Adieu Bacri (1951-2021)

Posté par vincy, le 18 janvier 2021, dans In memoriam, Personnalités, célébrités, stars.

bacri

Il avait le goût des autres. Un certain sens de la fête. Un air de famille. Il faisait partie dans l'inconscient collectif de nos meilleurs copains, ceux avec qui on aurait aimé passer l'été en pente douce. Jean-Pierre Bacri est mort des suites d'un cancer à l'âge de 69 ans. Et ça nous rend triste.

Pour beaucoup, il restera un peu ce grincheux permanent, ce loser à l'humour grinçant, ce charmeur aux répliques acides, celui qui jouait le drôle comme un drame. Durant près de 40 ans, il a été l'incarnation d'un Français "moyen" mais humaniste, humble mais flamboyant, sentimental et attachant. Il est révélé par Alexandre Arcady (Le grand pardon et Le Grand carnaval). Il éclate dans Coup de foudre de Diane Kurys. Il empoche sa première nomination aux Césars avec Subway de Luc Besson. Il peut être sombre dans la comédie et lumineux dans le noir. Il attirait le personnage à son tempérament, quitte à faire oublier toutes les subtilités de son jeu, beaucoup plus riche qu'en apparence.

Jaoui

Avant de devenir l'un des premiers rôles (et râleurs) les plus aimés du cinéma français, il avait débuté au théâtre avec Lorenzaccio, Ruy Blas, Don Juan (en Sganarelle) puis Ribes / Topor , Pinter et Brecht. C'est d'ailleurs la scène qui va le rendre incontournable. Observateur des mœurs, conscient des luttes sociales, engagé, il écrit ses premières pièces des ses débuts à la fin des années 1970. Mais c'est sa rencontre avec Agnès Jaoui, en 1987 sur le plateau de L'anniversaire, qui deviendra sa compagne durant un quart de siècle, et qui va sceller un destin d'écriture à quatre mains hors du commun. Elle-même l'a confié au Monde ce week-end: "Je ne serais pas arrivée là, bien sûr, si je n’avais pas rencontré Jean-Pierre Bacri. Voilà quelqu’un qui exprimait ce que je ressentais sans même me l’être formulé ; qui avait des réflexions qui me percutaient, me soulageaient, témoignaient de valeurs communes, d’un rapport au bien et au mal que je partageais, avec une conviction qui m’émerveillait car elle était si singulière !"

Les "Jabac" - surnom donné par Resnais - se lancent dans Cuisine et dépendances en 1991 puis Un air de famille en 1996, devenus des classiques sans cesse repris, en plus d'avoir été des succès populaires et cultes au cinéma. Il fera un dernier tour sur les planches avec Les Femmes savantes, mis en scène par Catherine Hiegel.  Il est couronné par un Molière du comédien, 25 ans après avec partagé celui de l'auteur avec sa compagne d'alors pour Cuisine et Dépendances.

Sur le grand écran, il passe par la sensibilité de L'été en pente douce, le délire des Saisons du plaisirs, la mélancolie de La Baule-Les-Pins, l'authenticité de Mes meilleurs copains... Il est un second-rôle idéal, celui qui met du relief aux dialogues et qui renvoi si bien la lumière sur l'ensemble du groupe. Populaire, il n'avait jamais transigé. Employé de banque, venu par hasard au théâtre, le méditerranéen était beau gosse (avec des cheveux) avant de se métamorphoser parisien plein d'esprit et dont les prises de paroles faisaient du bien. Il menait une vie peinarde. Discret, avec ses habitudes, sans trop de contraintes.

Chabat

Comme pour Jaoui, c'est l'adaptation de leur propre pièce, Cuisine et dépendances, qui révèle sa nature comme son don pour les personnages un brin cynique ou désillusionné. Un air de famille le rend alors populaire, sans qu'il ne fasse de compromis. Il enchaîne avec trois films très différents qui le positionne parmi les comédiens les plus bankables: Didier d'Alain Chabat, poussant vers l'humour absurde, On connaît la chanson d'Alain Resnais, déclinant son personnage d'angoissé, et Place Vendôme de Nicole Garcia, protecteur de Catherine Deneuve. Cette fois-ci, il est au premier plan, incisif, hilarant ou séducteur.  Avec Alain Chabat, c'est l'histoire d'une fidélité: projectionniste tué dans La Cité de la peur, invité de "Les Nuls l'émission" ou de "Burger Quiz", scénariste invité dans Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre (en plus d'en être le narrateur), participation dans Santa & Cie...

