le même jury que la compétition étudiante, à savoir la réalisatrice Hefang Wei, le réalisateur Mladen ?ukic et le réalisateur et programmateur Laurent Crouzeix, a vu le triomphe de Arka de Natko Stipanicev qui met en scène un gigantesque paquebot sur le point de faire naufrage tandis que ses passagers poursuivent leurs routines absurdes et dénuées de sens. Une parabole satirique et ultra-distanciée sur la condition humaine, dont une des lectures les plus évidentes est notre obstination collective à ne pas regarder en face les conséquences prévisibles de la crise environnementale en cours.

A noter également la présence en compétition de Natural selection de Aleta Rajic, étrange récit sur une biche qui se comporte comme un être humain, mais est peu à peu rattrapée par sa nature sauvage,  de Toomas beneath the valley of the wild wolves de Chintis Lundgren, la suite de la comédie surréaliste Manivald, qui interroge avec tout autant de malice et de liberté les questions de genre, ou encore du clip musical étudiant I'm not feeling very well de Suncana Brkulj, dans lequel des squelettes montés sur épingle se trémoussent sur une chanson du groupe Cawander.

On a aussi pu découvrir un programme de courts métrages réalisés à Zagreb au cours de l'année 1972, parmi lesquels Tup-Tup de Nedeljiko Dragic, nommé à l'Oscar, qui montre comment un homme apparemment éduqué et poli se transforme en fou furieux lorsqu'un bruit non identifié l'empêche de lire son journal en paix. Sorte de cartoon délirant et obsessionnel, le film multiplie les situations plus absurdes, violentes et évidemment bruyantes les unes que les autres, jusqu'au chaos presque total.

Dans un genre plus introspectif, Astralis de Rudolph Borosak s'intéresse à un personnage minuscule enfermé dans un cube géant dont il ne peut s'extraire, et à l'intérieur duquel se déroulent des scènes inquiétantes. Lorsqu'enfin l'un de ses semblables apparaît, il demeure hors de portée. Et pour cause, un dernier plan large nous laissant deviner des dizaines de cubes isolés les uns des autres, métaphore de l'inextricable solitude de l'être humain et des difficultés à entrer en connexion avec les autres.

Cinéma hongrois, école de Lodz et un avenir que l'on espère radieux

On pourrait encore citer le focus sur le cinéma hongrois, représenté notamment par le très beau Symbiosis de Nadja Andrasev, qui est reparti avec le prix du premier court métrage professionnel, et une carte blanche à l'école de Lodz en Pologne, à laquelle on doit notamment Such a beautiful town de Marta Koch, Bless you! de Paulina Ziolkowska et Pussy de Renata Gasiorowska.

De quoi faire le plein de (bons) films sur grand écran, en espérant que la prochaine édition du festival, prévue en juin 2021, puisse elle-aussi se tenir dans les meilleures conditions ! Mais quand on voit les prouesses de convivialité dont l'équipe d'Animafest a été capable en pleine crise sanitaire, sans parler de la qualité des sélections et des rencontres, on ne se fait aucun souci pour l'avenir.