Tout est faux est un premier long métrage fauché mais gonflé, qui capte avec une rare justesse la petite musique absurde d'une époque à bout de souffle. Son personnage principal se heurte partout à des discours vides de sens (le film a été tourné pendant la campagne pour l'élection présidentielle 2012 et est émaillé d'extraits de débats ou d'interventions télévisées), des expressions toutes faites, des mots creux. Lui-même est incapable d’articuler autre chose que des formules vagues : "oui", "non", "d'accord"... Comme si, plus la logorrhée absconse du monde l’envahissait, plus les sons s'étranglaient dans sa gorge.
Jean-Marie Villeuneuve, auteur de plusieurs courts métrages remarqués, dont The cream sélectionné au Festival Chéries, Chéris 2011, fait des films hors système depuis la fin des années 2000. "Pas par volonté", précise-t-il. "Sur certaines choses, oui, parce que c’est sympathique. Mais pour d’autres, j’aurais bien aimé avoir du financement. Il y a des scènes que je m’interdis de tourner parce que je ne peux pas les faire concrètement. Quand tu ne peux pas bloquer une rue, quand tu n’as pas les lumières pour transcender une scène… Ou alors sonoriser un lieu, avoir des figurants… Ca fait beaucoup de scènes dont on se prive, au final."
Un film bourré d'énergie pour un budget de 2000 euros
Ce n’est pourtant pas faute d’écumer les commissions d’aide, de contacter des producteurs et de remuer ciel et terre pour présenter ses scénarios. Le réalisateur peut probablement divertir ses interlocuteurs pendant toute une soirée avec les réponses (surréalistes) qu’il lui est arrivé d’obtenir. De quoi relancer le débat sur la frilosité d’un système français qui refuse de sortir de sa zone de confort. Quoi qu’il en soit, devoir toujours se battre pour imposer ses idées finit par être non seulement usant, mais surtout sclérosant. Beaucoup abandonnent. Jean-Marie Villeneuve, lui, a eu envie de tenter l’expérience du long métrage envers et contre tout.
C’est ainsi qu’est né Tout est faux, auto-financé avec un budget de deux mille euros qui ont principalement servi à restaurer l’équipe (à défaut de les rémunérer) et payer les lumières pour une séquence en boîte de nuit, la steadycam pour les scènes en forêt et le mixage du son. A mille lieux des clichés sur un cinéma amateur forcément bancal, et plutôt dans la lignée des œuvres auto-produites acclamées ces dernières années (Donoma, Rengaine…), le résultat est un film bourré d’énergie, ambivalent et complexe, sorte d’allégorie elliptique et parfois hallucinée de notre incapacité à prendre la parole pour dénoncer l’indécence et le cynisme, ou au contraire défendre ce qui mérite de l’être.
Un long métrage à la fois haletant (à l’image du premier long plan séquence tourné dans la rue, la caméra vissée sur la nuque du personnage principal) et cocasse, drôle et désenchanté. Si l’on s’identifie au personnage central, coincé dans un travail dépourvu de sens, désespérément solitaire au milieu d’individus agressifs ou tout simplement indifférents, privé d’une parole salvatrice ou au moins cathartique, il y a de quoi être sonné. Mais pour autant, Tout est faux raconte aussi la douceur. Celle des mondes intérieurs où il fait bon se réfugier, celle des rencontres, peut-être fugaces, peut-être fantasmées, mais plus réelles que la plupart des échanges machinaux que l’on égrène chaque jour.
Révélation d'un cinéaste
Bien sûr, il y a des maladresses, surtout techniques (vous avez essayé de tourner un long métrage ambitieux sans moyens, vous ?), et des partis-pris qui peuvent surprendre, à l’instar du jeu complètement décalé des deux actrices qui semblent comme vues à travers une loupe déformante… mais n’est-il pas facile de faire abstraction de tout cela pour reconnaître du cinéma quand on en voit ? De comprendre instinctivement que l’on a en face de soi un cinéaste à part entière, avec son univers, son style et son ton bien à lui ?
Jusqu’à présent, le déclic se fait un peu attendre. Tout est faux est sélectionné au festival « Les saisons parisiennes » et sera projeté à Saint-Pétersbourg et à Londres. Il est également soutenu par le cinéma parisien St André des arts qui le proposera à partir du 17 septembre dans le cadre de ses "découvertes". Toutefois, aucune sortie "officielle" n’est encore prévue.
C’est vrai, le film ne battra jamais des records de fréquentation, et sans doute ne plaira-t-il pas à tout le monde, en dépit de son propos parfaitement universel. Mais qu’à notre époque, il n’existe pas de producteur assez visionnaire ou de distributeur assez courageux pour lui donner au moins une chance d’exister en salles, ou pour offrir à son réalisateur un passeport pour un 2e film, réalisé cette fois à l’intérieur des circuits traditionnels, est à la fois incompréhensible et tristement symptomatique d'une époque où l'industrie a pris le pas sur l'artistique. Depuis quand n’y a-t-il plus de place, sur les écrans, pour ceux qui aiment et font le cinéma ?
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Tout est faux de Jean-Marie Villeneuve, au St André des Arts à partir du 17 septembre
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