Le Festival du film de La Rochelle, qui a lieu chaque année fin juin début juillet, est l’occasion de découvrir des films inédits, avant-premières, rééditions, et surtout des hommages et des rétrospectives. Cette année, furent notamment à l’honneur les films muets du Suédois Victor Sjöström (1879-1960) et les dix premiers films de l’Américain Arthur Penn (1922-2010), un des pères du Nouvel Hollywood. Parmi les nouveautés, fut remarqué le très bel essai de Frank Beauvais, Ne Croyez surtout pas que je hurle, qui sortira le 25 septembre 2019 (lire aussi notre article lors de sa projection à la Berlinale). Ces cinéastes questionnent chacun à leur manière la place de l’individu dans la collectivité. Tour d’horizon en trois chapitres.
Chapitre 3 : Le « je » et le monde
2016. A 45 ans, Frank Beauvais vient d’être quitté par l’homme avec qui il vivait. Il est à présent seul, sans permis de conduire, dans une maison isolée, en Alsace. Pendant quelques mois, sa routine dépressive l’empêche de presque tout, sauf de regarder des films – quatre ou cinq par jour. Au son, il n’y a que sa voix, comme un journal des événements de son quotidien et des pensées qui le traversent face à l’état du monde. A l’image, un montage de plans des films vus pendant cette période tour à tour illustre le texte ou s’en éloigne. Si ce procédé s’inscrit dans une droite ligne moderne (Debord, Duras, Godard, Marker), Ne croyez pas que je hurle est un essai sensitif, jamais théorique.
Déjà, dans son moyen métrage Compilation, 12 instants d’amour non partagés (2007), le cinéaste filmait de façon forcenée le visage d’un jeune homme dont il était épris et y accolait des chansons d’amour qui jamais ne semblaient toucher, atteindre le visage. Cri sans écho, distance infranchissable entre une parole pourtant sans ambigüité et ce visage/image. A l’inverse ici, il n’y quasiment aucun visage : des nuques, des mains, des pas, des objets, des lieux vides… C’est comme si, dans sa dépression, Beauvais ne pouvait plus discerner ce qui fait qu’un être est humain. Cette absence participe aussi du fait que jamais le spectateur n’est tenté de reconnaître les films qui défilent – noirs et blancs, couleurs, anciens, récents, peu importe : ils deviennent des impressions plus que des citations. Seule la voix nue nous guide.