Le suranné a toujours un goût de douce mélancolie qui ne demande qu’à réinvestir l’affect des spectateurs du BIFFF. Loin des grosses productions actuelles, avec SFX digitaux monstrueux et bande-son tonitruante, quelques films résistent à l’appel du toujours plus avec les nouvelles techniques, et préfèrent se tourner vers leurs aînés pour construire bout à bout des pelloches fleurant bon les eighties voire les sixties.
The Aerial
Commençons par The Aerial, film espagnol réalisé par Esteban Sapir, pamphlet sévère sur la colonisation des esprits dont l’esthétique rappelle autant les films de Murnau que ceux de Guy Maddin. Construit en ombres chinoises, en superposition de plans, en images irisées et sur des surimpressions de dialogues, The Aerial est un exercice de style surprenant, ne tombant jamais dans la démonstration de savoir-faire de son réalisateur mais appliquant par amour du cinéma les multiples techniques du langage cinématographique. On peut même oser faire le grand écart entre l’utilisation de ces dialogues incrustés dans l’image rappelant le Domino de Tony Scott et le maelstrom de plans se chevauchant digne de L’homme à la caméra de Dziga Vertov. D’ailleurs tout le spectre du cinéma expressionniste se retrouve dans le film, de l’utilisation des ombres et des lumières aux axes de caméra tarabiscotés, sans oublier les décors parfois en trompe-l’oeil et sentant bon le carton pâte sortis tout droit du Cabinet du Dr Caligari. Et tout cela ne serait qu’une suite de référence si The Aerial n’était pas aussi contemporain dans son propos et si humain dans le traitement de ses personnages. Une famille résiste à l’hégémonie du directeur d’une chaîne de télévision qui a asservit toute la population. Après avoir mangé leurs paroles, les habitants ne parlent plus, ce dictateur veut aussi s’approprier leurs mots et leurs pensées. « Il nous a pris la parole, mais ils nous restent encore les mots » dit le grand-père, décidé à ne pas se laisser abattre. A l’heure actuelle où Rupert Murdoch, Bouygues et autres oligarques des médias s’arrangent pour asseoir leurs pouvoirs, The Aerial est une excellente piqûre de rappel. Et puis souvenez vous, la fameuse Métropolis de Fritz Lang date de 1927. Pourtant son approche des classes sociales et sa démonstration de la manipulation des masses sont toujours aussi pertinentes au XXIème siècle. Métropolis, The Aerial, même combat et même croyance en l’image pour réveiller l’imaginaire. L’imaginaire, seul territoire encore inexploré par tous ces assoiffés du pouvoir.
Flick
Changement d’épaule avec Flick, film semblant sortir tout droit d’une petite production des années 80, avec zombie belliqueux et bande-son rock’n roll. Pour son premier film, le réalisateur a joué la carte de l’esthétique kitsch et pulp, avec moult éclairages flashys bleus verts rouges grimant son film comme une B.D. live. D’ailleurs l’insert de cases de B.D. pour les scènes d’action appuie son parti pris de réaliser un petit film héritier du cinoche d’exploitation monté avec trois francs six sous, et rappelant lors de quelques séquences un certain Evil Dead tant pour son personnage principal grimé en Ash que pour le rouge gore éclaboussant les murs. Pâtissant d’une histoire assez simpliste, le gentil Flick revient d’entre les morts habillé de son éternel costard à la Elvis pour se venger de ceux qui l’ont ridiculisé lors du bal quand il avait 20 ans, Flick se voit donc avec plaisir principalement pour les souvenirs qu’il réanime quand on découvrait en cachette ces petites VHS d’horreur sans grande envergure mais fabriquées dans le respect du genre. Et puis il ne faut pas oublier le caméo de Faye Dunaway en flic manchot combattant cet Elvis mort-vivant. Du cinoche d’antan quoi !
La trilogie d'Argento
Et nous arrivons maintenant à ce qui aurait du être la continuité par excellence d’un cinéma révolu, un cinéma bercé par Mario Bava et par l’esthétique baroque, transporté par une folie meurtrière et social, diabolique et surréaliste, ce cinéma d’antan que seuls les noms de Carpenter ou Argento peuvent ressusciter. Voilà maintenant plus de 25 ans que les fans d’Argento attendaient une suite à Inferno et Suspiria, plus d’un quart de siècle que l’on désirait voir le dernier épisode de sa fameuse trilogie sur les Trois Mères. Mais de la même manière qu’un grand cru devient du vin de sauce si l’on attend trop longtemps, Argento a laissé les années prendre le pas sur son imaginaire débridé, et ne livre aujourd’hui qu’une bien triste conclusion à ses deux précédents chefs d’œuvre.
Par où commencer tant la déception est grande. Abandonnant totalement ce qui faisait sa marque de fabrique, à savoir des éclairages oniriques jusque là inégalés et une utilisation quasi subliminale de la musique (ah la séquence dans l’appartement dans Inferno), Argento opte pour une approche réaliste afin de mieux plonger Rome dans un délire dionysiaque sombrant involontairement dans le Z grotesque. Une fois passé ce changement de cap desservant le film, les éclairages sont proches du téléfilm et les lieux ne sont jamais mis en valeur, il devient impératif de retrouver les ambiances ésotériques qu’Argento affectionnait tant. Nous sommes dans le monde de la sorcellerie et de la magie noire, où les apparences sont trompeuses et où la réalité se cache derrière l’invisible. Du moins c’est ce qu’Argento fait dire à l’un de ses personnages sans prendre lui-même en compte ces règles de base. Sans jamais accorder une quelconque concordance des lieux et des personnages, les acteurs apparaissent les uns après les autres pour la minute d’après se faire trucider, et les déambulations de la pauvre Asia ne sont compréhensibles que pour elle-même, le spectateur s’interroge sur ce qui défile devant ses yeux. Et plus le métrage avance et plus l’on se rend compte que le maître transalpin choisira à chaque fois les mauvaises directions pour construire son chant du cygne bien funeste. Il est pourtant évident que quelques signes cabalistiques et des demoiselles habillées en succubes ne suffisent pour construire et rendre crédible cette deuxième chute de Rome tant annoncée. Et si les meurtres sont suffisamment sauvages et balancés selon la régularité d’un métronome, sur ce point là Argento remplit plus que le cahier des charges et donne à voir éventrements, émasculation, égorgements en cascade et même une pénétration par arme blanche particulièrement sadique, ils ne viennent que compenser un manque dont le réalisateur semble bien avoir conscience sans pouvoir toutefois y remédier. Sa plus mauvaise idée sera alors l’utilisation d’éléments érotique pour donner le change. Des poitrines généreuses se dévoilent, des femmes font l’amour entre elles, la Mère en question se balade un sein dénudé. On se croirait être dans la pantalonnade ironique de La Neuvième porte de Polanski, et le comble est atteint lors de l’orgie finale, caricature involontaire d’un sabbat. Notre belle Mother of tears tombe alors dans les limbes d’un Z italien. On passera sur le jeu des acteurs, Asia trouve ici peut-être l’un de ses plus mauvais rôles, et la dernière scène du film, quasi insultante pour tous les fans du maître. Pourtant les épisodes réalisés par Argento pour les Masters of Horror avaient laissé espérer une résurrection improbable. Las. Cette troisième mère aurait mieux fait de ne jamais voir le jour.