Agnès Varda est une formidable guide à l’intérieur de son propre cinéma, elle l’a déjà prouvé à plusieurs reprises et notamment en 2008 avec Les plages d’Agnès qui fut présenté hors compétition à Venise. On pourrait peut-être croire qu’à force de faire sa propre exégèse, elle allait finir par se répéter, mais Varda par Agnès (à Berlin en sélection officielle hors compétition) prouve habilement qu’il n’en est rien. La réalisatrice n’a pas son pareil pour livrer une analyse distanciée de son travail, et incorporer à cette analyse une réflexion plus large sur le cinéma et sur la vie en général.
Le film permet par exemple de comprendre le cheminement qu’a suivi sa carrière, de La courte pointe en 1955 à Visages, Villages avec JR en 2017. Elle dresse des parallèles et des ponts entre ses différents projets (installations comprises) et raconte avec humour comment l’engagement politique qui était le sien, couplé à son sens du dispositif cinématographique, l’ont menée à filmer Cléo de 5 à 7 en temps réel (analyse de séquences à la clef), s'intéresser au mouvement des Black Panthers (Black Panthers) ou faire chanter un répertoire féministe à Valérie Mairesse dans L'une chante, l'autre pas pour que le propos soit "un peu moins raide" tout en exprimant clairement son point de vue sur le droit des femmes à disposer de leurs corps.
La construction, qui alterne des extraits de masterclasses données par Varda devant différents publics, des extraits de films, et des rencontres impromptues avec l'actrice Sandrine Bonnaire ou la directrice de la photo Nurith Aviv, offre à la fois une vivacité de montage et un ton très joyeux. Agnès Varda ne confie à personne le soin de parler d’elle-même, et le fait avec l’autodérision qui la caractérise (concernant par exemple Les Cent et Une Nuits de Simon Cinéma : "un désastre") mais aussi avec le recul permettant de remettre son expérience et son travail dans leur contexte, notamment social et politique.
Avec elle, on revit plus de cinquante ans de luttes et d’interrogations sociétales, ou tout simplement humaines. On se souvient des « glaneurs », des Justes, des veuves de Noirmoutier. On réfléchit à ses côtés à ce que signifie faire du documentaire, ou plus précisément avoir une approche documentaire, même dans la fiction. Comment filmer au plus près et au plus juste. Comment représenter et donner la parole. En quelque sorte commet aborder le monde, quand on se promène une caméra à la main. Mais bien sûr Agnès Varda ne parle-t-elle que pour elle-même, n'étant jamais dans le manifeste mais dans la transmission et l'enthousiasme.
La vidéo au service des droits des femmes
Hasard classique en festival, un autre documentaire montré à Berlin cette année, en compétition Forum, semble faire écho au travail d’Agnes Varda. Il s’agit de Delphine et Carole, insoumuses de Callisto McNulty, qui raconte comment la comédienne Delphine Seyrig et la militante Carole Roussopoulos ont utilisé le format vidéo au service des mouvements de lutte pour le droit des femmes dans les années 70 et 80. A grands renforts d'images d'archives passionnantes et drôles (ah, Maso et Miso vont en bateau, réponse cinglante à un improbable programme télévisé intitulé "l'année de la femme : Dieu merci c'est fini"), le film retrace leur collaboration fructueuse autour de toutes les grandes questions féministes de l'époque, comme l'avortement, la dictature de l'apparence, la prostitution ou de la place des femmes dans le cinéma.
On y retrouve des témoignages et des interventions médiatiques de Simone de Beauvoir, Chantal Akerman, Marguerite Duras, et bien sûr des deux principales protagonistes du documentaire, qui livrent toutes des réflexions d'une brûlante actualité sur leur combat pour obtenir l'égalité des droits. Quand on les entend parler de ce qui n'était pas encore le "male gaze" ou déplorer le manque de moyens concédés aux réalisatrices, quand Jane Fonda raconte qu'on a voulu lui casser la mâchoire pour que ses joues semblent plus creuses ou que Chantal Akerman explique pourquoi il est important de montrer le quotidien des femmes de leur point de vue, on a l'impression que beaucoup de problématiques n'ont pas vraiment changé aujourd'hui.
Reste que le film de Callisto McNulty rend un très bel hommage à l'action de Delphine Seyrig et Carole Roussopoulos, dont on perçoit au fil des interviews la finesse et l'intelligence, mais aussi l'humour et la ténacité. A une époque où être une femme est encore un handicap dans le milieu professionnel, ou une raison suffisante pour subir harcèlements et "blagues" sexistes, Delphine et Carole, insoumuses s'avère un document historique galvanisant et fédérateur, qui donne envie de reprendre avec fierté le flambeau.