En 22 ans tout a changé: les effets spéciaux, l'industrie du cinéma qui repose de plus en plus sur les franchises (il devient risquer de s'aventurer hors sentiers battus pour un blockbuster), le marché mondial (la Chine est devenu le 2e pourvoyeur de spectateurs), le marketing (Internet fait le buzz)...
Résultat, Jurassic World a rapporté 511M$ dans le monde en quelques jours. Il bat ainsi le dernier opus d'Harry Potter et s'accapare le titre de champion historique des recettes mondiales en un week-end. Le phénomène est mondial. 40% des recettes proviennent d'Amérique du Nord, 20% de Chine. En Amérique du nord, c'est le meilleur démarrage en recettes courantes, devant le premier Avengers, et même la meilleure recette/copie pour une sortie sur plus de 1000 écrans. En fréquentation, le film s'est offert le meilleur samedi de l'histoire et le meilleur démarrage en juin. En 3 jours et un soir, le film s'est hissé 3e recette de l'année 2015.
Alors, comment expliquer un tel phénomène?
1. Un univers familier et familial
Il n'y a rien d'original dans ce Jurassic World. le scénario est construit sur un canevas on ne peut plus classique depuis l'ère des blockbusters: installation du récit, montée crescendo des tensions, trois histoires en parallèles qui se rejoignent quitte à trouer le scénario de quelques événements pour le rendre plus crédible, final homérique (où l'humain est bien impuissant face aux monstres). Mais avec déjà trois films au compteur (près de 2 milliards de $ de recettes dans le monde), tout le monde connaît le parc jurassique, temporairement fermé depuis 14 ans. L'univers imaginé par l'écrivain Michael Crichton est très loin des romans désormais, mais le succès de la franchise a permit, avec les multiples diffusions sur petit écran, de connaître une vie au delà des années 90. Spielberg avait pris soin d'en faire des films tous publics. Et Jurassic World n'échappe pas à la règle: ici point d'horreur, pas de sexe, juste quelques blagues grivoises... Les parents, anciens fans du premier film, peuvent accompagner leurs progénitures. Et puis quoi de plus sympathique et classique que des dinosaures: de Disney au National Geographic Channel, ces créatures préhistoriques continuent d'être un objet de fascination depuis des générations.
2. Un succès des années 90 devenu culte: références multiples à Spielberg
Jurassic World a la bonne idée de faire référence au premier film, qui avait émerveillé le public il y a 22 ans. Ce lien génétique et cinématographique avec le film permet de multiples clins d'oeil à un public adulte. Les récents James Bond ont aussi multiplié ses auto-citations, avec succès. On retrouve même les "ruines" du premier parc, ses jeeps, un t-shirt vendu sur E-Bay... Si la mise en scène de Colin Trevorrow est moins flamboyante, elle reste maîtrisée. Ici, hormis la séquence de la girosphère, on ne retrouvera pas de séquence mémorable comme celle du mobile-home pendu à pic au dessus d'un précipice, avec cette vitre qui se fissure. Mais le parc Jurassic World, sorte d'utopique Tomorrowland forain (assez satirique quand on regarde de près), est surtout un cadre idéal pour revenir aux fondamentaux de Spielberg: relations tourmentées entre adultes et enfants, gamins plongés dans une aventure périlleuse, héros marginal mais malin, et même un dinosaure qui fait écho aux Dents de la mer...
3. Un Indiana Jones en puissance
Après le succès des Gardiens de la Galaxie, où il savait manier les coups comme l'humour, Chris Pratt est en train de prendre du galon. Dans le film, son look s'apparente davantge à Indiana Jones, jusqu'au premier plan, en contre jour où l'on pourrait croire à l'archéologue. Hasard, il se murmure qu'il est favori pour reprendre le stetson dans une nouvelle saga d'Indiana Jones. L'avantage de Pratt, qui n'a pour l'instant pas l'étoffe d'un immense comédien mais bien celle du héros décalé, c'est sa masculinité. Pas bodybuildé, un peu mal dégrossi même, il a tout du mâle solide qui rassure. Du mâle alpha quoi. Son charme et son auto-dérision séduisent et font mouche quand la plupart des blockbusters offrent une panoplie de super hommes trop sérieux ou traumatisés, si on fait exception de Robert Downey Jr. Sa capacité à jouer avec les réseaux sociaux est un atout dans le monde marketé actuel. A 35 ans, dans un système en mal de chair fraîche, il a les reins assez solides pour devenir un John Wayne des temps modernes, après une dizaine d'années de seconds rôles dans de bons films et quelques navets.
4. Une héroïne à la Joan Wilder
Bryce Dallas Howard hérite d'un rôle ingrat et profondément critiquable: a priori, une femme qui dirige un énorme parc d'attraction, c'est bon pour l'égalité des sexes. Mais pourquoi cette "contro-freak" / working girl / business woman doit-elle être dépassée dès les premiers événements imprévus? Pourquoi a-t-elle tant besoin d'être rassurée par les hommes (son patron, son éleveur de raptors, ...)? Pourquoi son manque d'amour/affection/enfant est pointé du doigts pour en faire une femme a priori antipathique? Heureusement, lorsqu'elle décide de lâcher prise et de s'unir avec son amant d'un soir, elle se transforme en l'une de ces femmes civilisées plongées dans la jungle comme l'aime tant le cinéma hollywoodien. Et si, contrairement à Kathleen Turner dans À la poursuite du diamant vert elle ne se sépare jamais de ses talons hauts même en courant dans la forêt, son rôle se rapproche beaucoup de celui de Joan Wilder dans le film de Zemeckis. Certes, elle finit moins salie et même moins transformée personnellement que la romancière new yorkaise après son séjour en Colombie, mais clairement, le cousinage est flagrant, et plaît toujours. BDH n'a évidemment pas le sex-appeal de Turner, mais ce serait sans aucun doute l'élément à développer par la suite.
