2018 dans le rétro : la belle année du cinéma d’animation

Posté par MpM, le 25 décembre 2018

De Fireworks de Akiyuki Shimbo et Nobuyuki Takeuchi le 3 janvier à Mirai de Mamoru Hosoda le 26 décembre, le cinéma d'animation n'aura pas beaucoup quitté l'affiche en 2018. Cette année aura d'ailleurs été exceptionnelle à plusieurs titres pour les films animés.

C'était en effet la première fois, en février dernier, qu'un court métrage d'animation était couronné par un Grand Prix à Clermont Ferrand (Vilaine fille d'Ayce Kartal, en compétition nationale). Pour la première fois également, un film réalisé en stop-motion remportait quelques jours plus tard le prestigieux Ours d'argent de la meilleure mise en scène à Berlin (L'île aux chiens de Wes Anderson). Deux récompenses ultra-symboliques qui prouvent que les mentalités changent, les barrières tombent, les préjugés reculent. Breaking news : le cinéma d'animation est avant tout du cinéma, et ça commence à se savoir !

En force à Cannes


A Cannes, festival réputé frileux pour tout ce qui n'est pas prise de vue réelle, l'animation semblait d'ailleurs être partout (et pas seulement dans les programmes de courts métrages !) : en compétition dans les sections parallèles (Chris the Swiss d'Anja Kofmel à la Semaine de la Critique, Samouni Road de Stefano Savona et Mirai de Mamoru Hosoda à la Quinzaine), en séance spéciale à l'officielle (Another day of life de Raúl de la Fuente et Damian Nenow), mais aussi en guest star dans plusieurs films de la sélection officielle, à l'image de Leto de Kirill Serebrennikov, Under the silver lake de David Robert Mitchell et The house that Jack built de Lars von Trier. En touches légères, pour l'humour ou la dérision, l'animation apportait cette année une grosse dose de liberté à des films en quête de singularité formelle.

Pour ce qui est de l'offre en salles, là encore 2018 aura été riche et éclectique, offrant des longs métrages pour tous les goûts, et moins de suites ou de reboots qu'en 2017, même si ceux-ci sont assez incontournables dans le marché du cinéma contemporain. Le plus notable dans le domaine fut évidemment Les indestructibles 2 de Brad Bird, 14 ans après le premier volet, mais on peut aussi citer Maya l'abeille 2, les jeux du miel de Noel Cleary et Sergio Delfino, Tad et Le secret du roi Midas de Enrique Gato et David Alonso, et bien sûr le nouveau volet des aventures d'Astérix et Obélix, Le Secret de la potion magique, par Alexandre Astier et Louis Clichy. Côté adaptation, difficile de faire l'impasse sur Croc-blanc d'Alexandre Espigares qui redonne vie au héros de Jack London avec l'un des plus gros budgets du cinéma français de l'année.

Le dynamisme jamais démenti des films pour jeune public


Sans surprise, ce sont les films à destination du jeune public, voire du très jeune public, qui sont largement en tête des sorties, à l'image de Agatha ma voisine détective de Karla Von Bengston, Pierre Lapin de Will Gluck, Le voyage de Lila de Marcela Rincon Gonzalez, Yéti et compagnie de Karey Kirkpatrick et Jason Reisig, Capitaine Morten et la reine des araignées de Kaspar Jancis ou encore Pachamama de Juan Antin. Sans oublier le grand retour des studios Aardman avec Cro-man de Nick Park, qui ne s'est pas tout à fait avéré à la hauteur des attentes,  celui de Michel Ocelot, qui s'est planté avec son Dilili à Paris inventif visuellement mais souffrant d'un scénario ultra didactique et d'une interprétation outrée, et la belle surprise Spider-man : new generation de Peter Ramsey, Bob Persichetti, Rodney Rothman.

