C'est la série qui n'était pas forcément attendue parmi les favorites aux prochains Emmy Awards. 7 nominations dans les catégories principales (meilleure série unitaire, meilleur acteur, meilleure actrice, deux fois meilleur réalisateur, meilleur scénario) et 10 autres dans les catégories techniques. Fosse/Verdon, diffusée aux USA en avril/mai sur FX, et en France sur Canal +, composée de huit épisodes, est l'adaptation de la biographie Fosse de Sam Wasson, développée par Steven Levenson (Masters of Sex) et Thomas Kail (Hamilton). Elle est produite par les deux acteurs principaux, la star de Broadway Lin-Manuel Miranda (vu dans Le retour de Mary Poppins) et la fille du couple Verdon / Fosse, Nicole Fosse.
On connait tous de nom Bob Fosse, chorégraphe, danseur, metteur en scène, réalisateur. Trois fois cité à l'Oscar du meilleur réalisateur (il l'a eu pour Cabaret), 20 fois nommé aux Tony Awards (il en a récolté 9, notamment pour Damn Yankees, Sweet Charity, Pippin, mais aucun pour Chicago), trois Emmy en poche, et une Palme d'or à Cannes (All that Jazz), il a été l'un des talents les plus importants des années 1950 aux années 1980 tant pour le théâtre que pour le cinéma. On connaît moins Gwen Verdon. Cette star de Broadway a reçu 4 Tony Awards de la meilleure actrice dans un musical (en plus de deux nominations, dont une pour la création du rôle de Roxie dans Chicago). Au cinéma, elle a eu un grand rôle, celui dans l'adaptation du musical Damn Yankees, et a su, à la fin de sa carrière, se créer des opportunités avec Cocoon de Ron Howard, Nadine de Robert Benton, The Cotton Club de Francis Ford Coppola, Alice de Woody Allen et Simples secrets de Jerry Zacks.
C'est d'ailleurs l'occasion de voir comment le perfectionniste Fosse, avec sa muse Verdon, ont conçu des spectacles, quelques chorégraphies cultes, et collaboré ensemble à des films comme Cabaret . Car Fosse/Verdon vous emmène dans les coulisses des tournages, des salles de montage, des salles de répétition. Toute l'exigence de Bob Fosse, tout le talent de Gwen Verdon se retrouvent ainsi, aussi, ici.
Oscar du meilleur second-rôle en 2018 et nommé au même Oscar cette année, Sam Rockwell est à l'affiche depuis 30 ans, tournant pour Woody Allen, George Clooney, Ridley Scott, Ron Howard, Adam McKay et Clint Eastwood. Ici, on le découvre addict aux médocs, sexopathe, danseur, égoïste, génie créateur, époux imparfait, père cruel malgré lui, frôlant tantôt le burn-out, tantôt l'infarctus. On n'arrive jamais à le détester alors que tout son comportement est critiquable. Il aurait été cloué au pilori à l'ère #metoo. Mais il nous émeut réellement quand il essaie de tenir une promesses, faire des claquettes sur le cercueil de son meilleur ami, sans y parvenir, terrassé par l'émotion.
Révélée par la série jeunesse Dawson à la fin des années 1990, Michelle Williams, quatre fois nommée aux Oscars a été révélée dans Brockeback Mountain, avant d'enchainer plusieurs films indépendants remarqués, mais aussi de tourner dans des films comme Shutter Island, My Week with Marilyn, Le monde fantastique d'O, Manchester by the Sea, The Greatest Showman et Venom. C'est un véritable job de métamorphose qu'elle opère ici, acceptant d'être grimée pour vieillir, mais transformant aussi sa voix, dansant avec agilité lorsqu'elle est jeune, avec plus de souffrance en vieillissant. Mère protectrice, épouse bafouée, vedette accro à la lumière, elle s'adapte à toutes les situations, capable de nous bouleverser quand elle mange seule ses spaghettis dans sa cuisine.
La force et l'intensité de la série est de composer un puzzle où se dessine une passion artistique et sentimentale qui traverse quatre décennies. Car Fosse est perdu sans Verdon et Verdon n'est rien sans Fosse. Même quand ils se séparent, ils restent mariés. Elle est là, légataire et protectrice de son œuvre, à laquelle elle a fortement contribué dans l'ombre. Même quand elle n'a plus l'âge pour le rôle, il s'adapte pour qu'elle poursuive son rêve. Il est là, capable de se mettre en danger pour qu'elle puisse étinceler sur scène une dernière fois. C'est la beauté de l'histoire. Même si elle est un peu romancée par un découpage qui se concentre sur les années 1970, cette histoire vraie touche au cœur. Sans doute parce que les faces sombres du couple et de chacun d'entre eux, comme de leur fille, sont toutes (sur)exposées. Une bande de névrosées, d'angoissés, d'égoïstes tentant d'appréhender la normalité, alors qu'ils connaissent le (lourd) prix à payer: leurs destins ne sont pas exempts de drames.
Sans doute parce que chaque épisode est un film formellement différent (même le générique varie), jusqu'à imaginer un huis-clos décisif dans une villa sur la plage, ou jouer avec le temps en faisant des aller-retours entre les époques. Chaque séquence devient alors une touche impressionniste d'un tableau où l'amour et l'art dictent leurs lois à deux êtres ayant pactisé avec leurs passions dévoratrices. Un mélodrame sublime qui s'achève sur un trottoir à l'entrée d'un théâtre. Au sol, et dans les larmes. Malgré l'amertume, les colères, le rejet, l'affection était la plus forte. Il n'y avait bien que la mort qui pouvait les séparer.