En attendant de connaître le sort du festival - nom du futur directeur artistique, statut juridique, évolutions recommandées par un audit-, le Dinard Film Festival vient de célébrer ses 30 ans avec, ironie du sort un Hitchcock d'or pour un film allemand. Ce festival 2019 marque un cap. Sans aucun doute, Dinard va opérer sa mue pour s'adapter aux nouveaux formats, aux séries. Car si les salles sont toujours bondées, le public, lui, vieillit un peu avec le festival.
Hitchcock d’or, une récompense qui rayonne après Dinard
Les Hitchcock d’or ont d’ailleurs grandement contribué au rayonnement grandissant de Dinard : en 1994 il est décerné à Petits meurtres entre amis de Danny Boyle, en 1996 à Jude Michael Winterbottom, en 1997 à The Full Monty... Au début des années 2000, le cinéma britannique est au plus haut, et les jurys attribuent le Hitchcock d’or à Bloody Sunday Paul Greengrass en 2002, à La Jeune Fille à la perle de Peter Webber en 2003, à Dead Man's Shoes de Shane Meadows en 2004.
Certaines années le choix du jury a été sans doute difficile au vu de la qualité exceptionnelle de la compétition : en 2000 c’est Billy Elliot (face à Snatch de Guy Ritchie), en 2006 c’est London to Brighton de Paul Andrew Williams (face à Cashback de Sean Ellis, et Kidulthood de Menhaj Huda), en 2011 c’est Tyrannosaur de Paddy Considine (face à Week-end de Andrew Haigh , L'Irlandais de John Michael McDonagh). Parfois le jury a dû choisir un titre qui faisait consensus entre jurés au lieu d’un choix original : en 1999 Human Traffic de Justin Kerrigan (au lieu de Following de Christopher Nolan), en 2007 My Name is Hallam Foe de David Mackenzie (au lieu de Once de John Carney), en 2012 Shadow Dancer de James Marsh (au lieu de Ill Manors de Ben Drew), en 2014 The Goob de Guy Myhill (au lieu de ’71 de Yann Demange, ou The Riot Club de Lone Scherfig). Il est arrivé qu’un jury se montre très audacieux dans son choix, comme en 2009 White Lightnin' de Dominic Murphy (face à In the Loop d'Armando Iannucci).
D'autres années un film en particulier est tellement fédérateur qu’il recueille l’unanimité en éclipsant tout les autres (et souvent en cumulant plusieurs prix) : en 2008 Boy A de John Crowley, en 2013 Le Géant égoïste de Clio Barnard, en 2016 Sing Street de John Carney, en 2017 Seule la terre de Francis Lee, en 2018 Jellyfish de James Gardner.
Cette année, c'est The Keeper de Marcus H. Rosenmüller qui a reçu les suffrages du jury - qui a privilégié un coup de cœur plutôt qu'une forme narrative plus audacieuse -, et du public. Avec son important budget et son formatage très grand-public, il a déséquilibré la compétition. Mais avouons-le, il est séduisant. Il s'agit d'une version romancée d'une histoire vraie, celle de l'ex-soldat allemand Bert Trautmann qui de nazi, prisonnier de guerre en Angleterre, est passé gardien de but d'une équipe de football anglaise pour devenir ensuite un champion national avec le club Manchester City. Tout tourne autour de David Kross, John Henshaw et Freya Mavor (l'actrice enchaine les participations à des films de prestige aussi bien en Angleterre qu'en France, mais elle attend toujours la proposition d'un grand rôle qui la rendra aussi incontournable que lors de sa révélation avec la série Skins). Il semblait évident que The Keeper était promis à une récompense... Plus étonnant: il n'a toujours pas de distributeur français.
Le jury a souhaité rajouter à son palmarès une mention spéciale destinée à l’ensemble des actrices et acteurs de chaque films en compétition : c’est en effet souvent leur interprétation solide qui permet de mieux s'attacher au film. La plupart étaient d'ailleurs présents à Dinard pour accompagner leur film.
