Cinespana 2015 : El gran vuelo de Carolina Astudillo

Posté par MpM, le 8 octobre 2015, dans Cinespana, Critiques, Festivals, Films.

El gran VueloPrix du meilleur documentaire au dernier festival de Malaga, El gran vuelo de Carolina Astudillo fait partie de la sélection « Politique et société » du 20e festival Cinespana, qui propose un regard acéré sur le passé et le présent de l’Espagne. Aux côtés d’œuvres plus ancrées dans l’actualité, traitant de thématiques comme la corruption au cœur du système politique et judiciaire espagnol ou la lutte d’associations engagées contre les expulsions immobilières, El gran vuelo s’avère un étonnant objet cinématographique, à mi-chemin entre la recherche expérimentale, le portrait saisissant et le constat amer des nombreux échecs des luttes politiques passées.

Au centre du film, il y a la mystérieuse Clara Pueyo Jornet, militante du Parti communiste qui prit part à la guerre civile et s’échappa des geôles franquistes dans les premières années de la dictature avant de disparaître à jamais. De cette femme, figure centrale de la résistance en Catalogne à la jonction entre les années 30 et 40, on ne sait presque rien. Très peu d’images subsistent d’elles, et les rares témoignages à son égard sont flous et inconsistants. C’est presque à la rencontre d’un fantôme que part Carolina Astudillo.

Munie d’une poignée de photographies usées et de quelques lettres confisquées, la jeune cinéaste reconstitue dans leurs grandes lignes les années charnières de l’existence de son personnage, détaillant les photos jusqu’à les rendre floues, s’accrochant aux moindres informations distillées dans les documents en sa possession. Sa grande intelligence est d’avoir transformé la faiblesse de son propos (le manque cruel d’éléments) en une formidable idée de cinéma.

el gran vueloPuisqu’elle ne peut montrer des images animées de Clara, elle les suggère en utilisant des films amateurs de l’époque, où d’autres fillettes, puis des jeunes femmes, connaissent les mêmes expériences : première communion, jeux, travail… Le rythme hypnotisant des images, le noir et blanc granuleux, la musique lancinante et parfois même dissonante contribuent à donner de Clara une impression fantomatique et au fond insaisissable. Il faudra, et c’est devenu rare de nos jours, se contenter de ces bribes, et renoncer à savoir ce qu’il est advenu de la jeune femme après qu’on a perdu sa trace.

Carolina Astudillo transforme alors son personnage en allégorie d’une époque et d’un engagement. A travers le portrait en creux de Clara, c’est celui de l’Espagne révolutionnaire des années 30 et 40 qu’elle esquisse. Elle dit l’impossible émancipation féminine, même au sein du mouvement républicain, les difficultés à s’aimer librement dans une société entièrement corsetée par la religion catholique, la guerre qui envahit tout, même les jeux des enfants. Elle propose également une passionnante réflexion sur l’image et l’absence d’image, la manière dont sont filmés les corps en fonction des époques et des milieux : corps niés des bonnes d’enfants, corps faussement glamour des prisonnières…

On ne peut évidemment s’empêcher de dresser un parallèle entre ces luttes d’autrefois et celles d’aujourd’hui, qui font dans une certaine mesure appel aux mêmes instincts. Il y a d'ailleurs quelque chose d’éminemment pessimiste dans El gran vuelo, donnant l’impression que l’engagement personnel est un acte violent et destructeur, souvent mal compris et difficile à mener à bien. C’est l’une des interprétations possibles de la disparition mystérieuse de Clara Pueyo après son évasion réussie de la prison de Barcelone, où elle attendait d’être exécutée. On sent dans ses dernières lettres une usure et une lassitude, presque un renoncement. S’il ne dissipe pas le mystère, ce portrait ténu et audacieux ravive avec justesse et subtilité la mémoire de cette combattante qui a volontairement choisi l'oubli, non par renoncement envers ses idéaux, mais au contraire par fidélité absolue.

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