Retour sur Vesoul 2012 : rencontre avec Kore-Eda Hirokazu
La 18ème édition de Festival International des Cinémas d’Asie (FICA) de Vesoul, qui s'est tenue du 14 au 21 février derniers, proposait l’intégrale des films du cinéaste japonais Kore-Eda, en sa présence, dont la première française de son dernier long métrage, I wish. Lors de la cérémonie d’ouverture, Kore-Eda Hirokazu (son nom complet) a d'ailleurs reçu un Cyclo d'or d'honneur pour l'ensemble de son oeuvre.
Cet hommage, qui coïncide avec le 50e anniversaire du réalisateur, a permis aux festivaliers de (re)découvrir les 14 films de Kore-Eda (documentaires et fictions réunis pour la première fois), dont la moitié étaient jusque-là inédits en France. L'occasion de revenir avec lui sur une carrière déjà bien remplie.
Ecran Noir : Le festival de Vesoul a souhaité montrer pour la première fois en France une intégrale de vos films. Quand vous regardez en arrière et voyez tout ce que vous avez accompli, que ressentez-vous ?
Kore-Eda Hirokazu : Je suis intimidé, j’ai honte, j’ai aussi beaucoup de nostalgie. Je trouve que c’est important de revoir ce que l’on a fait dans le passé, ça me permet de reconsidérer ce que je pensais à l’époque et aussi certaines erreurs, c’est important pour avancer. J’ai un peu honte parce que c’est un peu la même impression que lorsqu'on regarde une vielle photo de l’époque étudiant avec un motif de tshirt ringard et une coupe de cheveux démodée. Mais je suis très intimidé que certains de mes anciens films soient découverts ici.
EN : Dans Nobody knows et dans Still Walking, il y a l’absence d’une mère, dans I wish un petit garçon souhaite revivre avec ses deux parents de nouveaux réunis… Est-ce qu'une famille unie serait un noyau du bonheur ?
KEH : Non, je ne pense pas. Dans Nobody knows, il n’y a plus de mère mais ça ne veut pas dire pour autant que c’est une tragédie. La fille aînée va prendre peu à peu un rôle de mère et le grand-frère celui du père. Évidemment ils sont privés d’une enfance ordinaire propre aux enfants. S'il y a un manquement, chacun va essayer de remplir ce manque. Dans I wish, pour la famille qui habite à Kagoshima, il n’y a pas de père, mais c’est le grand-père qui remplace en quelque sorte le père. Si je pensais que le bonheur est une famille avec tous ses membres réunis, alors j’aurais fait une fin différente pour I wish !
EN : Dans vos films avec des enfants, et en particulier le nouveau I wish, est-ce que lors du tournage vous espérez obtenir précisément ce qui est écrit dans le scénario ou est-ce que vous laisser de la place à une grande part d’improvisation ?
KEH : En fait, je ne demande pas aux enfants de jouer comme ce qu’il y a de marqué dans le scénario. Je parle beaucoup avec les enfants avant l’écriture, c’est avec la personnalité de chaque enfant que je vais créer certaines situations de l’histoire. Avant tout, ce sont les enfants qui sont au centre. Il y a d’abord ma petite histoire, puis la rencontre avec les enfants qui joueront dans le film, et ce sont finalement eux qui ont une certaine influence sur plusieurs séquences de l’histoire finale. Dans certaines scènes, les enfants parlent librement, mais pour la plupart des scènes je leur explique oralement des choses ou je leur chuchote des indications. Parfois, je leur demande de répéter les dialogues, parfois je leur demande de dire de nouveau devant la caméra ce qu’ils m’ont déjà raconté. Diriger des enfants est une chose toujours différente.
EN : Après cette rétrospective de tout vos films qui ont un fort ancrage japonais, est-ce imaginable dans le futur qu’une de vos prochaines réalisations soit par exemple un remake ou un tournage dans une autre langue ?
KEH : Oui, j’ai envie de tourner à l’étranger. J’ai d’ailleurs un projet que je voudrais faire au Brésil depuis plusieurs années. Il s’agit d’une histoire d’immigrés japonais au Brésil, mais c’est un projet qui prend beaucoup de temps et à mon avis ça pourrais encore prendre peut-être cinq ans pour le réaliser. Mais je ne m’intéresse pas du tout à faire un remake d’un autre film.
EN : En quoi écrire et réaliser un film documentaire est différent d’écrire et réaliser un film de fiction ?
KEH : A vrai dire, il n’y a pas beaucoup de différences. En fait, je réalise à peu près de la même manière pour les documentaires et pour les fictions. Pour parler de manière simple, je réalise mes films à partir de trois éléments : c’est d’abord l’observation, ensuite la mémoire, et puis l’imagination. Peut-être que l’équilibre de ces trois éléments est différent selon que je fais un documentaire ou une fiction. Pour le documentaire, l’observation est plus importante, parce qu'en observant on devient humble par rapport à la réalité. Pour une fiction, après la phase d'observation, on utilise énormément plus d’imagination pour créer.
EN : Pensez-vous continuer à naviguer entre documentaire et fiction ?
Kore-Eda : Entre mes films de cinéma Air doll (à Cannes) et le nouveau I wish (à Venise) j’ai réalisé entre-temps The days after un film pour la télévision NHK [un conte de 51 minutes, montré sur grand écran à Vesoul]. Le documentaire me permet aussi de rester en phase avec la réalité, je n’ai pas spécialement envie de ne faire plus que des fictions. Je pense que je continuerai à faire les deux formes de films, fiction et documentaire, pour mon équilibre mental.
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