The last tree de Shola Amoo : un enfant regrette de quitter sa chouette famille d’accueil pour être récupéré par sa mère biologique et vivre avec elle. Une fois adolescent, l'influence d'un voyou l’incite à dériver vers une certaine violence, avec, en lui, un déracinement qu'il voudrait comprendre. Malgré ses qualité, le film s'est fait doubler par un autre à la thématique semblable, Vs. de Ed Lilly, ici, la trajectoire du jeune est presque inverse: ayant été abandonné par sa mère biologique et placé dans diverses familles d’accueil, il a déjà un passif composé de bagarres, et autres violences. C'est l'influence d'un groupe de battle hip-hop qui va canaliser sa colère des poings vers celle des mots, mais avec, en lui, ce désespoir d’avoir été abandonné... Le film est porté par le jeune Connor Swindells dont c'est le second film (il apparait ici comme un nouveau Andrew Garfield en puissance). Il vient d'être révélé par la série Sex Education; la vivacité des punchlines de rap et le thème plus général de se trouver une famille a séduit le jury jusqu'au Prix du scénario.
Mais il n'y a pas que des drames à Dinard. De l'humour et du féminisme tenaient de fil conducteur à Animals de Sophie Hyde, une adaptation du roman de Emma Jane Unsworth (dont elle signe aussi le scénario du film) : on suit les mésaventures de deux meilleures amies colocataires qui partagent depuis toujours beuveries et aventures sans lendemain et qui vont avoir 30 ans. Tyler cultive son indépendance de dilettante mais Laura après avoir découvert que sa petite soeur va attendre un bébé commence elle à aspirer à une vie adulte avec un fiancé et un mariage... Les deux amies commencent à se détacher l'une de l'autre sans savoir comment supporter cette rupture. Animals donne l'impression de renvoyer Absolutely Famous et Bridget Jones à la maison de retraite tellement le duo des actrices Alia Shawkat et Holliday Grainger est ravageur.
Une autre histoire de relation féminine, divergente et fusionnelle a été repérée dans Cordelia de Adrian Shergold - le réalisateur était doublement présent à Dinard puisqu'il présentait un autre film, Denmark. Dans les deux cas, il était beaucoup plus convaincant l'année dernière avec Funny Cow. Cordelia repose en particulier sur l'interprétation de son actrice Antonia Campbell-Hugues (également co-scénariste), qui joue là deux rôles de deux soeurs différentes, l'une étant séduite par un voisin qui semble être aussi l'inconnu qui la harcèle. Aucune chance d'être au palmarès.
L'autre film majeur de cette compétition était Only You de Harry Wootliff. Sur le papier, il semblait plus sage et plus convenu avec une belle histoire d'amour entre un jeune homme de 26 ans et une femme de 35 ans, fragilisée car elle n'arrive pas à tomber enceinte. Only You se développe d'abord comme une tendre comédie romantique autour d'une différence d'âge, puis il évolue en drame intime avec un désir d'enfant qui ne peut être comblé. C'est justement pour raconter diverses choses sensibles à propos du couple (et de leurs proches, amis et famille) que le film charme beaucoup, jusqu'à gagner de façon méritée le Prix de la Critique. Si la réalisatrice Harry Wootliff impressionne beaucoup (c'est d'ailleurs son premier film), un autre élément de séduction provient du casting : Only You réunit Laia Costa (épatante dans Victoria Ours d'argent à Berlin, et déjà en amoureuse dans Nowness de Drake Doremus) et Josh O'Connor (incontournable depuis son rôle dans Seule la terre de Francis Lee et très juste dans Hope gap présenté aussi hors-compétition cette année à Dinard). On espère que le film trouvera un distributeur en France, tant il se distingue des autres sur le fond comme sur la forme.
Une jeunesse en lutte
Et au final que nous disent ces films anglais de la compétition? Ils ont questionné les envies d'une jeunesse pas forcément adaptée au monde et les obstacles qui empêchent de grandir en tant qu'adulte. Sortir de sa coquille et se risquer à tomber amoureuse pour Cordelia, changer de comportement et renouer avec ses racines pour The last tree, se trouver une nouvelle famille pour gagner en indépendance avec Vs, transgresser les préjugés et affronter les traumas et aléas tragiques d'une vie dans The Keeper, se conformer ou pas à ce que les autres attendent avec Animals, vivre en couple, malgré le regard des autres, avec le désir partagé d'un bébé même quand c'est impossible dans Only You.
Cette année, Dinard, la jeunesse était à l'honneur. Une jeunesse désemparée, désœuvrée, parfois déprimée, qui doit surmonter des obstacles intimes et cherche un moyen de s'affranchir d'une société encore trop écrasante ou de conventions trop conformistes. La fiction était portée par des comédiens épatants. Mais, sur la forme, le cinéma anglais s'enlise un peu dans des styles convenus ou déjà vus. Comme si le récit s'auto-suffisait. Il y a bien des regards personnels, mais, rien à la hauteur de l'audacieux Peterloo par exemple présenté hors-compétition.