Vesoul 2020 : le choc Saturday Afternoon

Posté par kristofy, le 16 février 2020

Après une année 2019 où la Corée du Sud a brillé à l'international avec Bong Joon-ho et une année 2018 où c'était le Japon avec Hirokazu Kore-eda (Parasite et Une affaire de famille ont été Palme d'or à Cannes et ont été multi-récompensés ailleurs ensuite (dont 4 Oscars à Parasite), sans oublier l'Iran en 2017 avec Mohammad Rasoulof (Un homme intègre, Prix Un Certain Regard à Cannes), d'où viendra le prochain film asiatique qui marquera 2020 ?

Le 26e Festival International des Cinémas d'Asie de Vesoul a déjà sélectionné en compétition 9 films aux univers aussi variés qu'aux thématiques fortes. Ces 9 films portent un regard sur une interrogation qui dépasse les frontières de leur pays : John Denver Trending (Philippines) parle du mécanisme en marche sur les réseau sociaux après le divulgation d'une vidéo accusatrice (alors que le phénomène vient de se produire en France pour un homme politique, Benjamin Griveaux, candidat à la mairie de Paris); Hava, Maryam, Ayesha (Afghanistan) raconte le dilemme d'une femme qui se retrouve enceinte, devant cacher sa grossesse ou avorter clandestinement à cause du poids d'une société trop patriarcale (alors que le droit à l'avortement est parfois remis en question aux Etats-Unis et même en France)... Certains sujets sont d'ailleurs plus difficiles que d'autres, notamment celui des attentats terroristes.

Le cinéma essaie de se saisir de cette problématique du terrorisme en prenant le point de vue des assaillants oue choc subit par les victimes. Peu de films se sont aventurés sur le terrain d'une confrontation idéologique entre assaillants et victimes… C’est le pari de cette confrontation que fait au Bangladesh Saturday Afternoon de Mostafa Sarwar Farooki (dont Doob: No Bed of Roses était déjà sorti en salles françaises en 2017). Il s'agit d'une reconstitution, en fiction, d'un véritable attentat avec prise d'otages ayant eu lieu à Dacca en juillet 2016. Ce film se focalise sur des interprétations d'une même religion partagée entre attaquants et otages, avec en bonus le défi technique d’un unique plan-séquence en temps réel.

Saturday Afternoon débute durant une après-midi de juillet 2016 avec une opération terroriste déjà en cours dans un restaurant où se trouvent plusieurs touristes. Toute l’action du film restera circonscrite dans le presque huis-clos d'une salle de ce restaurant. C'est le moment où les assaillants armés sont surpris par la rapidité d’intervention des forces de police qui arrivent autour du bâtiment, où ils s’y retrouvent retranchés avec les otages. Très vite une ‘sélection’ des otages est faite : les étrangers (italiens, japonais…) sont exécutés tandis que les Bangladais locaux à priori de confession musulmane sont regroupés à part. Le message de présence de bonbonnes de gaz qui pourraient exploser retarde une intervention extérieure, et pendant ce temps-là les terroristes ont le temps de s’organiser, ils vont tuer toute personne qui ne serait pas conforme à leur idéal de religion : les otages devront prouver leur obédience... Parmi les otages plusieurs femmes, des employés, des clients, divers profils dont plusieurs en font des cibles "parfaites". Certaines actions ne sont pas vues directement à l'image mais sont entendues hors-champs, le plan-séquence sans coupure en temps réel provoque une forte impression.

Nusrat Imrose Tisha Mostafa Sarwar FarookiMostafa Sarwar Farooki : « La forme du récit en un seul plan-séquence renforce l’impression de suffocation. De ce véritable évènement on n’a pas eu d’informations complètes sur ce qui s’est passé à l’intérieur, il y a eu différents témoignages de ce qui s’est passé dans les différentes pièces sans que tout ce recoupe. J’ai voulu retranscrire à travers cette forme de fiction ce qui peut fabriquer de la haine. La même religion est invoquée pour tuer des gens par certaines personnes et aussi par d'autres personnes pour sauver des gens lors de cette prise d'otages. C'est un paradoxe où des attaquants et des victimes se disent musulmans mais avec une interprétations différentes de leur religion. »

Nusrat Imrose Tisha, actrice : « On a eu 13 jours de répétition avant le tournage pour comprendre cette suffocation et cette peur intense. On nous a demandé de ne pas se parler entre les différents acteurs, il fallait ressentir à la fois l’étouffement du lieu et l’oppression grandissante entre des gens qui ne se connaissaient pas. »

Mostafa Sarwar Farooki : «Le concept de faire tout le film en un seul et unique plan séquénce sans aucune coupure est arrivé assez vite. On ne savait pas si on y arriverait, il y a eu un gros effort de l'équipe technique pour la mise en place de tout ce qui devait survenir durant le récit. Lors de la deuxième tentative le cadreur opérateur de steadycam en est même tombé malade avec une grosse fièvre. En fait la troisième tentative a été la bonne et est devenue le film. C'est bien une seule prise sans coupure ni trucage de retouche, juste un peu de post-production pour les effets sonores. Le film n'est pas autorisé pour le moment a être diffusé au Bangladesh alors que c’était prévu. On avait montré le film terminé au comité de censure et ça avait été approuvé, on avait même eu avant des échos de différents médias car c'était un projet attendu, une sortie en salles s'annonçait bien. Puis en quelques jours des religieux islamistes se sont léguer contre le film avec des relais sur internet et une pression sur le comité de censure, comité qui a alors demandé une nouvelle vision du film pour ensuite rendre un avis inverse, du coup il n’a pas encore pu être montré  aux spectateurs de notre pays. »

Saturday Afternoon avait été sélectionné dans divers Festival comme Moscou, Londres, Sydney, c'est l'un des 9 films en lice pour le Cyclo d'or.