Ce qu'il faut savoir: Restauré en 4K, Belle de jour, chef d'œuvre atemporel de Luis Bunuel a eu les honneurs de Cannes Classics cette année pour célébrer son cinquantième anniversaire. A sa sortie, le film avait été sacré par un Lion d'or à Venise (en plus du prix Pasinetti) et Catherine Deneuve avait obtenu une nomination comme meilleure actrice aux BAFTAS. C'est en fait avec le temps que Belle de jour est devenu culte. Même si le film a été un gros succès en France (2,2 millions de spectateurs en 1967, soit davantage que Les demoiselles de Rochefort sorti la même année), sa réputation a surclassé de nombreux films du cinéaste. Lors de sa re-sortie aux Etats-Unis en 1995, parrainé par Martin Scorsese, le film avait rapporté près de 5M$ au box office nord américain, soit l'un des plus gros scores des années 90 pour une re-sortie (et de loin la plus importante recette cette année-là puisque La horde sauvage, 2e des re-sorties n'avait récolté que 700000$). William Friedkin considère que c'est l'un des plus grands films du cinéma. Carlotta films et StudioCanal vous proposent de le (re)voir en salles dès le 2 août.
Le pitch: La belle Séverine est l’épouse très réservée du brillant chirurgien Pierre Serizy. Sous ses airs très prudes, la jeune femme est en proie à des fantasmes masochistes qu’elle ne parvient pas à assouvir avec son mari. Lorsque Henri Husson, une connaissance du couple, mentionne le nom d’une maison de rendez-vous, Séverine s’y rend, poussée par la curiosité. Elle devient la troisième pensionnaire de Mme Anaïs, présente tous les jours de la semaine de quatorze à dix-sept heures, ce qui lui vaut le surnom de « Belle de jour »…
Pourquoi il faut le voir? Pour Bunuel. Pour Deneuve. Pour tous les comédiens. Pour cette formidable interprétation visuelle et érotique du fantasme et de l'inconscient. On ne sait par où commencer. Il y a tellement de bonnes raisons de voir Belle de jour. Aujourd'hui encore, iil reste un modèle dans le registre de la fantasmagorie. Si le film atteint un tel équilibre entre le sujet, la mise en scène et l'interprétation (au point que Belle de jour et Catherine Deneuve fusionneront en un même symbole iconique), c'est sans doute parce qu'il s'affranchit de toutes les audaces, tout en étant formellement inventif et relativement pudique. Malgré sa perversité, c'est la poésie que l'on retient, cet onirisme si souvent plagié par la suite. Malgré l'aspect délirant du récit, c'est une succession d'abandons et de fêlures qui retiennent l'attention. Il y a une liberté absolue : celle à l'écran et celle qu'on laisse au spectateur.
"Son héroïne est à la fois maître de son destin, et maîtresse soumise aux vices des autres. Il n'y a rien de manichéen, car il ne fait que démontrer l'inexplicabilité de la sexualité. Avec un sens subtil du bon goût, le cinéaste espagnol parvient à nous exhiber des perversions qu'il ne juge jamais, mais qui accentuent le surréalisme du film" peut-on lire sur notre critique. "Bunuel réussit à composer un puzzle où puiseront nombre de cinéastes pour éclater leur narration et mieux fusionner le langage irrationnel du cinéma avec les logiques individuelles d'un personnage. Un portrait presque inégalable qui en dit bien plus sur rouages, les blocages et les engrenages de la psychologie d'une femme que de nombreux films bavards ou livres savants."
Et puis s'il faut un ultime argument, combien de films affichent au générique Deneuve, Piccoli, Jean Sorel, Geneviève Page, Francisco Rabal, Pierre Clementi, Françoise Fabian, Macha Méril et Francis Blanche?
Le saviez-vous? Un "roman de gare" de Joseph Kessel, des producteurs réputés commerciaux. Il n'y avait qui prédestinait Belle de jour à être un chef d'œuvre du cinéma. Co-écrit par Bunuel et Jean-Claude Carrière (c'est leur deuxième collaboration ensemble), le film s'est pourtant affranchi de toutes les contraintes. Même les pires. A commencer par la censure qui imposa des coupes au réalisateur (qu'il regrettera plus tard), notamment la scène entre Séverine et le Duc. On su plus tard que le tournage fut tendu. Les producteurs faisaient tout pour isoler le cinéaste de ses comédiens, entraînant malentendus et manque de confiance. Deneuve, à l'époque 23 ans, se sentait très vulnérable, et même en détresse, selon ses propres confidences. "J'étais très malheureuse" expliquait-elle, sentant qu'on abusait d'elle et qu'on réclamait d'elle toujours plus, notamment en l'exposant nue (il y a quelques subterfuges dans le film). Bunuel en avait conscience. Même si le tournage a été tendu, si l'actrice craignait son réalisateur, et si Deneuve et Bunuel avait un souci de compréhension dans leurs attentes respectives, cela ne les a pas empêché de tourner Tristana par la suite. Elle l'a toujours cité parmi les "cinéastes qui l'ont faite", aux côtés de Demy, Truffaut et Polanski. Elle avait accepté le rôle sans hésiter, alors que le personnage était très loin de l'image qu'elle véhiculait. Vierge et putain, et comme disait Truffaut: "Ce film coïncidait merveilleusement avec la personnalité un peu secrète de Catherine et les rêves du public."
Les deux scénaristes ont cependant pris soin d'interroger des tenancières de maisons closes sur les habitudes des clients et de nombreuses femmes sur leurs désirs. Dans ce film, le "vrai" est une fiction tandis que l'imaginaire est "réel".
Bonus: Grâce à Carlotta Films et StudioCanal, certaines salles diffuseront une rétrospective du cinéaste Luis Bunuel, "Un souffle de libertés", avec "6 œuvres majeures et anticonformistes", soit l'apogée d'une immense carrière en liberté (et les plus belles actrices françaises au passage): Le Journal d’une femme de chambre, La Voie lactée, Tristana, Le Charme discret de la bourgeoisie, Le Fantôme de la liberté, Cet obscur objet du désir.