Les programmes de courts étaient eux-aussi au rendez-vous : Rita et crocodile de Siri Melchior, L'étrange forêt de Bert et Joséphine de Filip Pošivac et Barbora Valecká, Le quatuor à cornes de Benjamin Botella, Arnaud Demuynck, Emmanuelle Gorgiard et Pascale Hecquet, La grande aventure de Non-Non de Matthieu Auvray, le programme collectif Ta mort en shorts, Mimi et Lisa, les lumières de Noël de Katarina Kerekesova et Ivana Šebestová... et plusieurs très belles sorties de films "du patrimoine" : le merveilleux Alice Comedies 2 de Walt Disney et l'indispensable Révolte des jouets (qui réunit trois courts métrages de Bretislav Pojar et Hermina Tyrlova), tous deux distribués par Malavida, et l'également formidable programme Les Contes merveilleux de Ray Harryhausen (Carlotta Films) qui permet de (re)découvrir les premiers films en stop motion de ce grand maître des effets spéciaux.

Les documentaires hybrides et l'animation pour adultes


Mais 2018 aura également relancé la veine de l'animation documentaire et à destination des adultes. A Cannes, trois films sur quatre étaient des documentaires, qui mêlaient tous animation et prise de vue continue pour aborder des sujets historiques ou politiques sensibles : la mort d'un journaliste suisse pendant la guerre en ex-Yougoslavie (Chris the Swiss), le quotidien d'une famille de Gaza city frappée de plein fouet par l'offensive terrestre israélienne "Plomb durci"' en 2009 (Samouni Road) et la guerre civile en Angola (Another day of life).

A Annecy, ce sont deux films forts, abordant l'Histoire récente, qui ont remporté les principaux prix : Funan de Denis Do qui revient sur la période terrible de la dictature des khmers rouges au Cambodge (Cristal du meilleur long métrage) et Parvana de Nora Twomey, qui dépeint la condition de vie des femmes dans l'Afghanistan des Talibans. Le reste de la sélection était d'ailleurs à l'avenant, avec deux films sur le conflit israélo-palestinien (Wall de Cam Christiansen et Wardi (anciennement La Tour) de Mats Grorud), un essai au vitriol sur la religion (Seder-Masochism de Nina Paley), un portrait cruel de la Chine contemporaine (Have a nice day de Liu Jian) et même un témoignage saisissant sur un important conflit social du début des années 50, Un homme est mort d'Olivier Cossu.

Dans un registre plus intime, mais tout aussi grave, Happiness road de Hsin-Yin Sung (présenté hors compétition et sorti pendant l'été) est un beau récit introspectif sur le temps qui passe, les choix que l'on fait et les rêves que l'on poursuit. Sélectionné à Annecy l'an passé, Silent voice de Naoko Yamada est quant à lui l'adaptation sensible et audacieuse d'un manga qui aborde la question du handicap et du harcèlement. Preuve qu'il n'existe pas de sujets tabous en cinéma d'animation, et qu'il est au contraire parfois le format idéal pour faire passer certaines images difficiles à supporter.

Et 2019 alors ?


Dans la continuation du beau dynamisme 2018, 2019 devrait nous réserver quelques belles surprises. Ca commence dès le 23 janvier avec la première sortie dans les salles françaises du premier film d'Hayao Miyazaki, Le château de Cagliostro, qui fêtera ses 40 ans ! On verra aussi enfin plusieurs films dont nous vous parlons depuis plusieurs mois, à savoir Another day of life de Raúl de la Fuente et Damian Nenow, Wardi de Mats Grorud, Funan de Denis Do et Tito et les oiseaux de Gustavo Steinberg, Gabriel Bitar et André Catoto Dias.

Côté suites, on découvrira Minuscules 2, les mandibules du bout du monde de Thomas Szabo et Hélène Giraud, Dragons 3 de Dean deBlois, Ralph 2.0 de Rich Moore et Phil Johnston, La grande aventure lego 2 de Mike Mitchell, Toy Story 4 de Josh Cooley, Shaun le Mouton Le Film : La Ferme Contre-Attaque de Richard Starzak ou encore La reine des neiges 2 de Jennifer Lee et Chris Buck.

