Rithy Panh scrute un bourreau Khmer dans un documentaire et dans un livre

Posté par vincy, le 18 janvier 2012, dans Actualité, société, Films, Personnalités, célébrités, stars.

Le film documentaire Duch, le maître des forges de l'enfer, de Rithy Panh, sort aujourd'hui sur les écrans. Panh continue d'explorer le passé tourmenté du Cambodge. Entre 1975 et 1979, le régime des Khmers rouges a causé la mort d'environ 1,8 million de personnes soit un quart de la population du pays. Le film s'intéresse à Kaing Guek Eav, dit "Duch", qui dirigeait alors le centre de détention et de torture S-21, dont personne ne sortait vivant. En juillet 2010, Duch fut le premier dirigeant Khmer à comparaître devant une cour de justice pénale internationale, qui le condamna à 35 ans de prison. Il fit appel du jugement.

Ici, il tente de se justifier en se racontant face caméra. Ou plutôt en face à face avec le spectateur. Un vieillard a priori banal, plutôt érudit, qui a été le responsable de la mort de 15 000 êtres humains, celui qui a traumatisé certains adolescents en les nommant bourreaux. C'est un complément au plus célèbre documentaire du réalisateur, et son film le plus primé, S21, la machine de mort Khmère rouge, sorti en 2002. Dutch clame qu'il n'était qu'un rouage d'un système. Un élément qui ne peut s'empêcher de sourire et de rire en lisant les interrogatoires, les aveux sous la torture qu'il annotait... Menteur et manipulateur, il est expert en rhétorique quitte à contredire ses engagements passés au nom d'une vérité plus grande contemporaine.

Il élimine. L'élimination est aussi le titre du livre qui accompagne le film, publié aujourd'hui et édité chez Grasset. Rithy Panh rédige un livre bouleversant où il raconte ces heures d'entretien avec le sanguinaire. Co-rédigé avec Christophe Bataille, le livre sonne juste. La pudeur l'emporte souvent. Panh en profite pour faire partager son attachement au Cambodge, et ses obsessions : le passé, la mémoire, l'enfance perdue, qu'on retrouve à travers toute son oeuvre cinématographique.

Le livre et le film sont ainsi hantés par la vision d'un enfer qui semble si loin et qui finalement reste si proche. "Je vois encore mes neveux et ma nièce, affamés, quel âge ont-ils, cinq et sept ans, ils respirent mal, regardent dans le vague, halètent. Je me souviens des derniers jours, du corps qui sait" écrit-il. Il se souvient de tous ces visages qui ont souffert autour de lui.

C'est sans doute pour Panh un douloureux exercice. Sa seule façon d'exorciser ses démons puisque Duch n'avoue jamais son crime. La vérité ne surgit même pas dans le regard. La dissimulation est le pire des mensonges. Le film épie le bourreau, tandis que le livre préfère se concentrer sur la victime, un garçon qui se retrouve orphelin à l'adolescence.

Rithy Panh continue de chercher, de comprendre. Endeuillé à jamais, en désarroi permanent, il évite les complaisances et les facilités, et explique comment ce totalitarisme a broyé un pays entier, en niant les individus, jusqu'à torturer une femme pour avoir écrire des lettres d'amour.

Le cinéaste a écrit sa lettre d'amour à un peuple. Malgré l'atmosphère mortifère qui règne aussi bien dans les plans du film que dans les pages du livre.

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