Les César meurent, et ça n’est pas plus grave que ça

Posté par redaction, le 14 février 2020, dans Prix.

Ça n'en finit pas. Les César sont dans la tempête. Et on n'a rien écrit dessus. On reçoit bien les communiqués des uns et des autres, de l'Académie qui se défend et de ceux qui l'attaquent, des parties de ping-pong où l'Académie s'enfonce chaque fois un peu plus dans la crise, jusqu'à personnaliser, cristalliser le débat autour de son président, le producteur Alain Terzian. On comprend bien les polémiques. On aurait tendance à soutenir les accusateurs. Et pourtant, on a attendu la Saint-Valentin pour en parler. C'est une histoire de divorce, ça tombe bien.

Pourquoi ça nous indiffère? Parce que cela fait longtemps que les César ne sont plus un événement à nos yeux. On couvre la cérémonie en annonçant les nominations et le palmarès. Service minimum de l'information. Mais sinon, quel intérêt? Quel impact? A part faire parler les professionnels de la profession, flatter les vainqueurs, qui peut s'intéresser à une telle branlette médiatique? L'acte courageux serait de ne pas aller aux César, si on ne soutient pas l'actuelle et future défunte direction, ni sa politique. Des 400 signataires d'une tribune aussi juste que virulente, combien feront quand même acte de présence salle Pleyel? On pense aux producteurs, à Karin Viard, Roschdy Zem, Céline Sciamma, Anthony Bajon, tous nommés cette année. On vous encourage à libérer votre soirée, et vous amuser davantage ailleurs.

Influenceurs

Il suffit de connaître les cuisines depuis quelques années pour comprendre notre point de vue. Il faut débourser 90€ pour être membre. Les dernières révélations nous ont confortés dans notre appréciation. Le fameux coffret n'est pas exhaustif. Le ticket d'entrée est même assez cher (6600€, ça peut calmer les petits distributeurs ou même les moyens qui doivent défendre plusieurs films). Et ne parlons pas de l'empreinte carbone. Pourquoi ne pas tout mettre sur une plateforme numérique et cryptée? Ainsi les nominations sont influencées: les petits films n'ont aucune chance d'être repérés, même en étant soutenu par la critique. Et entre la liste des préconisations pour les espoirs (qui en plus rejettent des Virginie Despentes et Claire Denis comme marraines) et les labels techniques qui ferment le choix à quelques films, les nominations n'ont plus rien de représentatif des goûts d'une profession, qui n'a de toute façon pas le temps de voir le quart des films en course.

Perte d'influence

Ne parlons pas du vote: l'ergonomie de la plateforme est digne d'un site de vidéo à la demande français. Avec des menus déroulants infinis. L'Académie est sous le feu des critiques (elle a démissionné hier, après avoir demandé une médiation au CNC, après avoir cru que le gros vent se calmerait), son président est accusé de conflits d'intérêts avec Canal + dans un quotidien ce matin, sa tambouille apparaît au grand jour. Il faut dire que les César, avec leur soirée souvent ratée, leur audience faiblarde et le manque d'impact pour les films récompensés au box office, sont plus à cheval sur l'idée de ne pas mettre un s à César au pluriel que de pouvoir justifier l'incompatibilité d'un césar du meilleur film et d'un césar du meilleur réalisateur, ou le quota obligatoire de deux films francophones dans la catégorie film étranger (ça donne des nominations étranges), ou d'une année sur l'autre une catégorie animation fusionnant les courts et les longs ou scindant les deux.

Branding

Sans parler des César d'honneur, choix du chef. Aucun français depuis 2008 (et encore c'était le second pour Jeanne Moreau et un posthume pour Romy Schneider) et une allégeance à Hollywood qui devient insupportable. Rappelons que Nanni Moretti, Mike Leigh, Ken Loach, Wim Wenders, Claude Lellouch, Michel Piccoli, Charlotte Rampling, Kristin Scott Thomas, Ridley Scott, Wong Kar wai, Costa Gavras manquent à l'appel...

A la vue des prochains César, on se dit surtout que quelques beaux films, récompensés qui plus est, ont été zappés au détriment d'un certain cinéma. Notamment des films de femmes comme Atlantique, Proxima, C'est ça l'amour, Tu mérites un amour, Les estivants... Formellement, c'est consensuel, voire répétitif. A force de privilégier des films du milieu, d'inventer le César du public, de bouder les propositions audacieuses d'un cinéma éclectique et cosmopolite, les César sont devenus moyens. Aucune surprise. Et si les films cannois dominent toujours, c'est bien parce que Cannes est le seul endroit où la profession voit les films. Sans parler de la non représentativité des 4600 votants avec seulement 35% de femmes parmi eux.

Tout cela pourrait-on dire n'est finalement qu'un vote de la profession. Mais on voit bien à quel point, au fil des années, la belle cérémonie s'est dévoyée, surtout en interne. Ce n'est pas une question de bon joueur, mauvais joueur. On doit accepter le vote démocratique des professionnels membres de l'Académie. Mais les propositions (coffret, catégories labellisées) et les résultats (le César du meilleur réalisateur peut revenir au 2e dans l'ordre des votes) sont manipulés, les César d'honneur décidés par un seul homme, truquent le jeu. Le président peut même imposer une nomination, grâce à un règlement fait sur mesure pour lui donner tous les pouvoirs. Tout cela est opaque, sent l'entre-soi, refuse le changement. Alors, non, pas une larme pour ces César. Et soutien total à ceux qui veulent révolutionner l'Académie.

Avé César, morituri te salutant. Oops, finalement c'est César le tricheur qui est mort. Le temps de se refaire une petite santé. Cela ne peut-être que salutaire.

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