Cannes 2018: Qui est Yann Gonzalez ?

Posté par vincy, le 17 mai 2018

C'est le film qui risque de buzzer à Cannes. Présenté en fin de festival, Un couteau dans le cœur, le deuxième long métrage de Yann Gonzalez est aussi bien une surprise à ce niveau de la sélection qu'une attente insupportable pour les festivaliers, vu son sujet, et le style du cinéaste.

L'ancien critique de ciné a débuté avec des courts métrages, au rythme d'un par an à partir de 2006. By the Kiss (2006), Entracte (2007) et Je vous hais petites filles (2008) sont tous sélectionnés à la Quinzaine des réalisateurs. Les Astres Noirs (2009), avec Julien Doré, est retenu par la Semaine internationale de la critique. Il conserve sa troupe de comédiens - Kate Moran, Salvatore Viviano, Pierre-Vincent Chapus - et collabore toujours avec M83 (Anthony Gonzalez, son frère) pour la musique.

Mais il faut attendre 2013 pour qu'il passe à la version longue, avec Les Rencontres d'après minuit. Le niçois a 36 ans. On retrouve Moran et Chapus, mais le casting s'offre aussi Niels Schneider, Eric Cantona, Fabienne Babe, Béatrice Dalle et Nicolas Maury, en gouvernante travestie d'une partouze aussi déjantée que poétique, flamboyante que stylisée. Cette orgie stylisée qui transgresse les genres affirme un regard qui le singularise dans le cinéma français et est porté aux nues par la critique parisienne.

Il y a un an, Yann Gonzalez présente à la Semaine de la critique un court métrage, Les Îles, qui remporte la Queer Palm du court. Là encore une série de personnages errant dans un dédale érotique et amoureux. Cette fois-ci, il s'aventure dans un autre genre, tout en restant dans le même univers. Un couteau dans le cœur se déroule à la fin des années 1970. Une productrice de pornos gays au rabais veut reconquérir sa compagne (et monteuse de ses films) en tournant un film plus ambitieux avec son complice de toujours, le flamboyant Archibald. Un de leurs acteurs est retrouvé sauvagement assassiné et Anne est entraînée dans une enquête étrange qui va bouleverser sa vie... Outre Kate Moran et Nicolas Maury, c'est Vanessa Paradis qui tient le rôle principal.

La mise en danger

Yann Gonzalez refuse le naturalisme et le réalisme. Son cinéma est romantique et lyrique. A l'instar d'un Bertrand Mandico, il n'est pas effarouché par l'érotisme. "J'ai grandi avec le cinéma fantastique et d'horreur. Jusqu'à l'âge de 15 ans, je ne m'intéressais qu'à ce seul continent de cinéma" expliquait-il y a quelques années. Ce mélange des genres n'est pourtant pas bien vu dans le système français. "Les professionnels, frileux, se focalisent sur le scénario, comme si le plus crucial était le message du film, alors que le scénario doit rester un outil éphémère. Pourquoi ne s'intéressent-ils pas à ce qu'on a fait avant, à nos choix de mise en scène ? Ils n'y font pas assez attention. Pour moi, dont les scénarios sont un peu bizzaroïdes et très écrits, c'est un problème. Quand on me dit qu'ils sont trop littéraires, je ne comprends pas : quoi de plus stimulant que la tentative de faire fusionner la littérature, le cinéma, le théâtre ?" s'interrogeait-il dans un entretien à Télérama.

Libre et queer, Yann Gonzalez veut "avoir l’impression de danser sur un fil" quand il réalise un film. "Après, c’est vrai que j’aime aussi l’idée que la marge s’invite de manière invasive et pernicieuse au cœur du mainstream…" C'est la promesse de ce couteau qu'il veut planter dans nos cœurs.

2017 dans le rétro : 12 courts métrages plébiscités en festival

Posté par MpM, le 21 décembre 2017

A l'heure où la presse toute entière (et même vous, là, devant vos écrans, si, si, on vous a vus) se livre à l'exercice délicat et jubilatoire du top des films (livres / albums / séries...) de l'année, nous avons eu envie de nous pencher sur l'année 2017 du point de vue du court métrage.

