Regard sur les cinémas d’Asie contemporains

Posté par MpM, le 5 février 2008

Quels sont cette année les visages des cinématographies venues du continent asiatique ? Si l'on se base sur la compétition fiction, d'un point de vue géographique, on constate la prédominance du cinéma chinois et iranien (qui représentent une proportion importante des films proposés aux organisateurs) ainsi que le renouveau de la Malaisie et des Philippines qui bénéficient de la révolution numérique. L'Asie centrale n'est pas oubliée, avec deux oeuvres venues du Kirghiztan et du Kazakhstan, non plus que l'Inde, incontournable, et Israël, à la production relativement dynamique.

Sur le plan thématique, il apparaît que pour nombre de réalisateurs présents, le cinéma reste avant tout un formidable outil de témoignage sur les réalités sociales et politiques de leurs pays respectifs. Les deux films chinois en compétition abordent ainsi tour à tour la désertification des campagnes au profit des villes, la perte des valeurs familiales, la situation des femmes prostituées ou vendues (Les moissons pourpres de Cai Shangjun) ainsi que l'obsession de modernisation du pays et les bouleversements de la société chinoise (Le vieux barbier de Hasi Chaolu). Dans un genre assez proche, mais cette fois en Asie centrale, Le martinet d'Abai Koulbai suit l'errance d'une jeune fille kazakhe livrée à elle-même dans la capitale Almaty. Trop occupés à survivre, ou à monter dans le train du progrès, les adultes s'avèrent incapables de l'aider, ou ne serait-ce que de remarquer la prévisible et choquante descente aux enfers dans laquelle elle s'engage. Là aussi, les valeurs traditionnelles en prennent un coup.

Autre tendance de cette sélection, la volonté d'apporter un témoignage culturel ou historique inédit. Palme du sujet sensible, Boyz Salkyn aborde la question du vol des fiancées. Dans les campagnes kirghizes, lorsqu'une famille souhaite marier son fils, elle enlève tout simplement la jeune fille choisie, et s'arrange ensuite avec ses parents. Ernest Abdyjaparov, le réalisateur du film, avoue avoir lui-même procédé ainsi pour se trouver une épouse... C'est sans doute pourquoi il traite le sujet avec un regard très bienveillant, réussissant l'exploit de réaliser un film léger et même par moments burlesque sur une coutume archaïque et machiste. Trois mères de l'israélienne Dina Zvi-Riklis relate quant à lui la vie de trois soeurs du début des années 40 à Alexandrie aux années 2000 en Israël. Sous forme de fresque romanesque et familiale, la réalisatrice évoque le don d'enfants, qui se pratiquait en Egypte, et le tiraillement des juifs d'Egypte exilés en Israël. Enfin, l'hommage du réalisateur philippin Auraeus Solito à la comédie de teenagers (Philippine science) parle aussi des années d'instabilité du pays, dans les années 80, avant le renversement du dictateur Marcos.

Et puis, bien sûr, il y a les oeuvres atypiques et personnelles dont le point commun est sans doute de porter un regard humaniste et presque sociologique sur une poignée d'individus particuliers : un père et sa fille adolescente au Ladakh (Frozen de Shivajee Chandrabhushan), une poignée de militaires à la recherche de leur liberté individuelle dans une région glacée d'Iran (Those three de Naghi Nemati), des couples confrontés au doute ou au désamour (Waiting for love de James Lee).

Enfin, en terme d'esthétique, on retient le noir et blanc sublime de Frozen et sa mise en scène suffisamment inventive pour lui avoir valu le qualificatif de film indien "le plus novateur de ces dix dernières années", les cadrages au plus près du Vieux barbier, le technicolor soyeux et élégant de Trois soeurs, les interminables plans quasi fixes de Waiting for love, et encore le cinéma vérité du Martinet, film urbain par excellence, ou les images trafiquées de Those three.

Trois questions à Niki Karimi

Posté par MpM, le 5 février 2008

Niki KarimiEcran Noir : Parlez-nous de Sharhzad, le personnage principal de votre nouveau film Quelques jours plus tard.

Niki Karimi : Il s’agit d’une femme qui veut donner son opinion et avoir la parole. Elle a choisi sa vie et refuse de recevoir des ordres. Elle voit une distance entre elle et la société dans laquelle elle vit. C’est pourquoi elle vit hors de la ville, afin de garder cette distance, cette vision différente. Elle est également face à une crise dans sa vie. C’est également un film sur l’attente, sur ce décalage de quelques jours entre le moment où l’on nourrit une décision et la prise de décision elle-même.

EN : Vous êtes une femme, vous êtes iranienne et vous tournez des films mettant en scène des personnages féminins… Est-ce que cela ne vous agace pas un peu que l’on ramène toujours votre travail à votre féminité ?

NK : J’aimerais bien faire un film avec un homme comme personnage principal, mais la réalité, c’est qu’il y a des difficultés à Téhéran, là où je travaille, et il me serait difficile de parler d’autre chose. Mais bien sûr, le cinéma est plus grand que cela : on ne peut pas penser "on est une femme", "on n’est pas une femme". On prend une histoire et on en fait un film. Quand je travaille, je fais en sorte de ne pas avoir de sexe. Bien sûr, l’Iran est un pays patriarcal, c’est donc le regard des hommes qui importe, c’est à eux qu’il faudrait le demander… Ce regard patriarcal est parfois condescendant, certains hommes pensent qu’ils ont leur mot à dire et qu’ils peuvent décider pour vous. Ceci étant dit, on travaille dans ce pays depuis longtemps. On se bat pour se faire une place : s’ils veulent nous écarter, c’est leur problème.

EN : En plus de présenter votre film, vous êtes membre du jury international. Quels critères comptez-vous appliquer pour décerner le cyclo d’or ?

NK : Il faut que cela soit proche du cinéma que j’aime. Parfois on voit des films qui semblent surfaits ou non crédibles, mais parfois on découvre réellement des choses. Il y a également le ressenti et les émotions que l’on garde après la projection. Tout cela réuni fait qu’une oeuvre se détache plus particulièrement du lot que les autres.

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