Cri d’alarme de 194 professionnels du cinéma français

Posté par vincy, le 19 juin 2014, dans Business, Personnalités, célébrités, stars.

92 auteurs (dont Pascale Ferran, Cédric Klapisch, Sébastien Lifshitz, Michel Ocelot, Rithy Panh, Bertrand Tavernier...), 20 distributeurs (Le Pacte, Memento, Diaphana...), 26 exploitants, 33 producteurs, 16 politiques et parlementaires (presque tous à gauche et plutôt à la gauche du gouvernement), 7 professionnels et personnalités (dont Gilles Jacob et Pierre Lescure) estiment que le financement des films est aujourd’hui en danger. À l’approche des arbitrages budgétaires qui pourraient se traduire par de nouvelles ponctions sur le budget du CNC, ils ont signé un cri d'alarme collectif dans le Huffington Post.

Politiquement, le plus amusant est qu'on y retrouve de nombreux soutiens à François Hollande, et même des proches de membres du gouvernement actuel. Leur appel surgit au bon moment puisque les derniers chiffres sur le nombre de tournages en France est en chute libre depuis janvier : 51 longs métrages ont été recensés entre janvier et mai contre 72 à la même période l'an dernier. La baisse est de 32%. Elle est pire si on prend en compte le volume des budgets : -33%. Certains accusent déjà la nouvelle convention collective qui a alourdi les coûts du travail et d'autres s'inquiètent de la nouvelle convention chômage pour les intermittents.

"On ne le sait pas assez mais de 2011 à aujourd'hui, ce ne sont pas moins de 310 millions d'euros qui ont été soustraits au financement du cinéma et de l'audiovisuel" expliquent-ils en préambule. Car tout a commencé en 2011 avec 20M€ en moins, aggravé en 2012 avec 50M€, empiré en 2013 avec 150M€ et un peu calmé cette année avec "seulement" 90 M€.

Les "194" rappellent que "les secteurs aidés par le CNC représentent plus de 16 milliards d'euros en valeur ajoutée et plus de 340 000 emplois."

"Avec le détournement programmé d'une partie du produit des taxes pour combler le budget de l'État, notre pays s'engagerait résolument dans la voie d'une politique dangereuse, déstabilisante et illégitime" considèrent les signataires, qui pensent que cette voie est un "pacte d'irresponsabilité". Au nom de l'exception et de la diversité culturelle, ils demandent que l'Etat ne désarme pas le CNC et les ambitions audiovisuelles du seul pays européen encore capable de résister à l'hégémonie américaine.

Ces 194 personnalités du cinéma signent un appel dont voici l'intégralité du texte.

Trop, c'est trop!

Depuis plusieurs années, notre pays s'est engagé dans un effort sans précédent de réduction de la dette et des déficits publics. Comme beaucoup d'autres, la politique de l'audiovisuel, du cinéma et le Centre National du Cinéma (CNC) ont été mis à contribution.

On ne le sait pas assez mais de 2011 à aujourd'hui, ce ne sont pas moins de 310 millions d'euros qui ont été soustraits au financement du cinéma et de l'audiovisuel.

L'effort était important, il participait d'une démarche de solidarité nationale contre laquelle personne ne s'est élevé en cette période de crise. Mais, il doit désormais aussi trouver une limite : la justice et l'efficacité.

Or, à l'heure des arbitrages pour la loi de finances pour 2015, nous poussons un cri d'alarme.

Nul autre pays en Europe n'a su développer une politique du cinéma et de l'audiovisuel aussi efficace que la France. Qu'on en juge : une fréquentation inégalée en salles de 200 millions de spectateurs chaque année, une création cinématographique supérieure à 200 films par an, une part de marché moyenne des films français de l'ordre de 40% (28% en Italie, 22% en Allemagne), une production audiovisuelle de plus de 5 000 heures par an et exportée à travers le monde entier (+14,8% en 2012), avec notamment une filière animation qui fait de la France le leader européen et la troisième puissance mondiale... Et l'impact économique est également important : les secteurs aidés par le CNC représentent plus de 16 milliards d'euros en valeur ajoutée et plus de 340.000 emplois.

Ces résultats reposent sur un financement public original pesant non pas sur le budget de l'État mais sur des taxes prélevées sur les recettes de tous les diffuseurs du cinéma et de l'audiovisuel. Affectées au CNC, et mutualisées au profit de la création française et européenne, ces taxes sont l'oxygène de la politique cinématographique et audiovisuelle.

L'an dernier, le gouvernement s'était engagé à ne plus ponctionner à l'avenir les ressources du CNC. Ces promesses sont en passe de s'envoler : avec le détournement programmé d'une partie du produit des taxes pour combler le budget de l'État, notre pays s'engagerait résolument dans la voie d'une politique dangereuse, déstabilisante et illégitime.

  • Dangereuse, l'initiative le serait assurément après déjà trois années de ponction conséquente des ressources du CNC. Les réserves, destinées à garantir les créances, ont progressivement disparu et le risque est maintenant réel de mettre en péril le soutien au cinéma et à l'audiovisuel.
  • Déstabilisante aussi car elle autoriserait chaque année l'État à fixer le niveau de ressources qui pourrait être soustrait au CNC, faisant planer de lourdes incertitudes sur une politique du cinéma et de l'audiovisuel, transformée en une simple trésorerie dans laquelle puiser.
  • Illégitime et confiscatoire même : comment justifier que des entreprises mises à contribution pour financer la création audiovisuelle et cinématographique voient finalement ces taxes utilisées pour boucher les trous du budget général ? Ce serait non seulement nier le principe d'affectation de ces taxes mais aussi instiller l'idée destructrice qu'il existe une sur-fiscalité culturelle.

Nous ne voulons pas croire que ce véritable pacte d'irresponsabilité pour notre cinéma et notre audiovisuel puisse dessiner demain les contours d'une politique. À l'heure de la multiplication des écrans et des canaux de diffusion et alors que le besoin d'images, d'œuvres cinématographiques et audiovisuelles continue de croître de façon exponentielle, ce serait un suicide politique et culturel que de désarmer le CNC et de mettre un terme à 70 ans d'ambitions pour le cinéma et l'audiovisuel avec des résultats uniques en Europe et dans le monde.

Nous n'oublions pas qu'il y a un an, notre pays, réuni et rassemblé, défendait l'exception culturelle. Il le faisait avec vigueur et efficacité en obtenant l'exclusion de l'audiovisuel et du cinéma des négociations commerciales entre l'Europe et les États-Unis.

Nul ne comprendrait que la France renonce aujourd'hui à ce qu'elle a défendu avec tant de force et de justesse auprès de ses partenaires européens : sa conviction en une politique ambitieuse en faveur de la diversité culturelle, du cinéma et de l'audiovisuel.
Nul ne le comprendrait car ce serait proprement incompréhensible.

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