Génie du doublage, Roger Carel se casse avec sa voix (1927-2020)

Posté par vincy, le 18 septembre 2020

Roger Carel, de son vrai nom Roger Bancharel, est mort le 11 septembre 2020 à l'âge de 93 ans. C'est sans doute le comédien français le plus prolifique que le cinéma vient de perdre. Pas tant pour sa présence à l'écran (essentiellement des seconds-rôles dans des comédies) ou sur les planches, mais par sa voix. Il en avait 1000...

Assumons: Carel était le roi du doublage. Une monument vocal capable de toutes les transformations et de toutes les audaces. De quoi mériter, en janvier 2012, le prix Henri-Langlois pour l'ensemble de son œuvre.

Physiquement, on l'a vu depuis les années 1950 dans des films comme Le Triporteur, Le Vieil Homme et l'Enfant, Le viager, Elle cause plus... elle flingue, On a volé la cuisse de Jupiter, Le Coup du parapluie, L'Été meurtrier, Papy fait de la résistance, Mon homme, se glissant dans la peau d'un russe ou d'un passant, d'un médecin ou d'un paysan, d'un garagiste ou d'un général. Il cachetonnait et s'amusait...

De Certains l'aiment chaud à Kubrick

Mais c'est en studio, derrière un micro, qu'il brillait. Il était la voix de Peter Sellers, de Peter Ustinov, de Jack Lemmon, d'Eli Wallach, d'Ian Holm, de Jerry Lewis, de Pat Morita (dans Karaté Kid), de Charlie Chaplin (dans Le dictateur), de Fred Astaire (dans La tour infernale), de Jim Broadbent (dans Harry Potter et le Prince de Sang mêlé). Sa voix est aussi présente dans des films aussi divers, mais remarquables, qu'Orange mécanique, MASH, La Belle de Moscou, Le Kid de Cincinnati, Le Bal des vampires, Butch Cassidy et le Kid, Tora ! Tora ! Tora !, L'exorciste, Le verdict, Fanny et Alexandre, Furyo, Good Morning Vietnam!. Il était aussi le narrateur de L'étoffe des héros.

Mais son grand génie s'exprime surtout avec six épisodes de la Guerre des étoiles où il double Anthony Daniels et devient ainsi la voix française de C-3PO.

De Disney à Astérix, de Alf à Benny Hill

Un androïde ne pouvait pas effrayer Roger Carel, devenu maître de la voix dans l'animation, dès les années 1940. Chez Disney pour commencer (souvent en deuxième doublage, dont l'impeccable chat de Cheshire dans Alice au pays des merveilles, mais aussi le sournois serpent Kaa dans Le livre de la jungle, ou Roquefort et Lafayette dans Les Aristochats). Et puis il devint la voix d'Astérix, le plus populaire des héros BD en Europe, décliné en films d'animation à succès dès 1968. De temps en temps il vocalisait sur quelques autres personnages secondaires, notamment Idéfix. Cette collaboration avec le gaulois dura jusqu'en 2014! De Fritz le chat à Winnie l'ourson, en passant par Jolly Jumper (dans Les Dalton en cavale), il était incontournable dans son milieu.

La télévision lui offrit aussi des personnages cultes à incarner en français: Benny Hill, Alf, le révérend Sikes dans Desperate Housewives, Hercule Poirot durant 12 saisons, Charles Ingalls dans La Petite Maison dans la prairie, le boss dans Shérif, fais-moi peur, mais aussi des passages dans des séries comme Buffy, Dynastie, Cold Case, New York unité spéciale, X-Or, Charmes, Inspecteur Derrick...

Un Cro-magnon, un myope, une grenouille, mais surtout un Maestro

Petit écran et animation lui ont aussi valu de grandir avec des générations d'enfants : il fut la voix de Dingo pour Disney durant plusieurs décennies. Il s'entend aussi dans Inspecteur Gadget, Les Bisounours, Albator, Le petit dinosaure, Capitaine Flam, Babar, Le petit dinosaure, Les Gnoufs, Les Pierrafeu, Princesse Starla, Les Quatre fantastiques, et bien entendu Star Wars: Clone War en C-3PO...

Il fut les incontournables Capitaine Caverne et Mister Magoo, Kermit la grenouille dans Le Muppet Show, Woody Woodpecker. Capable de moduler ses cordes vocales dans les aigus comme de la transformer par le nez, il pouvait jouer toutes les excentricités et surtout plusieurs personnages. Ainsi dans les séries Il était une fois... (L'homme, L'espace, La vie, Les Amériques, Les découvreurs, Les Explorateurs, Notre terre), il fut le savant déluré Maestro de 1978 à 2011, mais aussi le raisonnable Pierre, le robot Métro, le fourbe Nabot.

Son talent fut aussi de s'adapter à son temps, et d'aller prêter son don au jeu vidéo. Luigi dans Mario c'est lui. Outre les jeux Star Wars, Winnie l'ourson et Astérix, on peut le reconnaître dans Warcraft II et Les Simpsons. Il fut même le Croco Amstrad pour la publicité des consoles en 1990.