Enfin, dans le registre des grandes impatiences, on n'en peut plus d'attendre Buñuel après l’âge d’or de Salvador Simo, La Fameuse invasion des ours en Sicile de Lorenzo Mattoti, L'extraordinaire voyage de Marona d'Anca Damian et quelques autres qui, malheureusement, ne verront peut-être pas le jour avant 2020... C'est peut-être là le grand défaut de l'animation : souvent, elle requiert une certaine dose de patience.

Clermont Ferrand 2018 : retour sur le palmarès

Posté par MpM, le 13 février 2018

Le 40e festival de Clermont-Ferrand s’est clos sur un palmarès foisonnant et riche (plus de 40 prix décernés) après une très belle édition anniversaire qui a attiré plus de 165 000 spectateurs.

Dans la compétition nationale, c'est le très remarqué Vilaine fille d'Ayce Kartal qui a remporté le Grand Prix. Ce délicat récit à la première personne d'une petite fille ayant subi une agression met son animation libre et inventive au service du sujet sensible des viols collectifs d'enfants en Turquie.

Plus on avance dans le récit, plus la légèreté du ton et de l'image renforce l'effroi qui saisit le spectateur, cueilli presque par surprise par une puissance émotionnelle sèche, dénuée de tout pathos, et d'autant plus violente. On se réjouit d'autant plus de cette belle (et méritée) récompense qu'il n'est pas si fréquent de voir un film d'animation distingué par un grand prix "généraliste".

Côté international, c'est un film polonais, Tremblements de Dawid Bodzak, qui a convaincu le jury. Il s'agit d'un film mystérieux et  symbolique mettant en scène deux adolescents dont le comportement  inexpliqué de l'un deux va totalement bouleverser la relation.

Soyons honnêtes, on est resté assez extérieur à cette fable hermétique qui s'ouvre sur une proposition étrange : l'un des adolescents demande à l'autre ce qu'il ferait, s'il se retrouvait dans une forêt obscure et déserte, soudainement encerclé par des loups. On saisit confusément que le reste du film tente de répondre métaphoriquement à la question, mais sans que cela ne soit jamais réellement convaincant.

Le labo a quant à lui vu le couronnement de Retour de Pang-Chuan Huang, un documentaire qui raconte en parallèle un mystérieux voyage en train vers l’Est, censé ramener le narrateur chez lui, et un autre périple, effectué des années plus tôt par un autre jeune homme pris dans la tourmente de l’Histoire. Le réalisateur (étudiant à l'école du Fresnoy) a principalement recours à des images fixes, et à une voix off omniprésente qui guide le spectateur. Certes n’est-on pas totalement surpris par la tournure que prend le récit, mais le film bénéficie d’une vraie force d’évocation, malgré les maladresses du texte, et ses baisses de rythme. Il est également une belle démonstration de la puissance de l’image fixe qui confie au spectateur le soin de combler les creux.

Il faut aussi souligner la présence au palmarès du Lion d'or du dernier Festival de Venise (Gros chagrin de Céline Devaux, prix étudiant de la compétition nationale) ; de deux films de Clément Cogitore (sur les trois présentés) : meilleure musique originale pour Braguino, prix du public et mention presse Télérama pour Les Indes galantes ; du déjà multi-primé The burden de Niki Lindroth von Bahr (meilleur film d'animation), du documentaire suisse Ligne noire de Mark Olexa et Francesca Scalisi (prix étudiant de la compétition internationale) ou encore de l'étonnant film malaysien It's easier to raise cattle d'Amanda Nell Eu (mention spéciale de la section labo).

Enfin, parmi les films dont nous vous disions le plus grand bien pendant le festival, Le marcheur de Frédéric Hainaut a remporté le prix SACD du meilleur Film d'animation francophone, Reruns de Rosto le Prix Allegorithmic des effets visuels et Everything de David O'Reilly un Prix spécial.

