Créés en 1951, les Prix Jean Vigo ont pour but de récompenser l’indépendance d’esprit, la qualité et l'originalité des cinéastes de court et long métrages. Sans jamais prétendre saluer l’excellence d’un film, le Prix Jean Vigo est régulièrement remis à un auteur d'avenir, un homme ou une femme qui mérite d'être découvert.e à travers sa passion et son don. Les organisateurs le rappellent tous les ans, le "Vigo" n'est pas un prix de consécration mais un prix d'encouragement.
Cette année, le jury était composé de : Marie Desplechin, Leïla Férault, Sophie Fillières, Charlotte Garson, Alain Keit, Jacques Kermabon, Quentin Mével, José María Riba, Nicolas Sand, Marcos Uzal et Gérard Vaugeois. Ils ont eu pour mission de visionner tous les films français datant de juillet 2018 à mai 2018. Annoncés lundi au Centre Pompidou et par Agnès Varda herself, les lauréats étaient on ne peut plus méritants. La surprise venant bien évidemment de Jean-Bernard Marlin et Yann Gonzalez, ex æquo face au Graal.
C'est le film qui risque de buzzer à Cannes. Présenté en fin de festival, Un couteau dans le cœur, le deuxième long métrage de Yann Gonzalez est aussi bien une surprise à ce niveau de la sélection qu'une attente insupportable pour les festivaliers, vu son sujet, et le style du cinéaste.
L'ancien critique de ciné a débuté avec des courts métrages, au rythme d'un par an à partir de 2006. By the Kiss (2006), Entracte (2007) et Je vous hais petites filles (2008) sont tous sélectionnés à la Quinzaine des réalisateurs. Les Astres Noirs (2009), avec Julien Doré, est retenu par la Semaine internationale de la critique. Il conserve sa troupe de comédiens - Kate Moran, Salvatore Viviano, Pierre-Vincent Chapus - et collabore toujours avec M83 (Anthony Gonzalez, son frère) pour la musique.
Mais il faut attendre 2013 pour qu'il passe à la version longue, avec Les Rencontres d'après minuit. Le niçois a 36 ans. On retrouve Moran et Chapus, mais le casting s'offre aussi Niels Schneider, Eric Cantona, Fabienne Babe, Béatrice Dalle et Nicolas Maury, en gouvernante travestie d'une partouze aussi déjantée que poétique, flamboyante que stylisée. Cette orgie stylisée qui transgresse les genres affirme un regard qui le singularise dans le cinéma français et est porté aux nues par la critique parisienne.
Il y a un an, Yann Gonzalez présente à la Semaine de la critique un court métrage, Les Îles, qui remporte la Queer Palm du court. Là encore une série de personnages errant dans un dédale érotique et amoureux. Cette fois-ci, il s'aventure dans un autre genre, tout en restant dans le même univers. Un couteau dans le cœur se déroule à la fin des années 1970. Une productrice de pornos gays au rabais veut reconquérir sa compagne (et monteuse de ses films) en tournant un film plus ambitieux avec son complice de toujours, le flamboyant Archibald. Un de leurs acteurs est retrouvé sauvagement assassiné et Anne est entraînée dans une enquête étrange qui va bouleverser sa vie... Outre Kate Moran et Nicolas Maury, c'est Vanessa Paradis qui tient le rôle principal.
La mise en danger
Yann Gonzalez refuse le naturalisme et le réalisme. Son cinéma est romantique et lyrique. A l'instar d'un Bertrand Mandico, il n'est pas effarouché par l'érotisme. "J'ai grandi avec le cinéma fantastique et d'horreur. Jusqu'à l'âge de 15 ans, je ne m'intéressais qu'à ce seul continent de cinéma" expliquait-il y a quelques années. Ce mélange des genres n'est pourtant pas bien vu dans le système français. "Les professionnels, frileux, se focalisent sur le scénario, comme si le plus crucial était le message du film, alors que le scénario doit rester un outil éphémère. Pourquoi ne s'intéressent-ils pas à ce qu'on a fait avant, à nos choix de mise en scène ? Ils n'y font pas assez attention. Pour moi, dont les scénarios sont un peu bizzaroïdes et très écrits, c'est un problème. Quand on me dit qu'ils sont trop littéraires, je ne comprends pas : quoi de plus stimulant que la tentative de faire fusionner la littérature, le cinéma, le théâtre ?" s'interrogeait-il dans un entretien à Télérama.
