Le Festival International du Film d'Animation d'Annecy, qui commence lundi 12 juin, a annoncé fin mai qu'il se trouvait dans l'obligation de déprogrammer le film chinois Have a nice day de Liu Jian sélectionné dans la compétition longs métrages. Les organisateurs ont précisé dans un communiqué que la décision leur avait été "imposée", déplorant "les pressions officielles qui ont fait en sorte que [le festival] ne soit pas en mesure de présenter ce film remarquable cette année".
Dans un article publié par Stéphane Dreyfus pour La croix, plusieurs responsables du festival reviennent sur les conditions dans lesquelles le film a dû être retiré : "les autorités chinoises ont rapidement déploré la sélection du film qui n’a pas obtenu de visa de sortie pour notre festival et nous ont demandé de le retirer, ce que nous avons refusé même si la demande a été réitérée à plusieurs reprises et sur un ton de plus en plus ferme". En mai, c'est le producteur lui-même qui est intervenu. "À partir de là, nous n’avions plus vraiment le choix. Nous n’avions pas le droit de mettre en danger l’équipe du film" explique Patrick Eveno, directeur de Citia, organisateur du festival.
Pourquoi une telle décision de la part des autorités chinoises ? Le coup de projecteur donné par Annecy à l'animation chinoise (la Chine est le pays invité 2017) pourrait être la cause principale de cette mesure par ailleurs un peu vaine (pour ne pas dire absurde) quand on sait que Have a nice day était en compétition officielle à Berlin en février dernier, a été présenté au marché du film à Cannes en mai, et a accepté l'invitation de plusieurs festivals européens comme Utrecht et Zagreb.
Et le film, dans tout ça ? On comprend que ce portrait au vitriol d'une société chinoise qui marche sur la tête ne suscite pas franchement l'enthousiasme de Pékin. Liu Jian y croque avec cynisme les travers d'un pays obsédé par l'argent et le paraître, prenant ses citoyens en étau entre des désirs tout faits et leurs aspirations réelles. Un sac rempli de billets devient ainsi l'objet de la convoitise de tous les personnages qui croisent sa route, et provoque une suite de catastrophes et de drames qui servent de prétexte pour révéler les rêves et les espoirs de chacun : aider sa petite amie victime d'une opération de chirurgie esthétique ratée, se marier, s'installer à la campagne, financer ses inventions...
Des rêves si simples, si modestes qu'ils en sont presque tristes, et donnent à voir mieux que de longs discours l'échec du miracle économique chinois. Une oeuvre dans la lignée d'un certain cinéma chinois contemporain (on pense notamment au très attendu I am not Madame Bovary de Feng Xiaogang, ou bien sûr à A touch of sin de Jia Zhang-ke en 2013) qui entremêle humour noir et satire sociale, cinéma de genre et fable désenchantée, et donne de la Chine une vision à la fois grotesque et déshumanisée qui, forcément, ne plait pas à tout le monde. Il n'y a plus qu'à espérer que l'annulation de la sélection d'Annecy ait suffisamment attiré l'attention sur le film pour lui permettre de sortir très bientôt dans les salles françaises.