Cannes 2014 : qui est Andrei Zvyagintsev ?

Posté par MpM, le 23 mai 2014

andrei zvyagintsev

SOVIET SUPRÊME

L’ascension fulgurante d’Andrei Zvyagintsev est d’autant plus exceptionnelle que le cinéaste russe le plus respecté des années 2000 ne se destinait pas du tout à la réalisation, mais au métier d’acteur. Diplômé de l'institut de théâtre de Novossibirsk dans les années 80, il joue d’abord dans des théâtres provinciaux avant de monter à Moscou au début des années 90, avec l’espoir de faire du cinéma. Pendant presque dix ans, il galère en tant que rôle secondaire, voire figurant, dans des séries télévisées ou des longs métrages. Rien ne semble lui réussir.

C’est alors qu’un de ses amis lui propose de passer derrière la caméra pour réaliser plusieurs épisodes d’une série à succès pour la société de production REN-TV, rôle dans lequel il s’avère tout simplement excellent. Impressionnés par son sens de la mise en scène, les producteurs lui proposent de travailler sur un long métrage. Ce sera Le retour, énorme succès international, qui reçoit à la fois le Lion d’or et le Prix Luigi-De-Laurentis du premier film à la Mostra de Venise 2003.

Le film pose le style de Zvyagintsev : sujet intime, beauté formelle, minimalisme étudié. Un cinéaste est né, adulé dans son pays qui en fait un héros : aucun film russe n’avait gagné la récompense suprême à Venise depuis le temps de l’Union soviétique (Urga de Nikita Mikhalkov en 1991). On imagine la pression ressentie par Andrei Zvyagintsev. Mais l’ancien comédien ne se démonte pas, et enchaîne avec un deuxième long métrage qui lui ouvre les portes de la compétition officielle de Cannes. Le bannissement n’obtient pas la Palme d’or, mais un prix d’interprétation pour l’acteur Konstantin Lavronenko. Cette fois, tout semble réussir à Andrei Zvyagintsev.

Cette histoire de couple et de famille, qui dérive sur les rapports à l’enfance, les enfants eux-mêmes, les amis…, est toutefois moins convaincante que son coup d’essai, malgré une écriture soignée et une grande recherche esthétique. Si on sent l’influence d’Antonioni et de Bergman dans sa manière de concevoir le plan (il cite les deux auteurs parmi ses réalisateurs préférés), il lui manque encore une finesse d’écriture suffisante pour nous faire saisir naturellement les non dits et les motivations inconscientes des personnages.

Peut-être Andrei Zvyagintsev manque-t-il tout simplement d’un sujet qui soit à la hauteur de son sens esthétique. Ce sera le cas d’Elena, présenté à Un Certain regard en 2011, synthèse de la fibre intimiste du cinéaste et de son désir de films plus sociaux. Son personnage principal (magnifique Nadezhda Markina) est confronté à un conflit de loyauté (entre son mari et son fils) qui a tout du dilemme universel. Le fort sentiment d’injustice d’une femme qui incarne une Russie pauvre face à une Russie aisée et indifférente, le contexte de la crise économique, le glissement des valeurs transforment un drame familial feutré en leçon de morale âpre et sombre. La virtuosité de la mise en scène et la maîtrise formelle du cinéaste (qui utilise avec intelligence la musique presque lyrique d’un Philip Glass plus qu’inspiré) apportent la preuve que Le retour ne fut pas un coup de chance. Au passage, le film reçoit un prix spécial du jury et confirme que Zvyagintsev est l'un des cinéastes russes les plus intéressants de ces quinze dernières années.

De retour en compétition officielle avec Léviathan, le réalisateur n’a donc en théorie plus rien à prouver. En revanche, il se verrait sûrement ajouter une Palme à son tableau de chasse.