Pour qui n’est jamais allé au festival du court métrage de Clermont Ferrand, il faut imaginer une cité en perpétuel mouvement, organisée en nombreux lieux et espaces de projections autour des deux centres névralgiques que sont la maison de la culture et le marché du film.
Ici, on croise des scolaires en file indienne, deux par deux derrière leurs professeurs, des festivaliers acharnés aux yeux un peu cernés d’avoir déjà vu trop de films, des professionnels affairés du monde entier, qui courent d’un rendez-vous à un autre, des réalisateurs qui accompagnent leur film, intimidés ou galvanisés, c’est selon, par l’immense salle Cocteau susceptible d’accueillir 1400 spectateurs... Et que dire de ces longues files d’attente qui se forment toute la journée devant les salles ? On se croirait à Cannes, la neige en plus et l’hystérie et le tapis rouge en moins.
Pour cette 40e édition, environ 450 films étaient présentés, répartis dans les 3 compétitions, les rétrospectives et les différents focus. Certains des films les plus remarqués de 2017 étaient ainsi présentés, à l’image de The burden de Nikki Lindroth Von Bahr (qui a justement reçu le prix du Court métrage de l'année remis par l'association Short Film Conference à Clermont Ferrand), Des hommes à la mer de Lorris Coulon (tout récemment auréolé du prix du meilleur court métrage français 2017 décerné par le Syndicat de la critique), Ligne noire de Mark Olesa et Francesca Scalisi (Grand prix à Winterthur), Une nuit douce de Qiu Yang (Palme d'or à Cannes), Vilaine fille d'Ayce Kartal, Chose mentale de William Laboury, Gros chagrin de Céline Devaux (lion d'or à Venise), Le visage de Salvatore Lista, (Fool)Time Job de Gilles Cuvelier...
Nous avions déjà eu l'occasion de vous dire tout le bien qu'on en pense lors de notre grand bilan 2017 consacré au format court (à lire ici pour les films plébiscités en festival, ici pour les films français et ici pour les films étrangers).
Mais d’autres, plus récents, ou qui n’étaient pas encore parvenus jusqu’à nous, ont à leur tour plus particulièrement retenu notre attention. Petite liste (non exhaustive) de dix films qui ont fait notre festival.
Copa Loca de Christos Massalas
Copa-Loca est une station estivale grecque. Hors saison, il n'y a rien à y faire. Mais Paulina, elle, est toujours prête pour mettre un peu de baume au cœur des habitants. Raconté en voix-off dans un style faussement documentaire, et jouant précisément du décalage entre le récit et l'image, le film est une satire joyeuse et décomplexée dans laquelle le corps exulte quand bon lui semble.
Everything de David O'Reilly
A première vue, nous voilà dans une conférence scientifique à mi-chemin entre la spiritualité new age et la démonstration implacable de l'interconnexion du monde, animée par des extraits sonores enthousiastes et péremptoires du philosophe Alan Watts. Mais très vite on s’interroge non sur ce que l'on entend, mais sur ce que l'on voit, des images semblant empruntées à un jeu vidéo vintage, dans lequel les animaux se déplacent en roulant indéfiniment sur eux-même et où les décors sont si minimalistes qu'ils semblent avoir été conçus par des enfants. Et pour cause, puisque tout le film a été tourné dans le jeu vidéo Everything, également créé par O'Reilly en 2017, dans lequel on peut littéralement incarner n'importe quel être vivant. Par défaut, le jeu est en mode "autoplay", c'est-à-dire que le joueur n'a rien à faire sinon suivre les péripéties de son personnage sur l'écran. Ce qui le place finalement dans une position de complète impuissance, devenu spectateur de son propre destin. Une idée qui traverse Everything, le film, de part en part, interrogeant à la fois les limites de l'animation elle-même, mais aussi celles du spectateur, du joueur, et par extension, de tout être vivant lancé dans cette absurde boucle infinie que l'on appelle l'existence.
L'intervalle de résonance de Clément Cogitore
Le festival de Clermont Ferrand propose sous forme d'un court métrage construit en trois parties la monumentale installation vidéo présentée par Clément Cogitore au Palais de Tokyo en 2016, dans laquelle l'artiste interroge nos croyances collectives. Mêlant différentes formes d'images très hétérogènes (des plus professionnelles aux plus amateurs), il croise deux récits de manifestations aux origines physiques mystérieuses, la mythologie existant autour de la perception de sons émis par les aurores boréales et l’apparition d’une étrange formation lumineuse en Alaska. D'une très grande beauté formelle, le film est un voyage fulgurant au croisement du fantasme, du rêve, de l'invisible, de la perception et de la rationalité scientifique.
