Tom Cruise : l’acteur qui ne voulait pas vieillir
Qui ne connaît pas Tom Cruise ?
L’acteur, aux multiples succès planétaires, lancé par Francis Ford Coppola dans les années quatre-vingt (Outsiders, 83), devenu star à 24 ans avec Top Gun (86) puis confirmé définitivement comme demi-dieu du box-office par les Missions Impossible (4 films depuis 1996 et un cinquième en préparation pour une sortie probable fin 2015), nous revient cette année dans Edge of Tomorrow, film d’anticipation réalisé par Doug Liman (la Mémoire dans la peau, Jumper, Mr & Mrs Smith).
Si le film ne déroge pas vraiment des habituelles propositions vidéoludiques de bon nombre de blockbusters estivaux, son parti-pris narratif place Tom Cruise dans une représentation de soi inédite car exclusive. La fascination est réelle, plutôt forte, sans doute un peu obscène puisque plaçant sur orbite un ego surdimensionné conjuguant dans un maelström d’images frénétiques, trépas et résurrection. Si, cette fois, il n’est pas question de clonage – en référence à Oblivion et ses Tom Cruise clonés, infinité de Moi dans l’affrontement d’une obsession –, l’image de l’acteur se fige dans une boucle spatio-temporelle déployant sans relâche la figure du héros providentiel qu’il se borne à incarner depuis maintenant trente ans, exceptés quelques rôles majeurs d’une première partie de carrière – jusqu’en 1999 – comme Eyes Wide Shut, Magnolia, Né un 4 juillet ou encore Rain Man.
En somme rien ne change. Cruise fait du Cruise comme si le temps n’avait plus aucune emprise sur son corps, ses émotions, ses expériences, son jeu. L’inscription demeure identique. Aussi bien dans l’effort d’une carrière rattrapée par les turpitudes de la vie, que dans la mise en représentation d’une icône qu’il ne faut surtout pas flétrir.
Ceci est d’autant plus vrai depuis 2008 et le Walkyrie de Brian Singer. La star, en perte de vitesse, enchaîne les blockbusters estivaux ou de fin d’année dans lesquels il incarne, systématiquement, le même personnage, de l’espion mystérieux au sourire enjôleur (Night and Day, MI4, Jack Reacher) au héros en devenir (Oblivion, Edge of Tomorrow).
L’acteur, membre de la Scientologie – une réalité qu’il faut prendre en compte dans la carrière de Cruise –, s’entête à retarder l’inéluctable pour inscrire dans les mémoires du monde cinématographique sa stature de surhomme, transfiguration de l’être ici bas en héros indépassable.
Suite aux déclarations prosélytes maladroites, pour ne pas dire embarrassantes, de l’acteur lors de la promotion du film Mission Impossible 3 (2006), son aura en a pris un coup. Le temps médiatique a fragilisé la statue du Commandeur par le biais de paroles malheureuses responsables, sans doute, de la désaffection d’une partie de son public.
Mais pas seulement. Car Tom Cruise, ivre du succès qui l’anime, est parti en reconquête, poursuivant tel un schizophrène, le souvenir d’une image originelle qu’il s’échine à reproduire inexplicablement. Le geste est beau puisqu’impossible. En effet, on ne lutte pas contre le temps et encore moins contre le passé.
Qu’à cela ne tienne. L’acteur reprend son bâton de pèlerin et s’affiche dans des rôles résolument physiques, charismatiques, mystérieux, à la droiture méritante qui, normalement, échoient à des acteurs plus jeunes. Tom Cruise ne semble plus vouloir vieillir. Alors il se joue de l’usure du corps en incarnant des personnages atemporels à qui il est difficile de donner un âge.
La posture n’est en rien factice au point de nous faire croire qu’à 52 ans il peut incarner un officier qu’on envoie au front combattre de méchants aliens. Une pointe de dérision au sujet d’un tel paradoxe aurait pu faire passer la pilule. Même si l’acteur nous épate par son implication, sa densité physique, sa puissance d’incarnation.
Dans Edge of Tomorrow la reconquête transpire chaque image pour faire de Cruise le dernier héros hollywoodien susceptible d’incarner à la perfection un « quidam » capable de se transfigurer en fonction des événements.
Si Tom Cruise repousse peut être comme aucun acteur avant lui les limites qu’impose la nature, il rompt progressivement le lien avec le public en perdant en crédibilité (on en veut pour preuve le démarrage mitigé d'Edge of tomorrow aux Etats -Unis le week-end dernier avec moins de 30 millions de recette, ce qui est en-dessous des 37 millions d'Oblivion, et largement en deçà des attentes de Warner). Ses films récents sont des pièces à conviction de la mégalomanie d’un très bon acteur se refusant d’assumer avec philosophie la fuite du temps. Personne n’est immortel. Même pas Tom Cruise.
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