5. Deux enfants pour que le jeune public puisse s'identifier
Un ado dont la sève montante l'empêche de regarder autre chose que des filles et un gamin-wikipédia: deux stéréotypes du cinéma hollywoodien. Le premier fait forcément craquer les minettes, le second a forcément des défauts physiques pré-puberté. Peu importe: cela permet de ratisser large et de donner aux jeunes de moins de 15 ans de quoi s'identifier et participer pleinement à l'aventure. La prochaine fois, une jeune fille en bonus fera l'affaire. Il fallait de toute façon deux gamins pour raccrocher un public né après les années 90, qui n'a pas connu le phénomène des deux premiers films réalisés par Spielberg. De la même manière la 3D est utilisée pour attirer ce même public. Evidemment, les références à Spileberg (voir plus haut) ne leur diront rien. De même que la séquence clin d'oeil aux Oiseaux d'Alfred Hitchcock. Mais le pari est réussi puisque 2 spectateurs américains sur 5 avait moins de 25 ans ce week-end. Si les deux jeunes envoyés en pâture dans la zone de confinement sont de purs stéréotypes et ne marquent pas les esprits, ils sont, cependant, les dignes héritiers des Goonies et autres films du genre.
6. A l'opposé des films de super-héros, dont on est gavé
Après des années de domination de Marvel, le public avait faim d'autres divertissements estivaux. L'an dernier, les Transformers, Maléfique, la suite de la Planète des Singes n'ont pas réussi à concurrencer les Gardiens de la Galaxie et Captain America 2. Et en 2013, Iron Man 3 a écrasé Moi moche et méchant et un autre super-héros, Man of Steel. Pire en 2012, trois super-héros avaient fait la loi du box office de l'été: les Avengers, The Dark Knight Rises et The Amazing Spider-Man. Bref depuis Harry Potter, aucun blockbuster n'avait pu s'imposer face aux personnages issus de comics. Jurassic World pourrait être le premier à damer le pion. Le public continue de répondre présent (le deuxième Avengers a quand même bien cartonné) mais il était en demande d'autre chose. On l'a vu depuis le début de l'année avec American Sniper et Fast & Furious 7. Constater aussi qu'un spectacle comme Mad Max ou une comédie d'action comme Kingsman ont trouvé leur public et démontre qu'on peut proposer au public autre chose que de l'animation ou des Marvel/DC Comics et autres littérature pour jeunes adultes (Hunger Games, Divergente...). Jurassic World avait l'avantage d'être une marque déjà connue, et, qui plus est, arrivant après un mois de mai désastreux pour Hollywood avec les semi-échec de Tomorrowland et San Andreas et les flops d'Aloha, Entourage et Hot Pursuit. En débarquant ainsi, les dinos n'ont fait qu'une bouchée de la concurrence et ont rempli les salles: plus que du désir, il y avait famine de grand spectacle bruyant et bon enfant. Après 14 ans d'absence sur les écrans, il y avait urgence à ressortir le T-Rex.
7. A la fin, le T-Rex gagne toujours
Le grand méchant du film est donc une créature hybride, composée à partir d'un assemblage génétique. L'Indominus Rex. Une femelle effrayante et dotée de formidables capacités déroutant tous les experts. Même le nom est fabriqué: il a été inventé pour pouvoir être prononcé par des enfants (justification émise texto dans le film, on n'arrête pas le cynisme). Tout est prévu. Entre les Raptors, domptés, et le T-Rex, sans compter tous ces dinos domestiques qui servent d'attractions ludiques pour les clients, on se demandait ce qu'était devenu notre T-Rex emblématique (en l'occurrence celui du premier opus). On ne l'entre-aperçoit que furtivement dans la première demi-heure, derrière une vitre. Il sera le Godzilla qui terrassera le monstre. Reste que Jurassic World, comme à chaque sortie d'un film de la série, a produit une hausse notable d'articles autour des dinosaures ou signés de paléontologues / experts qui veulent absolument placer ce film de "science-fiction" dans une réalité ou une crédibilité scientifique. Absurde évidemment. Outre le fait qu'ils contribuent au marketing puissant du studio Universal (de la pub, même mauvais, gratuite est toujours bonne à prendre), il est clairement expliqué à chaque épisode que l'ADN retrouvé des dinosaures ne suffit pas à recréer les ancêtres de l'ère Primaire. Il faut mélanger les gènes, avec plaisir, avec d'autres animaux existants. Pas étonnant alors que untel ne criait sans doute pas comme cela ou qu'un autre avait des plumes en réalité. Débat aussi vain qu'inutile. Un T-Rex de cinéma c'est avant tout le monstre ultime, celui de nos peurs "primales", comme King Kong. A-t-on vu un savant crier à l'imposture sur ce grand singe?
8. Une fin qui permet une suite, déjà signée (spoilers)
S'il y a des trous et des erreurs dans le scénario (comment Omar Sy s'échappe de la zone de confinement? comment les 20000 clients sont évacués en moins d'une heure et comment les héros sont rapatriés? pourquoi le Mosasaurus marin semble cinq fois plus grand que l'Indomnus alors qu'ils font sensiblement la même taille? comment une jeep vieille de 20 ans redémarre sans essence?), il y a tous les éléments pour une suite: le Dr Wu s'est enfuit avec ses créations génétiques, l'île est abandonnée aux dinosaures, Owen et Claire sont bons pour une alliance (pas seulement professionnelle), ... bref il y a une brèche dans laquelle les scénaristes sont déjà prêts à s'engouffrer.