70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.
Aujourd'hui, J-42. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par là.
Année 2014. Captives du réalisateur canadien Atom Egoyan est en compétition à Cannes. C'est la 6e fois que le réalisateur canadien est en lice pour la Palme d'or. Il fait en quelque sorte figure d'habitué, même s'il a presque toujours été oubliés dans les palmarès. Ce ne sera malheureusement pas mieux cette fois-ci. Pire, comme cela arrive régulièrement pendant le Festival, Captives ne séduit pas la presse et Egoyan se retrouve rejeté avec un film qui démontre, pourtant plus que jamais, ce que signifie être Cinéaste.
Captives représente en effet une œuvre somme dans la filmographie du réalisateur, l’aboutissement d’un travail artistique pluriel : ses films (longs et courts métrages), certes, mais aussi ses mises en scène d’opéra, ses installations et projets vidéos. Tout ce travail vient imprégner son œuvre toute entière. Captives est un film qui rend compte de cette logique.
Dès l’âge de quinze ans, Egoyan écrit des pièces de théâtre, ce qu’il continue à faire à l’université où il rencontre le compositeur Mychael Danna, avec qui il formera un duo de choc complémentaire et interdépendant tout au long de sa carrière. Venir du théâtre leur permet, lors de leurs premiers pas au cinéma, respectivement en tant que réalisateur et compositeur, de jouir d’une grande liberté d’exploration. Ils développent ensemble un langage cinématographique musical commun, dont témoignent l’ensemble des films du cinéaste.
"Je conçois ma façon de filmer en laissant un espace pour la musique."
L’opéra, auquel il dédie une grande part de son travail de création, et son intérêt pour la musique de films, de ses films, amènent Atom Egoyan à prendre connaissance de la façon dont la musique permet de raconter une histoire. Cet apport musical permet au cinéaste de développer un sens et une maîtrise accrue de la narration au cinéma. Il va plus loin en prenant soin de laisser à la musique une place importante lors de la réalisation et du montage du film, un espace nécessaire et essentiel à la compréhension du récit. La musicalité de son écriture se retrouve de film en film et devient un élément majeur pour la réception de son œuvre. De Speaking parts à Captives, en passant par Exotica et De beaux lendemains, la musique de Mychael Danna participe à la compréhension des récits et films du cinéaste.
Captives : Une jeune fille, Cassandra, est retenue captive par un homme, Mika, membre d’un réseau pédophile. Le temps passe et la police piétine laissant Tina, la mère de Cassandra, dans une vie en suspens. Matthew, le père de l’enfant, quant à lui, continue à arpenter les routes à la recherche de sa fille perdue. Avec le temps, des indices viennent indiquer que Cassandra est toujours en vie.
Captives propose d’aller au-delà de ses précédentes propositions de cinéma. La Flûte Enchantée [1], l’opéra composé par Mozart sur un livret signé Schikaneder offre des clés très importantes pour saisir les différents niveaux d’interprétation du film. Mozart et Schikaneder s’inspirent en premier lieu de trois contes pour écrire leur opéra : Lulu ou la flûte enchantée ; Nadir et Nadine et Les garçons sages, trois récits où des hommes retiennent prisonnière une jeune fille dans l'idée d'assouvir leur désir sexuel et leur soif de pouvoir.
Deux mondes en concurrence
La Flûte Enchantée : Le Prince Tamino est envoyé par la Reine de la Nuit afin d’aller délivrer sa fille Pamina des prisons du mage Sarastro. Guidé par les trois Dames de la Reine, Tamino sera accompagné de Papageno, un oiseleur haut en couleur. A Papageno revient un carillon et à Tamino une flûte magique – deux instruments qui les aideront dans leur périple. Truffé de mises à l’épreuve, le parcours de Tamino pour délivrer et conquérir Pamina se charge de symboles qui, de scène en scène, les mènent vers l’amour et la lumière.
La Flûte enchantée représente d’après les propos d’Atom Egoyan, deux mondes, « l’un en apparence d’illumination rationnelle», (ce n’est pas sans rappeler qu’Ignaz Von Born, franc-maçon ayant en partie inspiré le personnage de Sarastro, était membre de « l’Ordre des Illuminés »), représenté par Sarastro et ses initiés avec leur culte secret, et l’autre sur « un monde de superstitions et de magie représenté par la Reine de la nuit», mère de Pamina, au royaume de la nuit.
Dans Captives, ces deux mondes sont présents : l’un est le monde de « noirceur suprême et de contrôle » représenté par Mika et ses initiés avec leur réseau pédophile secret, et l’autre est le monde de magie et de conte enneigé de Tina (la mère de Cass) mais aussi de Matthew (le père de Cass). Mika détient captive Cassandra. Il vie à travers l’obsession qu’il a développée pour le personnage de la Reine de la nuit. Mika écoute et chante l'air de la Reine de la nuit, cherchant ainsi à devenir lui-même le eprsonnage. Le film commence d’ailleurs sur une scène très claire où il regarde, sur un des écrans placé en hauteur sur un mur de sa maison, un extrait de l’opéra, le moment où la mère se lamente du kidnapping de sa fille. Il finira par devenir la Reine de la nuit après l’enlèvement de l’enquêtrice, lorsqu’il lui apparaîtra chantant cet air de la reine.
Lire le reste de cet article »