Jean-Pierre Bacri tourne peu, mais sûrement. Il réfute les clichés et préfère chercher l'humanité, l'empathie, la profondeur d'un personnage, peu importe qu'il soit chef d'entreprise proche du burn-out, barman sifflotant un générique de jeu TV, proxénète, éditeur égocentrique, ou vendeur de brosses à dents. "Je ne joue pas toujours des personnages râleurs !" rappelait-il en 2015 l’AFP. Certes, il n'aimait pas l'irréel des héros, la triche du surjeu, le mensonge du bonheur total. Il préférait "traquer le vécu, la sobriété, la pudeur", même si le rôle est abject. C'était une gueule. On lui reprochait de toujours faire la gueule. A tort. Lançons un (Ba)cri du coeur, il souriait, riait même, et savait montrer sa générosité et sa chaleur. Car, on l'oublie, il aimait aimer. Ses personnages courait après l'amour, ceux fanés, inaccessibles ou maladroits. L'amour au centre de tout: se fichant d'être aimé, il faisait quand même tout pour que son personnage le plus antipathique ne soit pas détestable. "Je joue des gens qui ont des problèmes, placés face à des contradictions, c'est ce qui m'amuse le plus" précisait-il, préférant jouer "vraiment le contraire" de ce qu'il pensait être.

Lauriers

Il est évidemment formidable dans Le Goût des autres d'Agnès Jaoui, leur meilleure satire, mais il sait aussi transcender les scènes chez Noémie Lvovsky (Les sentiments) ou Pascal Bonitzer (Tout de suite maintenant) ou dans Une femme de ménage de Claude Berri. Pourtant, ce sont dans des films plus décalés qu'il brille et qui démontre son goût très sûr pour les bons scénarios, les grands personnages, souvent seuls dans des univers singuliers, et les cinéastes au ton si personnel (Adieu Gary de Nassim Amaouche, Kennedy et moi de l'ami Sam Kermann, La vie très privée de Monsieur Sim de Michel Leclerc...).

Choisir Bacri dans un film c'est lui donner une tonalité particulière, où l'on ne voit plus que ce faux misanthrope, ce bougon faussement détaché ou ce solitaire malgré lui. Et à chaque fois, aucune fausse note. Un naturel confondant au point de le confondre avec ses rôles. "Je fais en sorte qu'on ne voie pas les coutures, qu'on ait l'impression que je suis en train de vivre la situation. Je crois qu'un acteur doit avoir une certaine empathie pour les gens, pour les comprendre et donc pour les jouer, ressentir leurs émotions" disait-il dans Le Figaro il y a trois ans. Le sens de la fête en 2017, d'Olivier Nakache et Eric Toledano, représente à ce titre l'acmé de son jeu dans une troupe où il sait être à sa place: centrale mais collective. Ce sera la dernière de ses sept nominations aux César (celui-là, il le méritait pourtant), César qu'il aura eu en tant qu'acteur pour un second-rôle (1998) mais quatre fois comme scénariste avec Jaoui (en plus d'un prix du scénario à Cannes et deux European Awards).

On ne le dira jamais: auteur génial, il était aussi un grand acteur. Sans aucune nostalgie pour l'enfance, il s'était épanoui avec la maturité, comme un grand vin. Il avait conquis sa liberté, son indépendance. "Je ne veux plus des dimanches soir mortels d’ennui de mon enfance, des levers à l’aube pour aller travailler à l’école, au lycée, à la banque. J’ai trop vécu alors de petit spleen en petit spleen" clamait-il dans Télérama. Il lui restait de sa jeunesse "Une certaine futilité, un goût stupide de l’amusement, des plaisirs gamins... Une paresse de cancre aussi".

Dans l'hebdomadaire, il affirmait: "Je ne regrette aucun des films où j’ai joué, je n’en mythifie aucun non plus. Une vie d’acteur est nourrie de l’accumulation d’expériences, quelles qu’elles soient. Je ne sacralise pas ce métier." Nous, on aurait quand même bien envie de le sacriliser tant il a offert des barres de rire, de grands moments d'émotion et une vision de l'humain à contre-courant des comédies populaires et du diktat artificiel du bonheur imposé par la télévision. Il y avait quelque chose en nous de Bacri.

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