Il est parfois ardu d'avoir une perspective complète et exhaustive de l'état de la création courte à un moment donné, puisqu'il est par définition impossible de se baser sur une date de sortie et que la carrière d'un court métrage en festival se fait sur un laps de temps assez long qui ne s'embarrasse guère des années calendaires. Tel film découvert en 2017 est donc peut-être un film datant de 2016, et tel film de 2017 connaîtra peut-être son apogée en 2018. Est-ce si grave, dans la mesure où l'on cherche à dessiner un paysage cinématographique plutôt qu'un index exhaustif ?

Un bon prisme, toutefois, pour lancer cette mini-série autour du court métrage, était de regarder du côté des films récompensés dans les grands festivals 2017. Retour sur douze lauréats qui dessinent de 2017 un portrait complexe entre introspection intime et recherche formelle, parfois (mais pas systématiquement) teintées d'un regard sur l'état du monde.

A gentle night de Qiu Yang (Chine)
Palmarès sélectif : Palme d'or à Cannes

Le titre est évidemment trompeur : A gentle night raconte le calvaire d’une femme dont la fille adolescente a disparu. Sa quête désespérée, son angoisse grandissante rythment une nuit filmée principalement dans ses moments de creux, son attente, ses doutes, son impuissance. Les plans sont fixes, merveilleusement cadrés. Tout est fait pour (sur)symbolisé l'isolement du personnage, qui apparaît presque systématiquement dans un environnement entièrement flou. Les autres sont des silhouettes, des voix. Des individus qui existent par leur fonction plus que par leur personnalité : le mari, le policier, l'instituteur... On est face à une oeuvre étonnamment classique et atemporelle, dans laquelle rien ne dépasse, même pas un peu d'émotion désordonnée. On est frappé par l'élégance calculée des plans, la justesse du montage, l'efficacité de la construction. Et pourtant il manque un peu de chair, de personnalité, d'audace peut-être, à ce qui reste un récit un peu trop propre.

And so we put goldfish in the pool de Makoto Nagahisa (Japon)
Palmarès sélectif : Grand prix du jury à Sundance et mention spéciale du jury à Clermont Ferrand

Voilà un film détonnant qui ne fait pas dans la demi-mesure. Quatre adolescentes s’ennuient à mourir à Saitama, petit ville du Japon où il semble ne jamais rien se passer. Désabusées et dénuées du moindre espoir d'un avenir meilleur, elles traînent leur mal de vivre avec une certaine forme de délectation. En commençant très fort, avec un montage survitaminé et des choix de narration qui se jouent des conventions, le film accroche le spectateur et attire immédiatement son attention. De provocations en ruptures de ton, d'outrances formelles en audaces scénaristiques, il dresse le portrait cynique et faussement décadent d'une jeunesse sans rêves ni envies. Au delà de la fougue parfois mal canalisée, on détecte dans cette oeuvre singulièrement hors normes un sens du montage et de l'écriture qui donne très envie de miser sur le prochain film du réalisateur.

Cidade Pequena de Diogo Costa Amarante (Portugal)
Palmarès sélectif : Ours d'or à Berlin

C'est une oeuvre à la beauté lancinante, documentaire énigmatique sur la sœur et le neveu du réalisateur : doit-on toujours dire la vérité aux enfants ? Et surtout, doit-on leur parler de la mort ?  Diogo Costa Amarante construit patiemment ses plans, et incite le spectateur à scruter l'image pour en décoder tous les secrets. Ainsi ces très beaux cadres gigognes qui se répondent d'un plan à l'autre : rétroviseur reflétant l'enfant endormi pendant que les adultes dansent, scène champêtre que l'on aperçoit par la fenêtre, puis moutons qui paissent dans le même encadrement... C'est un poème d'amour, fait d'images plus que de mots, de sensations plus que de sens. Peut-être prend-il le risque de nous perdre en cours de route, et pourtant il nous conquiert, malgré nous.