Comme toujours, on peut avoir quelques regrets, notamment sur des films déjà mentionnés comme Des hommes à la mer de Lorris Coulon, l'un des plus beaux courts métrages français de l'année 2017, (Fool)Time job de Gilles Cuvelier, fable sociale glaçante qui prend à contre-pied tout ce que l'on peut avoir en tête quand on pense au cinéma d'animation ou Chose mentale de William Laboury,  œuvre complexe et envoûtante qui transcende en même temps le motif du huis clos inquiétant, celui du glissement vers le fantastique et les codes de la comédie romantique.

Mais, bonne nouvelle, il est possible comme chaque année aux Parisiens et Franciliens de se faire une idée du Palmarès en assistant à la reprise qu'en fait le Forum des Images. Ce sera ce 18 février à partir de 15h30, pour prolonger un peu la grande fête hivernale du court métrage.

Compétition nationale

Grand prix
Vilaine fille d'Ayce Kartal

Prix spécial
Vihta de François Bierry

Meilleure musique originale
Eric Bentz pour Braguino de Clément Cogitore

Égalité et diversité
The Barber Shop de Gustavo Almenara, Émilien Cancet

Mention spéciale
Encore trois ans de Pedro Collantes

Mention spéciale
Master of the Classe de Carine May, Hakim Zouhani

Prix du public
Les Indes galantes de Clément Cogitore

Prix étudiant
Gros chagrin de Céline Devaux

CANAL+
Little Jaffna de Lawrence Valin

SACD - 1ère œuvre de fiction
Pourquoi j'ai écrit la Bible d'Alexandre Steiger

SACD - 1ère œuvre de fiction - Mention
Junk Love de Jonathan Rochart

Adami - Interprétation masculine

Florent Gouëlou dans Un homme mon fils de Florent Gouëlou

Adami - Interprétation féminine
Sigrid Bouaziz dans La nuit je mens d'Aurélia Morali et Les vies de Lenny Wilson d'Aurélien Vernhes-Lermusiaux

Presse Télérama
Les vies de Lenny Wilson d'Aurélien Vernhes-Lermusiaux

Presse Télérama - Mention
Les Indes galantes de Clément Cogitore

Brèves digitales Orange
Un film sur les éboueurs de Le Gros Z

Procirep
Caïmans Productions pour Pépé le morse de Lucrèce Andreae

Bourse des festivals
La sphinx de Tito Gonzalez Garcia

Coup de cœur Canal+ Family
Oscillation de Yookyung Cha

Coup de cœur Canal+ Family - Mention
La mort, père & fils de Vincent Paronnaud (Winshluss) et Denis Walgenwitz

Compétition internationale

Grand prix
Tremblements de Dawid Bodzak

Prix spécial
Les ombres de Jerry Carlsson

Prix du public
Bonobo de Zoel Aeschbacher

Prix étudiant
Ligne noire de Mark Olexa, Francesca Scalisi

CANAL+
Les ombres de Jerry Carlsson

SACD - Film d'animation francophone
Le marcheur de Frédéric Hainaut

Film d'animation
Min Börda (Le fardeau) de Niki Lindroth Von Bahr

Rire Fernand Raynaud
État d'alerte sa mère de Sébastien Petretti

Nomination EFA
Honte de Petar Krumov

Mention spéciale
Hasta siempre, Comandante de Faisal Attrache

Mention spéciale
La victoire de la charité d' Albert Meisl

Mention spéciale
Dependent de Phil Sheerin

Compétition Labo

Grand prix
Retour de Pang-Chuan Huang

Prix spécial
Everything de David O'Reilly

Mention spéciale
Beetle Trouble de Gabriel Böhmer

Mention spéciale
Snap de Felipe Elgueta, Ananké Pereira

Mention spéciale
It's easier to raise cattle d' Amanda Nell Eu

Prix du public
Black America again de Bradford Young

CANAL+
Rebirth is Necessary de Jenn Nkiru

Prix Festivals Connexion
Ondes noires d'Ismaël Joffroy Chandoutis

Prix du documentaire
Proch de Jakub Radej

Prix Allegorithmic des effets visuels
Reruns de Rosto

Dix films remarqués au 40e Festival de Clermont-Ferrand

Posté par MpM, le 9 février 2018


Pour qui n’est jamais allé au festival du court métrage de Clermont Ferrand, il faut imaginer une cité en perpétuel mouvement, organisée en nombreux lieux et espaces de projections autour des deux centres névralgiques que sont la maison de la culture et le marché du film.

