Traditionnellement, le Festival international des Cinémas d'Asie de Vesoul rend hommage à un cinéaste réputé dont il propose de (re)découvrir une partie de l'œuvre. Cette année, il s'agit du réalisateur indonésien Garin Nugroho, par ailleurs président du jury international, et dont trois films sont projetés dans le cadre du regard sur le cinéma indonésien. Il recevra un Cyclo d'or d'honneur pour l'ensemble de sa carrière lors de la cérémonie d'ouverture du festival qui se tient ce mardi.
Peu connu du grand public, Garin Nugroho est l'une des figures incontournables du cinéma indonésien contemporain. D'abord tourné vers le documentaire, il réalise sa première œuvre de fiction en 1991, Love in a slice of bread, qui se distingue par une narration inhabituelle et un érotisme latent. C'est un échec commercial, mais il marque le renouveau d'un cinéma indonésien moribond grâce à sa sélection dans de nombreux festivals internationaux. Après l’essoufflement de la production nationale à la fin des années 80, notamment à cause de la suppression des quotas de films importés, Nugroho permet ainsi le grand retour du cinéma indonésien sur la scène mondiale.
Ses deux films suivants connaissent globalement le même destin : Letter to an angel (1993) et And the moon dances (1995) ont une belle carrière dans les festivals internationaux mais ne sortent même pas en Indonésie, où le public trouve le cinéma de Nugroho relativement indigeste. Il aborde pourtant des sujets typiquement indonésiens, comme les cultures locales et le choc entre ces cultures et le phénomène de mondialisation.
Tout change en 1998 avec son quatrième film, Feuille sur unoreiller, présenté dans la section Un certain Regard du festival de Cannes, puis distribué sur les écrans français. Il devient le premier film indonésien distribué en France et, bénéficiant de l'aura cannoise, connaît même un succès notable dans son pays. Cette fois, Nugroho s'inspire de faits réels et fait tourner des gamins des rues qui jouent leur propre rôle. On retrouve surtout dans l'un des rôles principaux l'actrice et productrice Christine Hakim.
En 2006, le cinéaste est de retour à Cannes avec Serambi, présenté à nouveau à Un certain regard où il fait l'objet d'une polémique. Le film, qui décrit l'après Tsunami dans la province indonésienne d'Aceh, est jugé de mauvaise qualité. Cela n'empêche pas Nugroho de réaliser en parallèle le film qui est considéré comme son meilleur : Opera Jawa (photo de droite), un film musical à grand spectacle, qui transpose le Ramayana, poème épique indien, dans la vie contemporaine. Il s'agit d'une commande du metteur en scène Peter Sellars, dans le cadre du "New Crowned hope Festival", pour célébrer le 250e anniversaire de la naissance de Mozart. En 2011, le film devient un spectacle mis en scène par le cinéaste lui-même au Musée du Quai Branly de Paris.
Car Garin Nugroho refuse de se cantonner à une discipline. Féru de cultures indonésiennes et de philosophie, il se passionne aussi bien pour la danse, la musique et la photo que pour la peinture et le cinéma. Il est également très attaché à parler des réalités concrètes et actuelles de son pays. Ainsi, The blindford, son dernier film (photo de gauche), présenté à Vesoul en avant-première, aborde frontalement l'existence de l'Indonesian Islamic State, un mouvement indonésien islamiste illégal et aux méthodes de recrutement agressives. Une œuvre qui, au vu de l'actualité, fera forcément parler d'elle lors de sa sortie sur les écrans français... et l'occasion de continuer à promouvoir le cinéma indonésien, qui tient avec Garin Nugroho l'un de ses plus importants chefs de file.