Les rencontres avec le public sont parfois éprouvantes pour les réalisateurs. L'Indien Shivajee Chandrabhushan, dont le premier long métrage Frozen est en compétition, l'a un peu appris à ses dépends. Après sa participation à plus d'une douzaine de festivals internationaux, il s'est vu interroger pour la première fois sur la portée politique de son film lors de la première française à Vesoul. Parce que l'intrigue familiale qui suit une jeune fille grandissant aux côtés de son père et de son frère se déroule dans un village reculé du Ladakh (situé dans la partie orientale du Jammu-Kashmir, à la frontière du Pakistan) où l'armée fait des manœuvres, les spectateurs y ont vu une violente diatribe antimilitariste...
Très surpris, Shivajee a expliqué que l'inspiration du film lui venait pour moitié d'une expérience personnelle (un ami imaginaire lui ayant tenu compagnie lors de son enfance solitaire) et pour moitié de la bande dessinée Calvin et Hobbes (!) où la peluche de tigre se transforme, dès que les adultes ont le dos tourné, en un formidable compagnon de jeu. Les "ennemis" traqués par les soldats sont ainsi une simple métaphore de l'ennemi intérieur que chacun a en nous, et qui est le plus difficile à combattre, en opposition à ces "amis intérieurs" qui nous accompagnent dans tous les moments de notre existence. Chacun apporte ce qu'il est et ce qu'il perçoit dans les films qu'il regarde, ce que le jeune réalisateur a admis bien volontiers. Mais dans le cas présent, s'en tenir à cette vision engagée et militante n'est pas faire honneur à cette œuvre à la portée éminemment plus riche, de sa beauté plastique époustouflante et novatrice à ses résonances humaines et intimes (le passage à l'âge adulte, le sens du devoir, la filiation...) complexes et profondes.