Ici, on croise des scolaires en file indienne, deux par deux derrière leurs professeurs, des festivaliers acharnés aux yeux un peu cernés d’avoir déjà vu trop de films, des professionnels affairés du monde entier, qui courent d’un rendez-vous à un autre, des réalisateurs qui accompagnent leur film, intimidés ou galvanisés, c’est selon, par l’immense salle Cocteau susceptible d’accueillir 1400 spectateurs... Et que dire de ces longues files d’attente qui se forment toute la journée devant les salles ? On se croirait à Cannes, la neige en plus et l’hystérie et le tapis rouge en moins.

Pour cette 40e édition, environ 450 films étaient présentés, répartis dans les 3 compétitions, les rétrospectives et les différents focus. Certains des films les plus remarqués de 2017 étaient ainsi présentés, à l’image de The burden de Nikki Lindroth Von Bahr (qui a justement reçu le prix du Court métrage de l'année remis par l'association Short Film Conference à Clermont Ferrand), Des hommes à la mer de Lorris Coulon (tout récemment auréolé du prix du meilleur court métrage français 2017 décerné par le Syndicat de la critique), Ligne noire de Mark Olesa et Francesca Scalisi (Grand prix à Winterthur), Une nuit douce de Qiu Yang (Palme d'or à Cannes), Vilaine fille d'Ayce Kartal, Chose mentale de William Laboury, Gros chagrin de Céline Devaux (lion d'or à Venise), Le visage de Salvatore Lista, (Fool)Time Job de Gilles Cuvelier...

Nous avions déjà eu l'occasion de vous dire tout le bien qu'on en pense lors de notre grand bilan 2017 consacré au format court (à lire ici pour les films plébiscités en festival, ici pour les films français et ici pour les films étrangers).

Mais d’autres, plus récents, ou qui n’étaient pas encore parvenus jusqu’à nous, ont à leur tour plus particulièrement retenu notre attention. Petite liste (non exhaustive) de dix films qui ont fait notre festival.

Copa Loca de Christos Massalas


Copa-Loca est une station estivale grecque. Hors saison, il n'y a rien à y faire. Mais Paulina, elle, est toujours prête pour mettre un peu de baume au cœur des habitants. Raconté en voix-off dans un style faussement documentaire, et jouant précisément du décalage entre le récit et l'image, le film est une satire joyeuse et décomplexée dans laquelle le corps exulte quand bon lui semble.

Everything de David O'Reilly


A première vue, nous voilà dans une conférence scientifique à mi-chemin entre la spiritualité new age et la démonstration implacable de l'interconnexion du monde, animée par des extraits sonores enthousiastes et péremptoires du philosophe Alan Watts. Mais très vite on s’interroge non sur ce que l'on entend, mais sur ce que l'on voit, des images semblant empruntées à un jeu vidéo vintage, dans lequel les animaux se déplacent en roulant indéfiniment sur eux-même et où les décors sont si minimalistes qu'ils semblent avoir été conçus par des enfants. Et pour cause, puisque tout le film a été tourné dans le  jeu vidéo Everything, également créé par O'Reilly en 2017, dans lequel on peut littéralement incarner n'importe quel être vivant. Par défaut, le jeu est en mode "autoplay", c'est-à-dire que le joueur n'a rien à faire sinon suivre les péripéties de son personnage sur l'écran. Ce qui le place finalement dans une position de complète impuissance, devenu spectateur de son propre destin. Une idée qui traverse Everything, le film, de part en part, interrogeant à la fois les limites de l'animation elle-même, mais aussi celles du spectateur, du joueur, et par extension, de tout être vivant lancé dans cette absurde boucle infinie que l'on appelle l'existence.

