Il y a toujours eu une aura de mystère autour de Terrence Malick. Avec une filmographie dispersée d’environ 6 films en 40 ans de carrière, le réalisateur semble désormais vouloir ne plus s’arrêter de tourner en travaillant sur plusieurs projets en même temps. Ses deux premiers films La Balade sauvage en 1973 et Les Moissons du ciel en 1978 en ont fait un cinéaste culte d’autant plus qu’il ne montrera plus aucun film avant La Ligne rouge en 1998 suivi par Le Nouveau Monde en 2005, avant de faire à nouveau silence. La gestation de The Tree of Life est particulièrement longue et le film arrive enfin au festival de Cannes 2011. Il remporte la Palme d’or, qui divise les festivaliers. The Tree of Life est un tournant particulièrement significatif dans sa filmographie au regard de ses deux autres diptyques : Terrence Malick y montre une histoire inspirée de sa propre jeunesse se mélangeant à des images de création du monde et une vision de l'au-delà.
Depuis Terrence Malick prépare au moins 4 autres films. Premier d'entre eux à arriver sur les écrans, To the Wonder, très proche de Tree of Life, est présenté en compétition au Festival de Venise. Malick est absent. Resté aux USA selon le producteur du film. Les stars du film - Rachel McAdams et Ben Affleck - sont également ailleurs.
Seules Olga Kurylenko (Quantum of Solace) et la figurante Romina Mondello étaient présentes pour défendre le film. Tout comme The Tree of Life qui avait reçu un accueil très contrasté à Cannes, entre bravos et huées, il en a été de même pour To the Wonder : applaudissements et sifflements. To the Wonder reprend la même esthétique formelle pour cette fois sublimer une histoire d’Amour.
Les premières sensations
Le film s'ouvre sur des images qui ont le grain d’une vidéo. Un couple amoureux dans Paris, "so" carte postale, puis le cinémascope reprend ses droits, accompagné d'une musique classique (instruments à cordes plutôt qu'accordéon) qui nous baladent vers les bords de Seine et le Jardin du Luxembourg. "So" romantique. On y suit Ben Affleck et Olga Kurylenko en pleine romance parisienne. En voix-off, l'actrice française d'origine ukrainienne raconte : “tu m’as sortie des ténèbres, tu m’as ramassé du sol, tu m’as ramené à la vie, tu te souviens ?” Le couple prend alors le train pour découvrir la merveille du titre ("the wonder" en anglais) qu’est le Mont Saint-Michel. Olga Kurylenko a déjà une petite fille de dix ans. Toute la famille part aux USA. Leur union si belle va alors s’effriter. Mélo total, elle retourne en France avec sa fille, tandis que lui croise Rachel McAdams... Les vastes étendues du Midwest américain qu'affectionne tant le réalisateur se déplient sous nos yeux.
Contrairement à ce que laissait penser la première photo officielle du film, Rachel McAdams a un rôle plutôt secondaire. To the Wonder est avant tout l’histoire d’amour entre Ben Affleck et Olga Kurylenko. Une histoire d’Amour avec un grand A, qui dépasse même la volonté et le désir de l’un et de l’autre.
La grande surprise de To the Wonder vient de l’usage du langage. Il fait entendre différentes langues même si la plus grande partie est en américain, la femme parle en français ; on y entend aussi de l’espagnol et aussi un peu d’italien. Ce mélange digne de Babel produit une musicalité particulière. Pourtant, les 2 heures du film ne comportent en réalité que très peu de dialogues ; le réalisateur a coupé presque toutes les séquences avec des personnages secondaires : ainsi, Jessica Chastain, Rachel Weisz, Amanda Peet, Michael Sheen, ou Barry Pepper qui ont pourtant tourné quelques scènes ont disparu du montage final. Il ne reste que Romina Mondello pendant 3 minutes.
Entre poésie mystique et voyage initiatique, To the Wonder est une oeuvre sur le doute (que ce soit celui de la foi ou celui de l'amour), sur l'équilibre vulnérable des choses (une relation, la nature, ...) et sur la souffrance (entre les êtres ou celle de la planète). Il fait entrer au Musée des magnifiques images du monde comme Yann Arthus-Bertrand sauvegarde en photo les plus précieux lieux vus du ciel. Malick semble vouloir rendre immortel les merveilles de "Dieu" et celles de l'Homme. Un maniérisme stylisé, mais cela suffit-il?
Filmer l'invisible ostensiblement
L’objectif de la caméra est souvent tourné vers le sol et encore plus souvent en contre-plongée avec le ciel : il appuie son message par un sens didactique des images : la beauté de la création du monde (encore une fois), fragile, celle des hommes, admirables et surtout la beauté de l’Amour, autour duquel on tourne. Le cinéaste se laisse aller de nouveau à son penchant pour la cosmogonie en filmant au plus près des éléments comme l’eau, les champs de blé, des couchers de soleil, des levers de soleil, le vent... tout cela avec une impression de souffle sacré. En écho à sa jeunesse, la religion tient dans ce film une place très importante avec Javier Bardem en prêtre : communion avec l’ostie, sacrement du mariage, et bible dont quelques citations sont énoncées. Le personnage de Olga Kurylenko confesse qu' “il y a toujours quelque chose d’invisible mais que je sens si fort”...
Malick croit définitivement au destin. Sa morale pourrait commencer à déranger tant on y voit, en sous-texte, un message plus chrétien que philosophique. Au mieux, une interrogation. Ce déterminisme conduit à une destinée amoureuse dans le chaos universel. Mais surtout, le cinéaste veut encore croire à une forme d'utopie : l'amour idéal en plein Eden, avant qu'on ait croqué la pomme.
La compétition pour le Lion d’or de Venise reste encore ouverte…