Le 13ème Festival du Film Asiatique de Deauville s’est achevé dimanche soir avec la cérémonie de clôture et la proclamation du palmarès par les deux jurys. Et c’est à la surprise générale que le Grand Prix a été remis au Thaïlandais Eternity, le film le moins apprécié du public.
Eternity était en effet le film plus ardu de la compétition, voire le plus hermétique ou le plus soporifique. Il comporte de nombreux plans-séquences fixes avec de longues scènes d’un quotidien banal (un repas en famille, le couple qui discute mythologie en nous tournant le dos…) qui ont provoqué un tel ennui chez certains qu'ils n'ont pas hésité à quitter la salle en cours de projection. Le film raconte l’histoire d’un homme décédé qui se souvient de la femme qu’il aimait, et on assiste à des moments de complicité entre eux à la rivière et l’intégration de la jeune femme dans la famille de son amoureux. Au début il semble que le réalisateur use et abuse de longues scènes où la caméra immobile nous montre de manière naturaliste (et sans aucune musique) des moments de vie ordinaires à priori sans intérêt. Plus tard, on saisira que ce dispositif de mise en scène contemplative trouble la notion du temps avec ces séquences en temps réel (et avec des temps morts), le passé et le présent prennent une autre valeur au regard de la vie avant et après la mort. Si on n’est pas loin de l’univers de Apichatpong Weerasethakul on est encore plus près de la narration de Lisandro Alonso. Eternity est un film où l’exigence d’une narration par moments de simplicité conduit à une rigueur sans artifice qui désarçonne. Un étonnement salué donc par le Grand Prix pour le réalisateur Sivaroj Kongsakul.
Le jury était présidé par Amos Gitaï, qui était entouré de Jacques Fieschi, Mia Hansen-Love, Reda Kateb, Pavel Lounguine, Noémie Lvovsky, Catherine Mouchet, Anne Parillaud et Marc Weutzmann. Départager les dix films de la compétition n’a pas été facile car les films les plus remarquables ont aussi été ceux qui ont le plus divisé les spectateurs. Les films les plus appréciés ont été ceux où il était facile de s’attacher aux personnages mais sans véritable ressenti de cinéma : Buddha Mountain de la réalisatrice Li Yu (déjà été remarquée ici pour Dam Street), Donor du Philippin Mark Meily ou encore Udaan de Vikramaditya Motwane (qui était passé à Cannes).
Et c’est donc dans cette veine- là que Sketches of Kaitan City de Kazyoshi Kumikari et The journals of Musan de Park Jung-Bum ont reçu chacun ex-aequo le Prix du Jury. En compétition également le film le plus provocant et le plus extrême du festival, Cold Fish de Sono Sion (passé par Venise) qui est absolument étourdissant, un peu trop pour le jury, mais qui figure heureusement au palmarès avec le Prix de la Critique internationale. Les films qui ont montré, eux, une recherche esthétique et cinématographique plus exigeante sont aussi ceux qui proposaient une histoire moins linéaire : Birth Right de Naoki Hashimoto, La ballade de l’impossible de Tran Anh Hung, et donc Eternity de Sivaroj Kongsakul. En choisissant ce dernier pour le Grand Prix, le jury a su faire preuve de courage et d’audace.