L'intervalle de résonance de Clément Cogitore


Le festival de Clermont Ferrand propose sous forme d'un court métrage construit en trois parties la monumentale installation vidéo présentée par Clément Cogitore au Palais de Tokyo en 2016, dans laquelle l'artiste interroge nos croyances collectives. Mêlant différentes formes d'images très hétérogènes (des plus professionnelles aux plus amateurs), il croise deux récits de manifestations aux origines physiques mystérieuses, la mythologie existant autour de la perception de sons émis par les aurores boréales et l’apparition d’une étrange formation lumineuse en Alaska. D'une très grande beauté formelle, le film est un voyage fulgurant au croisement du fantasme, du rêve, de l'invisible, de la perception et de la rationalité scientifique.

J'attends Jupiter d'Agathe Riedinger


Reposant à 99% sur la performance habitée de l'actrice Sarah-Megan Allouch, J'attends Jupiter est à la fois la chronique naturaliste d'un moment de basculement et le portrait sensible d'une génération nourrie aux rêves de gloire et de célébrité. L'héroïne est ainsi persuadée, lorsqu'elle accède au second tour d'un casting de télé-réalité, que sa vraie vie va enfin commencer. On la voit alors se débarrasser sans état d'âme de tout ce qui composait cette "pré-existence", brossant un état des lieux cruel d'une société qui n'a plus grand chose à offrir à sa jeunesse.

Manivald de Chintis Lundgren


Quand un renard introverti et sous la coupe d'une mère étouffante s'amourache d'un beau loup sexy et pas farouche, cela donne une satire sociale irrévérencieuse et irrésistible. Entre absurdité et ironie, le film joue de son style graphique très classique pour faire passer l'humour et les situations les plus décalées.

Le marcheur de Frédéric Hainault

Le marcheur est un film coup de poing porté par une voix-off dense et habitée dont la diction précipitée trahit l'urgence et la colère. C'est l'histoire d'un homme qui, un jour, a décidé de ne plus se résigner. Qui s'est mis en route et n'a plus jamais cessé d'avancer, de marcher, de contester. Peu importe la complexité de sa pensée politique, peu importe la cause. Le marcheur refuse, en bloc, tout ce qui est injuste et laid, révoltant et insupportable. Il ne revendique rien, si ce n'est ce droit à marcher, et à ne plus courber l'échine. Les choix formels sont à l'unisson de cette démarche, refusant un esthétisme gratuit, une "beauté" qui ne collerait pas avec l'âpreté du ton et du sujet. On est à la fois assommé et conquis par cette oeuvre à la puissance politique concrète et immédiate.

Reruns de Rosto


Le dernier volet de la tétralogie de Rosto autour de son groupe de rock Thee Wreckers est une plongée hallucinée et fourmillante dans les méandres du passé. Le personnage incarné par le réalisateur lui-même est pris dans une sorte de boucle temporelle qui lui permet de se revoir simultanément à différents âges. Dans un montage saccadé et hypnotique, le réalisateur néerlandais interroge les effets du temps passé et des rêves brisés. Comme le bilan punk et trash d'une vie déjà écoulée. On est à la fois sidéré par l'esthétique du film (dans la droite ligne de l'oeuvre du réalisateur néerlandais) et emporté par la profondeur de la réflexion que cela éveille en nous.

Ugly de Nikita Diakur


Ne vous fiez pas au titre, qui dissimule mal un film singulier et joyeux dans lequel un chat fait la connaissance d'une sorte de gourou dans les décombres d'un monde en déliquescence. Tout est rose et bleu, les objets nous assaillent et se multiplient, les décors mutent, l'univers part à vau-l'eau (ou se reconstruit, selon les interprétations), et pourtant on a l'impression d'être devant un feel good movie (sous ecstasy). Le réalisateur a spécialement créé une technologie numérique pour obtenir ces effets de déconstruction et de bizarrerie (le ugly du titre), en exploitant notamment des erreurs générées dans le code, ce qui donne l'impression d'un film où les pixels ont pris le pouvoir,  échappant à tout contrôle humain. De quoi ouvrir de nouvelles perspectives.

