L'histoire: Salcuta Filan et ses deux enfants, Denisa et Gabi. Une famille rom roumaine qui vit en banlieue parisienne depuis 15 ans. Alors que de nombreux responsables politiques ne cessent d’affirmer que les Roms ont “vocation à rentrer chez eux”, Salcuta fait la preuve que la France et l’Europe ont la capacité de les accueillir dignement et que lorsque c’est le cas, il n’y a plus de « question rom ». Car en tant qu’Européenne, Salcuta a choisi. Et chez elle, c’est ici, en France.
Un autre regard. C'est clairement énoncé dans le documentaire de Valérie Mitteaux et Anna Pitoun: les roms, tziganes, gitans sont les populations les plus rejetées en Europe. Les deux réalisatrices, en filmant une mère et ses deux enfants durant quinze années, proposent de voir une famille roumaine s'intégrant progressivement à Achères près de Paris. De la caravane en bidonville au premier appartement, de sa solidarité syndicale avec les collègues à l'engagement citoyen et politique, c'est bien un processus d'intégration qui est filmé, loin des préjugés. Il faut dire qu'entre les discours politiques qui accentuent la méfiance et l'exclusion, l'image du Rom véhiculée par le cinéma et la télévision depuis des décennies (au mieux un mendiant, au pire un voleur) et le repli sur soi dans tous les pays, ce peuple européen n'est bien accueilli nulle part, même en Roumanie.
"On est tous racistes, on est élevés comme ça. C’est le travail d’une vie que de se libérer des idées préconçues. D’être capable non plus de regarder la vie “d’une Rom”, mais celle d’une femme, européenne, une mère, fière et courageuse, qui cherche simplement à construire une vie meilleure pour elle et ses enfants" rappellent les réalisatrices.
Une femme touchante. Salcuta est en effet un personnage qui nous happe: tenace, déterminée, digne, chaleureuse. En la voyant s'épanouir dans ce qui devient son pays, la France, le spectateur est dans une sorte de "time-lapse" qui illustre la vie de 25000 Roms en France . C'est une immigrante européenne qui a respecté les lois de libre circulation et qui s'installe dans un pays de l'Union comme l'Europe l'y autorise. Mais par-delà les discours politiques, on voit bien dans ce film que Salcuta doit se battre en permanence contre une administration qui la marginalise et un Etat qui la stigmatise. Il faut quelques citoyens et élus très engagés - une solidarité rassurante en ces temps individualistes - pour permettre à Salcuta et sa famille d'avoir une chance de vivre "mieux" loin de ses racines. Au fil du récit, cette combattante emporte l'adhésion.
Un temps retrouvé. Quinze ans pour filmer un (morceau) de vie. C'est assez rare mais ce "genre" de challenge est de plus en plus stimulant pour les cinéastes et les documentaristes. Il était une fois une jeune femme Rom qui arrive en territoire hostile et grisâtre.... A la fin elle est heureuse et a 6 petits-enfants! C'est presque un conte de fée, avec un roi débonnaire (communiste) et une marraine bienveillante, où les années et les saisons n'ont aucune importance: le temps, comme les territoires, n'ont pas d'autres frontières que celles inventées par l'humain. On remonte le Danube spatialement, les années s'écoulent temporellement. Mais ce temps étiré donne une force singulière à ce film humble et motivé. Cette intensité propre aux films qui ne trichent pas grâce à l'authenticité sert de socle à l'ensemble, morceau brut de réalité. Cette humanité universelle et cette temporalité si spécifique permettent au documentaire de nous laisser avec un mélange de sentiments rassurant et serein, de ceux qui nous font croire que tout n'est pas perdu pour vivre ensemble.