Libre et queer, Yann Gonzalez veut "avoir l’impression de danser sur un fil" quand il réalise un film. "Après, c’est vrai que j’aime aussi l’idée que la marge s’invite de manière invasive et pernicieuse au cœur du mainstream…" C'est la promesse de ce couteau qu'il veut planter dans nos cœurs.
Une Palme d'or pour La vie d'Adèle, deux Grands prix du jury pour Juste la fin du monde et 120 battements par minute, un prix de la mise en scène Un certain regard pour L'inconnu du lac, sans oublier Carol, Les vies de Thérèse, Kaboom... le festival de Cannes depuis quelques années a suivi le mouvement sociétal et cinématographique (les Oscars ont récompensés Moonlight l'an dernier, Une femme fantastique et Call Me By Your Name cette année): l'homosexualité et plus globalement la culture Queer se sont invités dans les sélections comme dans les palmarès. Les cinéastes, hétéros ou LGBTQI, y trouvent des sujets forts pour des genres variés et des films engagés.
2018 ne fait pas exception. Le queer sera à la mode. Il sera même banalisé, ce qui ne peut que nous satisfaire. Il sera aussi "transgenre".
Yann Gonzalez nous plongera ainsi dans le milieu porno gay de la fin des années 1970 avec Un couteau dans le cœur (compétition), tandis que Christophe Honoré nous conviera à une romance dramatique gay (et homoparental) du début des années 1990 avec Plaire, Aimer et courir vite(aussi en compétition). Les amours (de jeunesse) tourneront aussi dans L'amour debout de Michaël Dacheux (Acid). A bas les étiquettes!
Côté beaux mecs (et tendance marginal) on sera séduit par les plastiques Felix Maritaud et Eric Bernard dans Sauvage de Camille Vidal-Naquet (Semaine de la critique). Dans un registre plus homoérotique qu'homosexuel, Diamantino de Gabriel Abrantes & Daniel Schmidt se concentrera sur le culte du corps masculin d'un sportif (en l'occurrence celui de Carloto Cotta). Le sport et le corps sont aussi à l'honneur du documentaire de Marie Losier, Cassandro, The Exotico (Acid). Ici on plonge dans l'univers des catcheurs gays.
Mais peut-être que l'histoire qui nous touchera le plus est celle des deux frères, dont l'un est homosexuel, dans Euphoria de Valeria Golino (Un certain regard), avec Riccardo Scamarcio et Valerio Mastandrea...
C'est d'ailleurs toujours à Un certain regard que l'un des films les plus attendus sera projeté: Rafikide Wanuri Kahiu. Parce que c'est le premier film kényan en sélection officielle. Parce qu'il a été censuré dans son pays après l'annonce de sa sélection. Parce que c'est une histoire d'amour entre deux femmes qui ne peuvent pas étaler leurs sentiments en plein jour. Et dans la même sélection, avec Girl de Lukas Dhont, on évoquera le genre grâce à une adolescente qui veut devenir danseuse étoile, mais qui est née dans le corps d'un garçon.
Les amours saphiques seront aussi projetés à la Quinzaine des réalisateurs avec Carmen y Lola d’Arantxa Echevarria, une histoire d'amour entre deux jeunes gitanes dans un milieu où là aussi l'homosexualité est un tabou. Et qu'attendre de Climax de Gaspar Noé, qui met le plaisir au centre de tout, cet hédonisme revendiqué et sans limites?
On le voit: le genre, la sexualité, l'homophobie, l'homoparentalité, la pornographie, et bien entendu l'amour sont présents dans des films venus de partout et formellement différents. Et on peut aller plus loin avec le frontal A genoux les gars (Antoine Desrosières, Un certain regard) qui s'affirme le film le plus féministe de la saison, L'ange (Luis Ortega, Un certain regard), dont le personnage de tueur est pour le moins ambivalent ou encore Manto (Nandita Das, Un certain regard), biopic sur un écrivain célèbre accusé plusieurs fois de pornographie...
