Lors de ce 64e Festival de Cannes, le Palais a bruissé de rumeurs, de commentaires sur les rapports de forces, soulignant une emprise toujours plus grande de Thierry Frémeaux, ou s'inquiétant de l'éventuel départ de Gilles Jacob. L'affaire Lars Von Trier a d'ailleurs (d)étonné puisque le cinéaste danois est ami avec les deux hommes.
Mais en France, tout est politique. Maintenant que le Palais se transforme (en blanc, c'est plus beau), que la gare de Cannes va se métamorphoser (enfin), que le virage du numérique est bien engagé (le site du Festival est un modèle), que la sélection officielle a été bien accueillie (et même mieux que ça), que le Marché du film est en forme, certains sous-entendent qu'il faudrait remplacer le Pape.
Quelle drôle d'idée. Gilles Jacob, délégué général depuis 1977, président du Festival depuis 10 ans, est indissociable du Festival. Surtout, il n'y a pas grand chose à lui reprocher. Il assure le "job" quand Jafar Panahi est arrêté et interdit de filmer, quand il faut expliquer la révolution technologique actuelle, quand il faut se faire l'ambassadeur d'un Festival plus que jamais "pays des cinémas du monde". Il est un fervent cinéphile, un passionné habité, un symbole atemporel dans ce monde qui va (inconsciemment) trop vite.
Grâce à lui, le Festival de Cannes est resté le plus grand festival de cinéma du monde durant 25 ans. C'est sans doute pour cela que le poste de Gilles Jacob attise les convoitises. Nombreux sont ceux qui veulent cette place si prestigieuse. Cumulard (Alain Terzian, président des César), ex-Ministre qui se croit toujours Ministre (Jack Lang) ou Ministre qui voudrait être ex-Ministre (Frédéric Mitterrand), personnalité politico-cinématographique (Marin Karmitz), anciens patrons de Canal + (Pierre Lescure, Marc Tessier) ou d'Arte (Jérôme Clément, qui se croyait encore le boss de la chaîne culturelle cette année sur la Croisette)... les candidats ne manquent pas. N'est-ce pas prématuré? Image-t-on le séisme que sa non réélection provoquerait dans le milieu?
Pourtant rien ne dit que Gilles Jacob ne sera pas candidat à sa propre succession en novembre. Nous le souhaitons, nous l'espérons. Et dans le cas contraire, le plus légitime des candidats ne serait-il pas Thierry Frémaux lui-même? Ce sera au conseil d'administration de choisir, voire de voter une modification des statuts. Dans le conseil, on retrouve, entre autres, le directeur du CNC, un représentant du Ministère de la Culture, le contrôleur d'Etat, un représentant de la ville de Cannes, un représentant du Syndicat Français de la Critique de Cinéma.
A la veille du 65e anniversaire du Festival, on imagine mal Gilles Jacob éconduit. Selon lui, le poste peut être occupé par des talents très divers : "tout le monde peut être directeur du Festival de Cannes, à condition bien sûr d'être très cinéphile, de travailler beaucoup et d'avoir un peu de chance. J'ajouterais la patience comme qualité essentielle. Mais alors, une énorme dose de patience !" Les prétendants vont devoir encore patienter 3 nouvelles années (durée d'un mandat).
Dans une interview de 2009, il évoquait avec humour cette succession : "je sais qu'un jour ma femme me dira : “Sais-tu que tu es en train de devenir gâteux ?” Je lui fais entièrement confiance pour ne pas me laisser faire l'année de trop."