Ce sont tous ces héros d'hier et d'aujourd'hui, pour petits et pour les devenus grands, qui perdent leur père d'adoption de langue française, leur incarnation à l'oreille. Carel emporte avec lui sa voix et une part de notre culture inconsciente.

Pour ses 55 ans de carrière, Catherine Deneuve recevra le 39e prix Chaplin

Posté par vincy, le 12 janvier 2012

Catherine Deneuve sera la récipiendaire du 39e Chaplin Award le 2 avril prochain, à New York. Avec un peu de chance, on a évité le poisson d'avril, qui, ironiquement, est le titre d'un de ses rares films américains, April Fools, avec Jack Lemmon (photo).

Le Film Society of Lincoln Award décernera son prix cinématographique le plus prestigieux lors d'un gala qui reviendra sur l'ensemble de sa carrière à travers des extraits de films et des interviews, en plus d'un hommage en présence de la star, 55 ans après son premier film, Les collégiennes. Avec l'Oscar d'honneur, c'est la récompense américaine la plus distinguée tous palmarès confondus.

Le prix Chaplin fut inauguré en 1972 avec son premier gagnant, Charlie Chaplin lui-même. Pour donner une idée de l'immense honneur qui est attribué à l'actrice française, il suffit de voir qui a remporté ce prix : Sidney Poitier, Michael Douglas, Tom Hanks, Meryl Streep, Diane Keaton, Jessica Lange, Dustin Hoffman, Michael Caine, Susan Sarandon, Francis Ford Coppola, Jane Fonda, Al Pacino dans les années 2000 ; Mike Nichols, Martin Scorsese, Sean Connery, Clint Eastwood, Shirley MacLaine, Robert Altman, Jack Lemmon, Gregory Peck, Audrey Hepburn, James Stewart dans les années 90 ; Bette Davis, Yves Montand, Alec Guiness, Elizabeth Taylor, Federico Fellini, Claudette Colbert, Laurence Olivier, Billy Wilder, Barbara Stanwyck, John Huston dans les années 80 ; Bob Hope, George Cukor, Paul Newman et Joanne Woodward, Alfred Hitchcock, Fred Astaire et Charlie Chaplin dans les années 70.

Si l’on considère Colbert comme actrice américaine (elle fut naturalisée), Deneuve est donc la première actrice non américaine, la troisième personnalité non anglo-saxonne, et la deuxième personnalité française, après Yves Montand, à recevoir ce prix. Elle a de nombreux liens avec les précédents primés, partageant l'affiche avec Montand et Jack Lemmon, ayant faillit joué avec Hitchcock, partageant le même mari que Jane Fonda (Roger Vadim), ayant été co-présidente du jury du festival de Cannes avec Clint Eastwood, devant la re-sortie dans les années 90 de Belle de Jour au travail de restauration de Martin Scorsese...

Et sa carrière continue. D'ici 2013, quatre films sont prévus dans son planning.

Blake Edwards (1922-2010) : fin de « Party »

Posté par vincy, le 16 décembre 2010

Il avait une marque de fabrique. La comédie chic, élégante, enchaînant les gags les plus farces, les situations les plus improbables, des plans toujours soignés. Il savait aussi choisir ses stars. Blake Edwards (de son vrai nom William Blake Crump) a vécu une belle vie. Né en plein été 1922 au fin fond de l'Oklahoma, il est décédé aujourd'hui, au début de l'hiver 2010. 88 ans jusqu'au dernier clap. Et pour une fois, il n'y a aucun délire. Julie Andrews est veuve.

On lui doit une série de succès (pour ne pas de triomphes populaires), de films cultes, d'oeuvres respectées. Certes cela faisait 15 ans qu'il ne tournait plus, mais il a donné de son humour durant 40 ans.  Si les Oscars l'ont snobé (une seule nomination en tant que scénariste), ils se sont rattrapés en 2004 avec un Oscar d'honneur bien mérité, remis par Jim Carrey. Il laisse derrière lui un César (meilleur film étranger avec Victor Victoria), un Donatello (meilleur scénariste, pour le même film), plusieurs prix et nominations glanées ici et là, quelques statuettes pour l'ensemble de sa carrière et deux prix du meilleur scénario de la Writer Guild of America (Quand la Panthère rose s'en mêle, Victor Victoria) parmi huit nominations. Côté réalisateurs, ses confrères de la Director's Guild avait nommé Diamants sur Canapé (alias Breakfast at Tiffanny's) et en 1993, ils lui donnèrent un prix spécial.