Le film de l’été d'Emmanuel Marre (France)
Palmarès sélectif :  Prix Jean Vigo et Grand Prix de la compétition nationale à Clermont Ferrand

Emmanuel Marre emprunte la forme assez classique du road movie pour raconter, en creux, une rencontre fugace entre un homme qui a perdu le pied dans sa vie, et un enfant qui ne le juge pas. Si le sujet est plutôt classique, le travail du cinéaste sur l'image (faussement documentaire) ainsi que ses choix de mise en scène (notamment de très beaux mouvements de caméra sur la route) offrent au film un ton plus singulier. En s'interessant surtout aux intervalles, au moment où il ne se passe rien, ou si peu, il capte des instantanés de vie ténus, mais qui sonnent juste.

Gros chagrin de Céline Devaux (France)
Palmarès sélectif : Lion d'or à Venise

C'est le récit d'une rupture amoureuse qui oscille entre humour façon comédie sentimentale et amertume déchirante inspirée des plus grands drames amoureux. Réalisé à la fois en prise de vues réelles et en animation, il dit ces petites choses qui président à la séparation, ces signes annonciateurs que l'on refuse de voir, ces maladresses qui nous échappent, ce mécanisme irréversible qui se met en route, et la lâcheté, la fausse indifférence, les défis bravaches. Avant le vide au goût d'éternité, les regrets et les souvenirs qui reviennent précisément quand on voudrait tout oublier. Céline Devaux reste visuellement dans le style qui était le sien à l'époque du Déjeuner dominical, et sans doute est-ce le plus gros reproche qu'on peut lui faire : la technique rare de l'écran d'épingles (inventé par Alexandre Alexeïeff et Claire Parker dans les années 30 afin de se rapprocher au plus près de l'esthétique de la gravure en aquatinte) dont elle se sert ne prend jamais vraiment l'ampleur que l'on pourrait attendre, comme si elle l'utilisait a minima, pour reproduire ce qu'elle savait déjà faire, et non pour ses propriétés délicates et particulières.

Les îles de Yann Gonzales (France)
Palmarès sélectif : Queer Palm à Cannes (Semaine de la Critique)

C'est un rêve éveillé dans lequel les fils conducteurs sont l'amour et le désir. Les protagonistes y déambulent, s'y croisent et s'y frôlent, sans préjugés, sans barrières. Même lorsqu'un monstre tout droit sorti du cinéma fantastique des années 70 surgit, il est accueilli avec bienveillance et douceur, et pourquoi pas, avec tendresse et sensualité. Parenthèse follement romantique où les corps se cherchent et se trouvent, où le sexe est cru et ardent, où le plaisir des uns ravive le désir des autres. Explosion d'une forme de liberté insaisissable qui rend soudainement tout possible.

Los deshederados de Laura Ferres (Espagne)
Palmarès sélectif : Grand Prix de la Semaine de la critique à Cannes

Los deshederados est une oeuvre hybride, entre documentaire et fiction, qui dresse le portrait juste et sensible d'un homme confronté à la perte de son entreprise familiale. Avec humour et bienveillance, Laura Ferres juxtapose de beaux plans minutieusement composés qui forment autant de saynètes tour à tour joyeuses et mélancoliques, amusantes ou profondes, donnant à voir en creux la réalité d'un homme autant que d'un pays face à la crise. Ce qui est peut-être le plus beau, c'est que le film ne se cache jamais d'être avant tout le regard d’une fille sur son père, avec ce que cela induit de sous-texte particulier et de tendresse à peine voilée.

Min Borda de Niki Lindroth Von Bahr (Suède)
Palmarès sélectif : Cristal du court métrage à Annecy et Emile Award du meilleur court métrage d'animation européen

Comédie musicale animalière en stop motion dans laquelle des poissons solitaires, des singes travaillant dans un centre d'appel et des souris employées de fast-food chantent leur mal de vivre, Min borda est probablement le film le plus déjanté et le plus désespéré de l'année. Entre dérision hilarante et constat terrifiant, il nous renvoie le terrible miroir d'une société où plus rien ne tourne rond. Et ce faisant, il rafle également le prix de la meilleure chanson originale toutes catégories confondues.

