Les ressorties de l’été 2016 (10) : En quatrième vitesse de Robert Aldrich
Pour le dernier épisode des ressorties de l'été 2016, penchons-nous sur un chef d'oeuvre du film noir qui revient sur les grands écrans en version restaurée grâce à Ciné Sorbonne : En quatrième vitesse (Kiss me deadly) de Robert Aldrich, une enquête sombre et poisseuse menée par le détective privé Mike Hammer originellement créé par l'écrivain Mickey Spillane.
Ce personnage de privé peu recommandable, égoïste et prétentieux, prend plaisir à asséner coups de poing et coups bas, voire torturer ses ennemis, et ne recule à peu près devant rien pour parvenir à ses fins. Dans cette aventure d'une noirceur exacerbée, il est confronté à un ennemi tout-puissant qui sème cadavres et terreur autour de lui. L'enjeu du film, on ne le saura qu'à mi-parcours, est de retrouver un objet mystérieux qui intéresse aussi bien la pègre que la police...
On l'aura compris, Robert Aldrich signe un archétype de film noir, où les frontières entre mal et bien sont on ne peut plus confuses, et où le cheminement de l'intrigue compte plus que l'intrigue en elle-même. Dès la séquence d'ouverture, splendide et anxiogène, on sait que l'on a affaire à un grand film : une femme court, de nuit, sur une route déserte. Elle est visiblement nue sous son imperméable, sans chaussures, et passablement terrifiée. Pour arrêter la voiture qui pourrait peut-être l'emmener loin de là, elle n'hésite pas à faire mine de se jeter sous ses roues. Le conducteur (Mike Hammer, évidemment) lui propose alors de monter, et tandis qu'elle s'exécute, le générique commence avec, du début à la fin, la respiration saccadée et rauque de la jeune femme qui tente de reprendre son souffle.
La suite du film ne déçoit pas qui, entre violence brute, sous-entendus sexuels et parfum de corruption, ne fait guère de concession au politiquement correct. L'enquête nous mène d'un specimen à un autre de cette étrange Amérique dévoyée : les femmes sont lascives et dangereuses, les hommes sont veules et brutaux. Tous semblent guidés par leurs plus bas instincts plutôt que par leur intelligence. Quant au dénouement, il propose une allégorie parfaite du climat pré-apocalyptique de l'époque. Suprême intelligence de Robert Aldrich et de son scénariste A.I. Bezzerides (qui avait totalement repensé le roman original) qui privilégient jusqu'à la fin l'abstraction au concret, le poétique au réaliste.
D'autant qu'En quatrième vitesse est également d'une audace stylistique effarante : générique défilant à l'envers, perspectives renversées, ellipses gonflées... On est effaré par l'inventivité d'Aldrich, mais aussi par son indéniable modernité. Pas étonnant que François Truffaut, qui avait écrit "pour apprécier Kiss me deadly, il faut aimer passionnément le cinéma", n'avait pas peur d'y "saluer une idée par plan" (Les Films de ma vie - François Truffaut).
Soixante ans plus tard, le plaisir ne se dément pas.
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En quatrième vitesse de Robert Aldrich
Sortie le 31 août en version numérique 4k
Distribué par Ciné Sorbonne
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