J'attends Jupiter d'Agathe Riedinger
Reposant à 99% sur la performance habitée de l'actrice Sarah-Megan Allouch, J'attends Jupiter est à la fois la chronique naturaliste d'un moment de basculement et le portrait sensible d'une génération nourrie aux rêves de gloire et de célébrité. L'héroïne est ainsi persuadée, lorsqu'elle accède au second tour d'un casting de télé-réalité, que sa vraie vie va enfin commencer. On la voit alors se débarrasser sans état d'âme de tout ce qui composait cette "pré-existence", brossant un état des lieux cruel d'une société qui n'a plus grand chose à offrir à sa jeunesse.
Manivald de Chintis Lundgren
Quand un renard introverti et sous la coupe d'une mère étouffante s'amourache d'un beau loup sexy et pas farouche, cela donne une satire sociale irrévérencieuse et irrésistible. Entre absurdité et ironie, le film joue de son style graphique très classique pour faire passer l'humour et les situations les plus décalées.
Le marcheur de Frédéric Hainault
Le marcheur est un film coup de poing porté par une voix-off dense et habitée dont la diction précipitée trahit l'urgence et la colère. C'est l'histoire d'un homme qui, un jour, a décidé de ne plus se résigner. Qui s'est mis en route et n'a plus jamais cessé d'avancer, de marcher, de contester. Peu importe la complexité de sa pensée politique, peu importe la cause. Le marcheur refuse, en bloc, tout ce qui est injuste et laid, révoltant et insupportable. Il ne revendique rien, si ce n'est ce droit à marcher, et à ne plus courber l'échine. Les choix formels sont à l'unisson de cette démarche, refusant un esthétisme gratuit, une "beauté" qui ne collerait pas avec l'âpreté du ton et du sujet. On est à la fois assommé et conquis par cette oeuvre à la puissance politique concrète et immédiate.
Reruns de Rosto
Le dernier volet de la tétralogie de Rosto autour de son groupe de rock Thee Wreckers est une plongée hallucinée et fourmillante dans les méandres du passé. Le personnage incarné par le réalisateur lui-même est pris dans une sorte de boucle temporelle qui lui permet de se revoir simultanément à différents âges. Dans un montage saccadé et hypnotique, le réalisateur néerlandais interroge les effets du temps passé et des rêves brisés. Comme le bilan punk et trash d'une vie déjà écoulée. On est à la fois sidéré par l'esthétique du film (dans la droite ligne de l'oeuvre du réalisateur néerlandais) et emporté par la profondeur de la réflexion que cela éveille en nous.
Ugly de Nikita Diakur
Ne vous fiez pas au titre, qui dissimule mal un film singulier et joyeux dans lequel un chat fait la connaissance d'une sorte de gourou dans les décombres d'un monde en déliquescence. Tout est rose et bleu, les objets nous assaillent et se multiplient, les décors mutent, l'univers part à vau-l'eau (ou se reconstruit, selon les interprétations), et pourtant on a l'impression d'être devant un feel good movie (sous ecstasy). Le réalisateur a spécialement créé une technologie numérique pour obtenir ces effets de déconstruction et de bizarrerie (le ugly du titre), en exploitant notamment des erreurs générées dans le code, ce qui donne l'impression d'un film où les pixels ont pris le pouvoir, échappant à tout contrôle humain. De quoi ouvrir de nouvelles perspectives.
Weekends de Trevor Jimenez
Sans pathos et avec une tonalité très tendre, Trevor Jimenez (qui travaille chez Pixar) raconte la nouvelle existence d'un petit garçon dont les parents viennent de divorcer. Le film le suit tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre, dans des activités enfantines basiques, ou d'autres plus singulières, racontant tout en douceur, avec poésie et délicatesse, le temps qui passe et la vie qui change.
Wednesday with Goddard de Nicolas Ménard
Parti à la recherche de Dieu suite à une averse lui donnant envie d'avoir la foi, le personnage rencontrera l'amour, puis le désespoir. Ton décalé, scènes cocasses et humour loufoque sont au rendez-vous de ce Wednesday with Goddard irrévérencieux à souhait. Dissimulée sous une couche de premier degré volontairement simpliste, la quête pour trouver Dieu est notamment une succession de piques à l'égard de la religion (on adore la séquence de l'Eglise) et d'ironie mordante sur l'Humanité.