Macadam Cowboy (Midnight Cowboy en vo) est une œuvre majeure du cinéma américain de la fin des années 1960. L’adaptation du roman de James Leo Herlihy a été un énorme succès dans les salles puis aux Oscars avec trois statuettes, dont celle de meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur scénario. Dustin Hoffman, Jon Voight et Sylvia Miles ont tous été nommés de leur côté.
Considéré dorénavant comme un classique, il aborde des sujets aussi peu populaires que la prostitution masculine, l’homosexualité, la précarité extrême, la mort, et surtout, il dresse une sévère critique à l’égard de l’hypocrisie américaine et de la religion.
Et puis, il y a aussi le style visuel, propre à cette époque, qui tentait de déconstruire la narration en essayant de traduire le subconscient des personnages avec des flash-backs ou des images oniriques. Enfin, il y a la musique, notamment ce tube de Fred Neil, Everybody’s Talkin, qui trotte dans la tête comme nos anti héros se promènent sur les trottoirs…
Le réalisateur John Schlesinger s’était fait connaître avec Darling Chérie quatre ans auparavant. Avec Macadam Cowboy, ce britannique se détournait de ses films avec Julie Christie pour changer complètement d’univers. Sa réalisation marque les esprits grâce à son esthétique tantôt onirique, tantôt psychédélique. On est, comme souvent à la fin des années 60, aux limites de l’expérimental. Schlesinger avoue s’être inspiré d’un film de Andy Warhol pour le style visuel. My Hustler est un moyen métrage sur un homme d’un certain âge cherchant un jeune homme pour compagnie. Mais il a aussi été influencé par un film yougoslave de Zivojin Pavlovic, Quand je serai mort et livide, primé à Berlin en 68. Un film sur la précarité.
Il est étonnant que Macadam Cowboy ait été un aussi gros succès tant le réalisateurr a usé de méthodes narratives peu conventionnelles avec une histoire pas franchement moralement correcte. Il n’hésite pas à filmer les actes sexuels de manière crue et sauvage, il illustre avec des images furtives et sans paroles les hallucinations et les fantasmes, il tente finalement de mettre en parallèle le monde réel, et peu glorieux, et les pensées intérieures, tantôt tourmentées tantôt délirantes.
L’autre gageure du film c’est le numéro d’équilibriste entre la comédie, parfois absurde, notamment quand il montre la futilité de la société de consommation sur les écrans télévisés, et la tragédie, avec la pauvreté qui briserait n’importe quels rêves. Cet oscillement entre le drame humain et les situations parfois cocasses, soutenues par des dialogues souvent cyniques, enrichissent le film et lui donne une couleur indéfinissable : à la fois une critique de l’Amérique puritaine, hypocrite et consumériste et une empathie vis-à-vis de tous ceux que cette même Amérique a abandonné. Cette dualité est permanente dans le film : le Texas et New York, les bourgeois et les gens de la rue, les hommes et les femmes… Ceux qui ont et ceux qui ne sont pas. Une sorte d'antithèse au rêve américain.
Le film est ce qu’on pourrait appeler un Buddy Movie, un genre en soi. Un buddy movie c’est une histoire de binome que tout oppose. Le choix des acteurs est d’autant plus crucial.
L’interprétation de Dustin Hoffman est considérée comme un sans faute. Son personnage de Ratso, paumé parmi les paumés, lui a valu sa deuxième nomination à l’Oscar deux ans après Le Lauréat. On oublie que l’acteur, qui a tourné le film à l’age de 31 ans, n’en est qu'à son quatrième long métrage. Il était alors un jeune premier adulé par une horde de jeunes adolescentes.