Mais assurément le film le plus queer du 71e festival de Cannes (en séance spéciale) est un documentaire de Kevin Macdonald (Le Dernier Roi d'Écosse), qui six ans après Marley (sur Bob Marley), s'intéresse à Whitney (sur la diva Whitney Houston). Rien de gai mais cette icône gay (et pop) devrait être l'une des vedettes des dancefloors cannois. Une Queen pour célébrer la culture queer, pour aimer, sans préjugés.
Le 71e Festival de Cannes a fait un certain nombre d'ajouts dans toutes les sections de la sélection officielle. Notons que le Lars von Trier sera à Cannes, mais hors-compétition, et que le Terry Gilliam, malgré le litige juridique, sera présenté en clôture. Enfin, si Claire Denis n'est toujours pas présente sur la croisette avec High Life, le dernier film du palmé Nuri Bilge Ceylan arrive en compétition.
Muere, Monstruo, Muere (Meurs, monstre, meurs) de l’argentin Alejandro Fadel
Chuva E Cantoria Na Aldeia Dos Mortos (The Dead and the Others / Les Morts et les autres) du portugais João Salaviza et de la brésilienne Renée Nader Messora
Donbass de l’ukrainien Sergey Loznitsa qui, le mercredi 9 mai, fera l’ouverture de Un Certain Regard 2018.
Whitney, un documentaire de l’écossais Kevin Macdonald, qui retrace l’existence de la chanteuse Whitney Houston.
Fahrenheit 451 de l’américain Ramin Bahrani avec Sofia Boutella, Michael B. Jordan et Michael Shannon. Il s’agit de la deuxième adaptation, après celle de François Truffaut, du roman de Ray Bradbury.
Film de Clôture
En 2018, le Festival de Cannes renoue avec la tradition du film de clôture (hors-compétition).
The Man Who Killed Don Quixote du britannique Terry Gilliam, avec Adam Driver, Jonathan Pryce et Olga Kurylenko. Il sera projeté le samedi 19 lors la cérémonie de Clôture, le film sortira en France le même jour.
Yann Gonzalez a commencé le tournage d'Un couteau dans le cœur, son nouveau long métrage, quatre ans après Les rencontres d'après minuit, qui avait été l'une des sensations cannoises en 2013 à la Semaine de la Critique.
La musique sera signée par M83 (Oblivion, Suburra) et le film distribué par Memento Films.
Vanessa Paradis, Kate Moran et Nicolas Maury seront plongés dans l'univers porno des années 1970. Le pitch: Au cœur du Paris sulfureux, Anne (Vanessa Paradis) a fait carrière en produisant à la chaîne des films pornographiques. Pour retrouver les faveurs de sa compagne, Loïs (Kate Moran), Anne décide de changer de registre en finançant un film beaucoup plus ambitieux, dont elle confie la réalisation à Archibald (Nicolas Maury). Mais un mystérieux tueur en série contrarie ses plans et s'attaque à tous les acteurs liés au projet.
Muse de Gonzalez, Kate Moran a été vue notamment dans deux adaptations de romans de Tatiana de Rosnay, Elle s'appelait Sarah et Boomerang, mais aussi dans Les bien-aimés de Christophe Honoré, Planetarium de Rebecca Zlotowski, et dans la comédie récemment sortie, L'embarras du choix. Elle surtout été remarquée dans la série TV Cannabis.
Nicolas Maury, connu des téléspectateurs pour son rôle d'assistant homosexuel dans la série Dix pour cent, a tourné pour Patrice Chéreau, Philippe Garrel, Emmanuelle Bercot, Noémie Lvovsky, Riad Sattouf, Rebecca Zlotowski, Valeria Bruni Tedeschi. Il était déjà au générique des Rencontres d'après minuit. L'an dernier, il avait un second-rôle dans la comédie populaire La Folle Histoire de Max et Léon.
A 44 ans, on ne présente plus Vanessa Paradis (6 albums studios, 5 tournées, 20 longs métrages dont 6 millionnaires en entrées en France). Au cinéma, la star française vient d'enchaîner les tournages: 2017 : Maryline de Guillaume Galienne (prévu le 15 novembre en salles), Chien de Samuel Benchetrit et Frost de Sharunas Bartas, présenté à la Quinzaine des réalisateurs. Elle vient aussi de terminer le tournage de Big Bang. Son palmarès comprend trois Victoire de la meilleure chanteuse et un César du meilleur espoir.