Weekends de Trevor Jimenez


Sans pathos et avec une tonalité très tendre, Trevor Jimenez (qui travaille chez Pixar) raconte la nouvelle existence d'un petit garçon dont les parents viennent de divorcer. Le film le suit tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre, dans des activités enfantines basiques, ou d'autres plus singulières, racontant tout en douceur, avec poésie et délicatesse, le temps qui passe et la vie qui change.

Wednesday with Goddard de Nicolas Ménard

Parti à la recherche de Dieu suite à une averse lui donnant envie d'avoir la foi, le personnage rencontrera l'amour, puis le désespoir. Ton décalé, scènes cocasses et humour loufoque sont au rendez-vous de ce Wednesday with Goddard irrévérencieux à souhait. Dissimulée sous une couche de premier degré volontairement simpliste, la quête pour trouver Dieu est notamment une succession de piques à l'égard de la religion (on adore la séquence de l'Eglise) et d'ironie mordante sur l'Humanité.

Pour ses 40 ans, Clermont Ferrand met la Suisse, la gastronomie et les comédiens à l’honneur

Posté par MpM, le 3 février 2018

Première manifestation mondiale entièrement consacrée au court métrage, le Festival de Clermont Ferrand qui a ouvert ses portes ce vendredi 2 février fête son 40e anniversaire avec un programme des plus alléchants. En plus des traditionnelles compétitions (internationale, française et "labo"), les festivaliers (généralement nombreux : plus de 162 000 en 2017) pourront découvrir une rétrospective consacrée à la cinématographie suisse, une autre autour de la gastronomie et du plaisir d'être à table et enfin un focus sur les comédiens dans le court métrage.

Par ailleurs, une carte blanche est offerte à l'école nationale de cinéma de Lodz (Pologne) tandis qu'une séance spéciale sera consacrée à Mai 68 et une autre à la nouvelle collection fantastique de Canal +. Enfin, ce sera la 33e édition du Marché du film court qui accueillera notamment la Turquie pour la première année, et fera la part belle aux techniques de réalité virtuelle, de relief et de réalité augmentée.

Certains films sélectionnés ont déjà fait leurs preuves dans d'autres festivals ou avant-premières. Petit guide, section par section, de ceux qu'il ne faudra surtout pas manquer.

En compétition internationale, on retrouve certains des films qui ont marqué 2017, comme la Palme d'or A gentle night de Yang Qiu, le cristal du court métrage d'Annecy The Burden de Niki Lindroth Von Bahr et le grand prix du Festival de Winterthur, Ligne noire de Mark Olexa et Francesca Scalisi. Mais il faut aussi absolument mentionner Le marcheur de Frédéric Hainaut, film coup de poing sur un révolté qui a tout quitté, et (Fool) Time job de Gilles Cuvelier, chronique sociale glaçante et allégorique.

En compétition française figurent Braguino de Clément Cogitore (sorti en salles en novembre), Gros chagrin de Céline Devaux (lion d'or à Venise), Marlon de Jessica Palud (en lice pour le César du court métrage) ou encore Negative space de Max Porter et Ru Kuwahata (nommé pour l'Oscar du meilleur court métrage d'animation) et Des hommes à la mer de Lorris Coulon, fraîchement couronné du Prix du meilleur court métrage français par le syndicat de la critique.

Côté labo, il faut relever Ugly de Nikita Diakur (grand prix du court métrage d'animation indépendant à Ottawa), Reruns de Rosto (le dernier épisode de sa tétralogie autour de Thee Wreckers) ou encore Death of a sound man de Sorayos Prapapan (une comédie multi-primée autour de preneurs de son en Thaïlande).

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40e festival du court métrage de Clermont Ferrand
Du 2 au 10 février 2018
Plus d'informations sur le site de la manifestation