L'Etat va ponctionner 150 millions d'euros dans les caisses du CNC (voir notre actualité d'hier). Et cela pourrait avoir un impact sur le chantier de la numérisation des oeuvres du patrimoine, qui vient de commencer.
Eric Garandeau, président de l'institution, a déclaré au Monde : "Ces 150 millions d'euros, c'est justement la réserve dont nous disposons pour dresser l'inventaire des oeuvres, les restaurer et les numériser. Cette enveloppe sert aussi à soutenir le passage au numérique des petites salles de cinéma, et des circuits itinérants. Ces chantiers risquent de passer à la trappe, ou bien il va falloir ralentir le calendrier, et rééchelonner les contrats." La cinémathèque en ligne, qui est un outil d'éducation artistique, ne semble pas menacée.
Deux formes d'aides existent pour la numérisation des films. Le grand emprunt et le dispositif du CNC pour les films dont la rentabilité n'est pas assurée (voir notre actualité du 21 mars dernier). A en croire le CNC, cette aide aux films vulnérables pourraient faire les frais de la baisse du budget du CNC.
Il faut compter en moyenne 100 000 euros pour restaurer et numériser un film (les aides s'étalent entre 40 et 90 milles euros). En juillet, des films comme Le Joli Mai de Chris Marker, Jour de fête, Playtime et Mon oncle de Jacques Tati, Avoir vingt ans dans les Aurès de René Vautier, Peau d'âne de Jacques Demy ou encore Jacquot de Nantes d'Agnès Varda avaient été retenus lors de la première session.
Cette semaine, la deuxième session vient de rendre son verdict. Le groupe d'experts d'aide à la numérisation des œuvres du CNC a décidé d'aider 16 longs métrages, de 45 000 euros à 150 000 euros : L'homme de Rio et Les tribulations d'un chinois en Chine de Philippe de Broca, Le carrosse d'or de Jean Renoir, Hiroshima mon amour d'Alain Resnais, Shoah de Claude Lanzmann (le plus cher), L'assassin musicien et em>Les enfants du placard de Benoît Jacquot, et 9 films de Robert Guédiguian (dont Marius et Jeannette). Six courts métrages sont également concernés (dont certains signés d'Alain Cavalier ou Cyril Collard).
C'est autant de travail pour les laboratoires mentionnés dans les dossiers : Eclair, Digimage, Mikros et l'italien Immagine Ritrovata. Des industries techniques qui souffrent depuis quelques années (on se souvient du feuilleton autour de la faillite de Quinta Industries l'an dernier). La réduction du chantier de numérisation, lancé en grande pompe en mai au Festival de Cannes, aurait des conséquences sur l'emploi et la filière toute entière alors que la France dispose d'un véritable savoir-faire dans le domaine.
Surtout, alors que l'Hadopi est en voie de disparition (budget réduit pour l'an prochain, mission Lescure pour trouver d'autres solutions), c'est l'offre légale (et sa diversité) qui est menacée. Or, le gouvernement actuel a fait de cette offre légale un pilier essentiel de sa lutte contre le piratage.
Eric Garandeau, dans un récent discours, rappelait que "Le basculement dans le "tout numérique" est synonyme de mondialisation totale, immédiate : une simple vidéo postée sur un réseau social acquiert une audience potentiellement mondiale... ou peut rejoindre le cimetière des oeuvres jamais vues car jamais visibles sur les moteurs et les portails." Un film du patrimoine qui n'est pas numérisé est un film qui part au cimetière.
Cela n'empêchera pas le CNC de tenir sa prochaine session le 15 novembre. Les dossiers doivent être déposés au plus tard le 15 octobre. Mais combien de films seront retenus? Et en 2013, quel sera le programme...?