La comédie est considérée comme un sous-genre, mais dans son cas, il fait partie de ses cinéastes qui ont donné leurs lettres de noblesse au cinéma de dérision. Héitier des Preston Struges, Leo Carrey, Howard Hawks, Billy Wilder, Blake Edwards a mis en scène Audrey Hepburn, Cary Grant, Tony Curtis, Jack Lemmon (son comédien favori), Natalie Wood, Bruce Willis, Kim Basinger, Julie Andrews, Burt Reynolds, David Niven, William Holden, Omar Sharif, Rock Hudson...

Avec un grand père grand réalisateur de films muets et un père chargé de production et premier assistant réalisateur, il passe logiquement derrière la caméra. Son premier long métrage date de 1955, Bring your smile around.

Le récemment disparu Tony Curtis devient vite sa star fétiche. Il tourna la plupart de ses premiers films avec lui. En 1959, il l'enrôle dans la Marine, aux côtés de Cary Grant, et forment un duo de tonnerre dans Opérations Jupons, une histoire de sous-marin rose durant la seconde guerre mondiale côté Pacifique, avec un gros cochon, des soutien-gorges et une armada d'emmerdements.

Mais c'est en 1961 qu'il trouve les premières formes de respect avec Diamants sur Canapé, adaptation d'un roman de Truman Capote. La fameuse scène où Audrey Hepburn, merveilleuse ingénue, frivole et romantique, où l'actrice , avec ses lunettes noires, boit son café et croque dans un donut devant les vitrine du bijoutier Tiffany, est devenue une référence (jusqu'à Desplechin qui utilisera un plan similaire dans Rois et Reine). Edwards a cet art de délirer avec classe, de se complaire dans la débauche et les désastres avec une décence assumée.

Le succès du film le pousse à passer au drame. Le jour des vins et des roses lui vaut un succès critique avec une histoire d'alcoolisme. À raison d'un film ar an, il enchaîne des films inégaux. Mais il croise une pépite. Une des premières franchises du cinéma depuis Tarzan, et à l'époque de James Bond : La panthère rose. Une musique de Mancini, un générique en animation, une histoire de casse avec un détective loufoque. Le tour est joué. Non seulement il cartonne au box office, mais il rencontre surtout Peter Sellers, à qui il met un imper et un bob et le métamorphose en Inspecteur Clouseau. Les gaffes de l'un et la maîtrise délicate de l'autre font une alchimie détonante. Il en réalisera huit épisodes.

blake edwards et peter sellersEn 1965, il filme une infernale course de voiture entre le diabolique Jack Lemmon, l'angélique Tony Curtis, la sublime Natalie Wood. La Grande course autour du monde révèle surtout une scène de tarte à la crème extrême. Mais c'est en 1968 qu'il entre dans la légende du 7e art avec The Party. Il laisse Peter Sellers en roue libre dans cette moquerie sur Hollywood et les mondanités (qui d'autre savait aussi bien filmer les pince-fesses?), nous offre une soirée mousse d'anthologie, un poulet qui se niche dans une coiffe, un rouleau de PQ interminable, des éléphants et leur pesant de gags. Les bévues de l'acteur indien joué par Sellers provoquent un délire hilarant et interminable.

Certes ils se sont fâchés sur la fin. Edwards lui reprochait son manque de professionnalisme et surtout d'envie. Il l'insérera quand même, de manière posthume dans A la recherche de la panthère rose en 1982. Pas rancunier. ils se devaient tant.

Hélas après, Edwards céda à des facilités, cumula les échecs (Darling Lili), s'attira les moqueries (Elle, avec Bo Derek), le mépris (S.O.B. pourtant très drôle par son cynisme). On pouvait croire à son déclin. Le nouveau cinéma américain le laissait sur le carreau. Les comédies avaient moins de place qu'auparavant. Surtout, hormis Burt Reynolds, il n'y avait pas stars charismatiques qui fassent rire dans les années 70. Il se rassure avec ses Panthère rose. Heureusement, 10, lui redonne espoir. Il est l'un des plus gros succès du box office de l'année 1979.

Et puis, un chant du cygne. Un scénario brillant, dans l'air du temps (rappelez vous Tootsie). Une actrice vénérée depuis Mary Poppins, Julie Andrews, qu'il a rencontré chez leur psychanalyste. Ils se sont mariés en 1969. Une réalisation utilisant à merveille tous les codes de la comédie classique américaine, mêlant vaudeville et quiproquos, enter Lubitsch et Wilder. Victor Victoria est sans aucun doute l'un de ses trois plus grands films, avec Diamants sur canapé et The Party. Une chanteuse se travestit en homme qui se fait prendre pour une femme, afin de pouvoir faire son métier dans un Paris des années folles.

Il réalisera encore quelques comédies romantiques, inégales. Boire et déboires, là encore un sujet sur l'alcoolisme, est sans doute le plus charmant de ses derniers films. On pourrait retenir aussi Switch, qui là encore traitait de l'identité sexuelle. Il adorait déguiser les hommes en femmes. Son humour "britannique".

Mais c'est une réplique française qui servira de conclusion. Dans Victor Victoria, il y a un bel adieu. "Au revoir". "Me too".