Dans un long entretien au journal britannique The Guardian, Kristin Scott Thomas parle avec désenchantement de la France, de son âge, de sa vie personnelle. Avec plus d'enthousiasme, elle évoque sa renaissance par le théâtre. Mais on retient surtout qu'elle veut arrêter le cinéma. A 53 ans, la plus française des stars anglaises traverse un gros spleen : "Je me suis dit tout d'un coup que je ne pouvais pas faire face à un autre film. J'ai réalisé que j'ai fait des choses que je sais faire plusieurs fois, et dans différentes langues. Et que je ne pouvais pas faire plus. Alors j'arrête."
Kristin Scott Thomas, trois fois nommée aux Césars dans les années 2000, sans compter ses récompenses outre-manche tout au long de sa carrière commencée il y a près de 30 ans, fait une pause. L'an dernier, elle fut éblouissante de méchanceté dans Only God forgives, de Nicolas Winding Refn, avec Ryan Gosling et une sublime épouse dans Avant l'hiver de Philippe Claudel avec Daniel Auteuil. Cette année, elle sera à l'affiche de The Invisible Woman de Ralph Fiennes, Suite française de Saul Dibb et My Old Lady de Israel Horovitz. Et après? Rien.
La vie est trop courte
Elle se plaît à penser qu'elle est une "actrice en convalescence". Car elle est lasse. "On m’a souvent demandé de jouer dans des films pour apporter une sorte de poids à une production fragile. On me donne un petit rôle dans lequel ils savent que je vais être en mesure de jouer et de pleurer au bon moment. Je ne devrais pas mordre la main qui me nourrit, mais je continue à faire ces choses pour d’autres personnes. Et l’année dernière, j’ai décidé que la vie était trop courte. Je ne veux plus avoir à le faire." Elle semble avoir psychanalysé sa carrière. Longtemps dépressive, l'actrice a décidé de changer sa vie, fatiguée d’apparaître dans "des films qui ont plus besoin d’elle que l'inverse. "
Elle le reconnaît, l'âge n'y est pas étranger. Préoccupée par son vieillissement, elle se considère comme "terriblement vieille" ou "positivement ancienne". Assise entre deux chaises, elle a conscience qu'elle n'a plus l'âge de séduire (surtout des acteurs beaucoup plus jeunes qu'elle) et qu'elle ne peut pas encore jouer les grands mères. C'est un peu rapide (le cinéma, notamment en Europe, a montré de nombreux contre-exemples). La cinquantaine a souvent été un âge d'or pour certaines comédiennes comme Meryl Streep, Catherine Deneuve, Isabelle Huppert...
Des histoires qui ne lui parlent plus
Mais son raisonnement va plus loi : "Je ne veux pas aller voir un film à propos de jeunes gens. Ça ne m'intéresse tout simplement pas. Quand je vais au cinéma, je préfère voir des gens qui ont vécu, qui sont passés par de dures épreuves, qui ont eu leur coeur brisé un million de fois et qui cherchent encore l'amour. C'est ça qui m'intéresse." Pour elle, l'industrie du cinéma devrait comprendre qu'il y a un marché pour les cinquante ans et plus, que "la domination des adolescents va devenir moins importante" et que "les films ont une vie au delà des recettes au box office." Pour Scott Thomas, "il y a un réel besoin d'avoir des histoires à propos de gens qui ont traversé la vie et qui restent plein d'espérance."
Les enfants ont grandit. Son mariage s'est soldé par un échec. Son amour de la France est moins intense. Elle se sent prête à revenir vivre au Royaume Uni. Elle se sent toujours plus française qu'anglaise, aime l'idée de vivre dans deux pays, mais la France actuelle l'inquiète. "Il y a cinq ans, j'aurai parlé de ses grandes écoles, de son excellent système éducatif, de ses merveilleux transports, ses trains, ses routes (...) mais aujourd'hui vous ne pouvez plus vraiment dire ça. Je suis très inquiète par la montée de l'antisémitisme en France, ce qui est proprement incroyable". Et qui pour arrêter le Front national?
Retour aux sources : le théâtre et Londres
L'espoir qu'elle aime dans les personnages, la vitalité qu'elle affectionne dans son environnement, elle les a trouvés au théâtre et à Londres. Ces rôles, ces textes, elle les trouve au théâtre. Depuis son retour sur les planches en 2001 (Bérénice de Racine, mis en scène par Lambert Wilson au Festival d’Avignon et au Théâtre national de Chaillot), elle opère une renaissance, une transformation même. Elle a enchaîné cinq pièces à Londres depuis 2005, deux Tchekhov, deux Pinter, un Pirandello. Elle a obtenu un Oliver Award de la meilleur actrice pour sa performance dans La mouette, avec Chiwetel Ejiofor. Surtout, elle avoue se sentir libre sur les planches et retrouver l'excitation qui lui manquait au cinéma.
Crise de la cinquantaine? Elle avait déjà décidé de refuser une carrière américaine. "C’était géographiquement hostile, car je ne voulais pas aller en Amérique" explique-t-elle. Après Quatre mariages et un enterrement et Le Patient anglais, elle n'accepte donc que quelques rôles. "Je ne peux pas supporter d’être assise pendant des heures dans une grosse remorque de luxe, dans l’attente, en m’ennuyant". L'ennui, son mortel ennemi. Elle refuse de "faire tapisserie". Kristin Scott Thomas veut pouvoir faire des choix pour elle-même, voulant profiter de la liberté nouvelle qui lui est offerte, ne cherchant plus à courir après un cachet, préférant sélectionner les projets en fonction de ce qu'ils lui apportent.
Elle le dit elle-même : elle fera encore des films, mais seulement "ceux auxquels elle ne peut absolument pas résister".