Victor Lanoux se carapate (1936-2017)
Populaire et attachant, l'acteur Victor Lanoux est mort dans la nuit du 3 au 4 mai à l'âge de 80 ans. Si les téléspectateurs le connaissent avant tout pour son rôle récurrent dans la série "Louis la Borcante", il fut également l'un des comédiens les plus en vogue dans le cinéma français des années 1970 aussi bien dans des polars que dans des comédies, parfois cultes. A partir de 1972 avec L'Affaire Dominici, Victor Lanoux devient une tête d'affiche, passant d'Yves Boisset (Folle à tuer, Dupont Lajoie) à Pierre Granier-Deferre (Adieu Poulet, Une femme à sa fenêtre). Mais c'est Jean-Charles Tacchella qui lui offre son plus beau rôle dans le sensible Cousin, Cousine, trois fois nommé aux Oscars et quatre fois aux César (dont une nomination pour l'acteur).
Cependant, c'est bien dans la comédie de mœurs qu'il va exceller grâce à Yves Robert et son diptyque culte Un éléphant ça trompe énormément et Nous irons tous au paradis, portraits d'hommes faillibles dans une époque résolument féministe, où il incarne un séducteur dont l'assurance s'effrite et la confiance mâle est déstabilisée ("On fait l’amour libre, chacun fait ce qu’il veut. Enfin surtout moi, parce que dans la femme il y a quand même la mère de famille avant tout").
Lanoux jouera pas mal de ce statut d'homme moyen et dragueur. Il essaie pourtant de ne jamais s'enfermer dans un rôle, tournant aussi bien avec Claude Berri (Un moment d'égarement, qui a donné lieu à un récent remake), Gérard Oury (La carapate, joli duo burlesque avec Pierre Richard, son partenaire de cabaret), Jean-Marie Poiré (le vaudevillesque Retour en force), Alain Jessua (l'étrange film Les chiens, avec Depardieu), Peter Kassovitz (le touchant Au bout du bout du banc) n'ont hélas pas forcément été à la hauteur de son talent. Il pouvait jouer les cocus, les papas, des flics (plutôt gradés), les salauds. Lanoux avait la gueule d'un sympathique ou d'une ordure.
Les années 80 ont été plus cruelles avec lui même s'il s'est amusé dans Y a-t-il un Français dans la salle ? de Jean-Pierre Mocky. Il enchaîne les modestes films policiers (Une sale affaire de Alain Bonnot, Un dimanche de flic de Michel Vianey, Canicule d'Yves Boisset, Les Voleurs de la nuit de Samuel Fuller, etc...), souvent partenaire des plus grandes actrices du moment, d'Annie Girardot à Nicole Garcia. Il est plus convaincant quand les auteurs l'emmènent dans des territoires plus troublants à l'instar de Yannick Bellon qui en fait un flic troublé amoureusement par un jeune musicien (La triche), Jean-Loup Hubert qui l'enrôle pour être un ancien virtuose de l'accordéon au chômage (La smala), André Téchine qui lui offre un personnage d'époux (séparé) de Deneuve et père (en conflit avec son fils) dans un drame passionnel (Le Lieu du crime).
Ses derniers films - Le Bal des casse-pieds d'Yves Robert, Les Démons de Jésus de Bernie Bonvoisin et Reines d'un jour de Marion Vernoux - montrent qu'il était ouvert à tous les styles, sans distinction, ce qui aidait sans doute des cinéastes aussi différents à projeter toutes sortes de personnages sur lui, costaud et vulnérable, bourru et charmeur, dur et émouvant.
Métissé de naissance - un père juif tunisien et une mère catholique normande - Victor Robert Nataf a vécu dans la Creuse dès le début de la Seconde Guerre sous le nom de Victor Lanoux. Ancien ouvrier, puis parachutiste et machiniste, il devient comédien en regardant jouer Anthony Quinn sur le plateau de Notre-Dame de Paris. Il suit alors les cours par correspondance proposés par Cinémas du monde et le Conservatoire indépendant du cinéma français.
En 1961, il commence sa carrière sur les planches des cabarets avec Pierre Richard, avec succès, et devient un acteur régulier du Théâtre national populaire (TNP). Il a été aussi metteur en scène de théâtre et a joué jusqu'à la fin du XXe siècle sur scène. En 2007, après un malaise et une opération qui a mal tourné, il devient paraplégique mais s'obstine à vouloir récupérer ses moyens. Il tourne pour la télévision jusqu'en 2015, date officielle de sa retraite.
Cet "artiste du peuple" tel qu'il se définissait était fragile. Il avait récemment tenté de mettre fin à ses jour, fatigué de souffrir après deux lourdes opérations de l’aorte. "Quand je repense à Pierre Richard, Barbara et d'autres, c'est une émotion. Parler de ces gens veut dire que je les ai aimés" expliquait-il nostalgique. Il était un peu las mais savait encore se battre pour défendre ses rôles ... S'il n'a jamais chômé, il a quand même sans aucun doute été frustré de ne pas être considéré comme un grand acteur de sa génération, injustement. Lucide, dans son livre, Laissez flotter les rubans, il écrivait "L'attente, disait Giraudoux, c'est un bonheur pour vierges. c'est un bonheur solitaire."
Tags liés à cet article : andré téchiné, deces, In memoriam, Pierre Richard, théâtre, victor lanoux, yves boisset, yves robert.