Invité d'honneur de la Quinzaine des réalisateurs (où il a reçu un Carrosse d'or), Martin Scorsese donnait hier une masterclass au Théâtre Croisette après la projection de Mean Streets. L'occasion pour lui de revenir sur la fabrication de son premier film présenté sur la Croisette, lors de la Quinzaine des réalisateurs de 1973. Acclamé, le film n'est pourtant sorti en France que 3 ans plus tard mais il demeure aujourd'hui encore un objet filmique culte. Pour l'occasion, Martin Scorsese, qui a ouvert mardi soir avec Cate Blanchett la 71e édition du Festival de Cannes, était d'ailleurs très bien entouré. Annoncée par Céline Sciamma, la masterclass de Martin Scorsese était animée par Rebecca Zlotowski, Bertrand Bonello, Jacques Audiard et Cédric Klapisch.
A propos de la genèse de Mean Streets :
Avec ce film, il s’agissait de se demander comment avoir une vie juste moralement dans un monde qui ne l’est pas. Il m’a fallu des années pour comprendre certaines choses et qu'en fait, je je ne racontais rien d’autre que la relation entre mon père et son jeune frère. Mon père rendait toujours des services à son frère et ma mère lui disait "Non arrête, c’est bon !" mais il ne pouvait pas s’arrêter.
A propos du bien et du mal dans Mean Streets :
Ces gens que l’on appelle des malfaiteurs, il y avait quand même du bien en eux ! Mean Streets développe l’idée selon laquelle si l’on veut réparer le mal que l’on a fait, on ne peut pas le faire entre les quatre murs d’une église. Dans la vie, il y a deux catégories de personnes : ceux qui sauvent des gens et ceux qui se battent et je fais peut être partie de eux qui se barrent... Voilà pourquoi l’humour est très important !
A propos des thématiques phares de ses films :
Avec le temps, j’ai été davantage attiré par les rapports entre hommes, les amitiés masculines, cette fraternité. Ce sont ces questions là qui ont nourri tous mes films et la création de mes personnages. Et aussi de savoir : si tu laisses les choses dans une relation s’envenimer, est-ce que tu es une mauvaise personne ou est-ce qu’il y a moyen que tu sois quelqu’un de bien ? Est ce que parce que l’on vit mal, parce que l’on pêche, cela définit qui l’on est ?
A propos de sa passion pour le cinéma :
[J'ai grandi aux côtés de] travailleurs sociaux qui étaient au cœur du New York le plus dur mais qui continuaient de croire qu’ils trouveraient les moyens de venir en aide aux autres. Ils s’occupaient des plus défavorisés de ceux laissés sur le bas-côté de la route avec un dévouement dont on devrait s’inspirer. Ce sont des figures qui ont été très importantes pour moi. Il y a un prêtre qui a été comme un enseignant de la rue pour moi, c’est lui qui m' fait aimer le cinéma et les westerns. C’est quelqu’un qui a eu sur moi une grande influence, il m’a aidé à réfléchir à la moralité et au bien car l’autre côté c'est de tomber dans la criminalité et la violence. Il m'a fait découvrir un art.
A propos des romances développées dans ses films :
La question a toujours été de savoir comment entamer une relation amoureuse. Passé un certain âge, il y a énormément d’enjeux. Il faut faire le point sur soi-même, sur ce que l’on est et ce que l’on vaut. Il y a un certain nombre de codes que l’on peut vouloir outrepasser mais qu’il faut d’abord connaître.
A propos des problèmes qu'il peut rencontrer en tournant :
Si l'on sent que quelque chose cloche, que l’on arrive pas à faire ce que l’on veut, c’est que l’on n'a pas les bonnes raisons d’être là et de faire les choses. Je garde d'ailleurs un souvenir claustrophobe et malaisant [de la création de certains personnages de Mean Streets].
A propos de son travail en phase de pré-production :
Ce dont moi j’ai envie c’est une simplicité apparente. On pense que cela se fait tout seul comme chez Clint Eastwood mais ça ne se fait pas comme ça. C’est au prix d’un grand professionnalisme et d’une véritable préparation que cette simplicité apparaît. Malheureusement, ce n’est pas le cas chez moi. Bon, si je dois vous parler de comment je travaille, je ne vais peut-être pas vous reparler de mon enfance (...) Ma seule ouverture sur le monde c’était le cinéma. Je dessinais tout le temps et ces petits dessins sont devenus ce que l’on appellerait aujourd’hui des storyboards. Aujourd’hui encore, c’est ce que je fais. Deux semaines avant de tourner je me pose et je dessine. Et ce n’est que récemment que d’autres aspects sont apparus [sur ces storyboards] : l’échelle des personnages, les mouvements de caméras... Avant, le plus important pour moi était de connaître le cadre et les plans que j’allais tourner !