Paul est là de Valentina Maurel (Belgique)
Palmarès sélectif : Grand prix de la Cinéfondation à Cannes

Pour son court métrage de fin d'étude à l’atelier de réalisation de l’INSAS, prestigieuse école d’art bruxelloise, Valentina Maurel signe un film cérébral, très maîtrisé et très cadré, qui raconte la relation ambivalente entre une jeune femme mal dans sa peau et un homme qui réapparaît brutalement dans sa vie. Préférant la suggestion à l'explication, l'ellipse à la démonstration, la réalisatrice privilégie la subtilité du non-dit, mais prend aussi le risque de laisser le spectateur un peu à la porte. On comprend le malaise de personnages complexés qui ne sont pas vraiment à la place qu'on voudrait leur assigner, mais tout est trop retenu, trop stylisé pour nous toucher.

Retour à Genoa city de Benoît Grimalt (France)
Palmarès sélectif : Prix Illy du meilleur court métrage à la Quinzaine des Réalisateurs

Interroger son histoire familiale à travers celle d'une série télévisée, c'est l'étonnante idée du réalisateur Benoît Grimalt. Il se penche donc sur les relations que sa grand-mère et  son grand-oncle, "Mémé "et "Tonton Thomas", entretiennent avec la championne de longévité de la télévision, la série Les feux de l'amour. S'il décortique habilement les chimères d’une saga qui ne raconte rien, et reflète même une certaine vacuité faite d'émotions perpétuellement renouvelées et filmées en gros plans, il crée surtout l'émotion en dressant en creux le portrait de sa propre famille, originaire d'Italie, et qui a vécu en Algérie avant de s'installer à Nice. Les parallèles entre les protagonistes de la série et "Mémé" et "Tonton Thomas" ont une saveur particulière, à la fois humoristique et mélancolique, et renvoient le spectateur à son propre récit familial, construit lui-aussi d'éléments concrets et des vapeurs venues de Genoa city ou d'ailleurs.

Rewind forward de Justin Stoneham (Suisse)
Palmarès sélectif : Léopard d'or du meilleur court métrage suisse à Locarno

Documentaire touchant et introspectif, Rewind forward raconte avec beaucoup de sincérité l'histoire d’un fils qui part symboliquement à la recherche de sa mère gravement handicapée. Il dresse son portrait à travers les films amateur inlassablement réalisés par son père mais aussi à partir de ses souvenirs douloureux de fils honteux et fuyant. Sans pathos ni émotions surjouées, il retrace ainsi le parcours familial jusqu'au moment de la rupture, lorsque la maladie de sa mère lui a fait emprunter une voie définitivement différente. Car ce que le film montre en filigrane, ce n’est pas la difficulté du handicap ou l’émotion facile des retrouvailles, mais bien la vérité crue d’une relation irrémédiablement brisée.

Rubber Coated Steel de Lawrence Abu Hamdan (Liban)
Palmarès sélectif : Tiger award à Rotterdam

Rubber coated steel fait le récit haletant d'un procès dans lequel deux soldats israéliens étaient accusés d'avoir tués deux enfants palestiniens. Le réalisateur expose une analyse audio des bruits entendus sur les lieux du crime, qui permet de comprendre ce qui s'est véritablement passé, mais sans jamais faire entendre au spectateur le moindre son, et sans montrer non plus la moindre image du tribunal. La caméra est posée dans une pièce nue évoquant un peu un stand de tir où des photos reproduites en grand format sont les cibles mouvantes qui s'approchent puis s'éloignent au fil des explications défilant à l'écran sous forme de sous-titres. Un dispositif radical qui permet de se concentrer uniquement sur les faits et le déroulé du raisonnement, et donne également à entendre le silence assourdissant de ceux que les autorités cherchent à faire taire. Par extension, le film interpelle sur la notion de cinéma et interroge les choix formels du réalisateur. On est notamment frappé par le contraste entre le minimalisme de l'image et du son et la force des émotions qu'il suscite.  A ce titre, c'est probablement l'un des films les plus saisissants de l'année.