Pour obtenir ce rôle aux antipodes de l’image qu’il véhiculait, il a donné un rendez-vous à un cadre du studio producteur au coin d’une rue de Manhattan. Le décideur ne l’a pas remarqué, il ne voyait qu’un mendiant réclament quelques cents aux passants… Ce mendiant c’était bien sûr l’acteur qui dévoila alors son identité, et empocha son contrat. Il apportera sa minutie légendaire à la construction de son personnage. Lorsqu’il tombe malade, ses quintes de toux l’ont presque fait vomir. Et pour boiter en permanence de la même façon, il ajoutait des cailloux dans ses chaussures…
Face à lui, Jon Voight, le père d’Angelina Jolie. Lui aussi fut nommé à l’Oscar pour ce film. Il a sensiblement le même âge que Hoffman et n’en est qu’à son troisième long métrage de cinéma. Il a remplacé de nombreux comédiens qui ont refusé ou se sont désistés pour ce rôle périlleux. Ce playboy naïf presque analphabète déguisé en cowboy est tout aussi « loser » que son compagnon d’infortunes. Mais son personnage de Joe Buck, s’il est moins excentrique que celui de Ratso, est aussi plus attachant. Séducteur, cerné par les femmes depuis son enfance, ne voyant pas le mal à se prostituer et faire plaisir aux dames, c’est Candide débarquant à Babylone. Il incarne un idéal physique masculin, admirant son corps, reproduisant le mythe de l’étalon. Il va évidemment tomber de haut mais jamais il ne perdra sa dignité et ses valeurs fondamentales.
Car Midnight Cowboy c’est avant tout une grande histoire d’amitié, où chacun essaie de faire atteindre son rêve à l’autre. Leur binôme va évoluer au fil du film. Hoffman va jouer les grands frères, sauf par la taille évidemment, durant une grande partie du film. Mais Voight, sur la fin, se transformera en père essayant de sauver son enfant.
On peut avoir l’impression que Macadam Cowboy se disperse dans tout ce qu’il veut montrer. Pourtant, le film est porté par un pilier : l’identité masculine. Déjà en 1969, celle ci est trouble, elle vacille sous les coups de butoir du féminisme. L’humiliation n’est jamais loin. La dégradation de cette identité traverse de nombreuses scènes, qu’elle soit matérielle ou physique. La figure paternelle est un mythe au même titre que le cowboy, que ce soit John Wayne ou celui qui hante Joe dans ses souvenirs d’enfance. C’est la virilité absolue, mais ce n’est qu’une image. Les hommes sont méprisables : illuminés de Dieu, que Jésus ne sauve d’aucun de leurs vices, homosexuels efféminés noctambules comme les Vampires, étudiant ou père de famille n’assumant pas leurs actes clandestins… Tout est refoulé, amenant ainsi une violence contenue qui parfois s’évacue en mots grossiers ou en coups de poings…
Le sexe est tabou, salle, interdit. Il envoie l’amour d’adolescence de Joe à l’asile. Il est aussi un jouet pour les femmes new yorkaises. La scène la plus marquante du film est celle où Joe trouve enfin une cliente riche, avec un contrat clair. Une passe qui lui donne l’espoir de pouvoir enfin concrétiser ses rêves et ceux de Ratso. Mais il subit une panne sexuelle. Elle s’en amuse en usant de métaphores vexantes. Un artisan avec un outil cassé… Elle prolonge l’humiliation en lui donnant une leçon au Scrabble. Joe n’a que deux petits mots : Man et Mony, Homme et Argent. Mais il écrit mal Mony. Il l’écrit comme les grosses lettres lumineuses qu’il a vu sur un building… A force de perdre, Joe, lui aussi refoulé, humilié, blessé, va vouloir reprendre le dessus. Mais là aussi, la femme domine : c’est elle qui le chevauche, qui l’agresse, qui l’allume. C’est la femme qui veut prendre son plaisir, qui ne veut pas simplement l’égalité des sexes, mais la toute puissance de son sexe. Sur une musique de Western, la bête, c’est à dire l’Homme, se fera domptée et même sa jouissance n’est qu’un piètre réconfort : le mâle a perdu la bataille. Il n’est plus qu’un objet de désir.