The Fall de Jonathan Glazer : un court métrage troublant à découvrir en VOD

Posté par MpM, le 22 juillet 2020


En attendant le prochain long métrage de Jonathan Glazer, qui devrait être une adaptation de La zone d'intérêt de Martin Amis, il faut absolument découvrir son court métrage The Fall actuellement disponible sur les plates-formes traditionnelles de VOD, après avoir été diffusé à la BBC à l'automne dernier, puis en exclusivité sur MUBI au printemps.

Le film, d'une durée totale de moins de 7 minutes, générique compris, est comme un condensé du cinéma envoûtant et puissant du réalisateur. On y voit des individus masqués aux visages lisses, figés et grimaçants, qui pourchassent un homme réfugié en haut d'un arbre. Les cris indistincts des assaillant et le son sec des feuilles de l'arbre qu'on secoue se mêlent à une musique rythmique angoissante. Puis l'homme tombe. Alors, la tension montre d'un cran, et le rythme du film s'accélère jusqu'au carton du titre : The Fall (La Chute).

Pas un mot ne sera échangé par les protagonistes, et l'on ne saura rien des motivations des agresseurs ou de l'identité de la victime. Masqués et silencieux, ils deviennent de pures allégories, incarnations fantomatiques des violences endémiques passées et contemporaines, mais aussi de la dérive totalitaire déshumanisée et de moins en moins rampante que l'on observe partout.

Jonathan Glazer apporte à sa démonstration une maîtrise cinématographique qui parvient encore à nous surprendre. Aura-t-on déjà été aussi glacé par un lent zoom avant accompagné par le sifflement interminable d'une corde qui se dévide ? Chaque plan, chaque mouvement de caméra, jusqu'au choix scrupuleux d'une colorimétrie sombre et malgré tout lumineuse, tout participe au trouble grandissant qui envahit le spectateur embourbé dans un cauchemar dont il est impossible de se réveiller.

Malgré sa brièveté et son apparente simplicité narrative, le film s'avère ainsi extrêmement dense et magistral, résumé fulgurant d'une époque, de ses dérives et de ses questionnements.

A noter que les cinéphiles britanniques peuvent en parallèle découvrir sur le site de la BBC un autre court métrage de Jonathan Glazer, tourné pendant le confinement : Strasbourg 1518, qui s'inspire de "l'épidémie dansante" qui toucha les habitants de Strasbourg à l'été 1518. Une oeuvre frénétique et hallucinée dans laquelle plusieurs danseurs partent dans de longues transes solitaires et cathartiques sur une musique électronique effrénée de Mica Levi, compositrice fétiche de Glazer.

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The Fall de Jonathan Glazer
A découvrir en ligne

BIFFF 2008 this is the end…

Posté par denis, le 10 avril 2008

La fin du BIFFF approchait tandis que les fans patientaient. En effet, en cette veille de clôture le dernier film de Stuart Gordon, Stuck, était projeté en avant première. Connu pour ses délires sexe et gore du début de sa carrière, il a depuis quelques années modifié et affiné son style pour construire des films à portée sociale. Non qu’il se soit transformé en Ken Loach ou Mike Leigh, Gordon a opté pour un style visuel appauvri volontairement enfin de coller au plus près aux déliquescents modes de vie de ses concitoyens américains. Excepté Dagon, adaptation magnifique d’un récit de Lovecraft, Edmond, King of the ants et aujourd’hui Stuck sont des films utilisant les gimmicks des films d’horreur pour mettre en image l’horrible quotidien de l’individu lambda.

Ainsi Stuck est tiré d’un fait divers. Selon l’intéressé "c’est une  histoire vraie qui s’est passée il y a 7 ans , une infirmière  travaillant dans une  nursery a renversé un sans-abri,puis est rentré chez elle avec le blessé accroché à la voiture, puis a fait  l’amour avec son compagnon sans s’inquiéter de l’homme blessé. Contrairement au film, cet homme n’a pas survécu, alors que si l’infirmière l’avait amené à l’hôpital il s’en serait" sorti. A la lecture de ce fait divers Gordon fut atterré par un tel comportement. Je ne comprenais pas comment une femme qui d’habitue s’occupe des gens à pu faire une chose pareille. Rapidement il décida d’en tirer un film, modifiant seulement quelques éléments en imaginant comment cet homme aurait essayé de s’en sortir. Selon lui on doit se prendre en charge dans toutes les situations, surtout dans cette société où plus personne n’aide autrui, nous vivons dans une époque très égoïste donc nous devons survivre par tous les moyens.

A l’arrivée Stuck, malgré un début un peu lent, se met rapidement en place, ou plutôt dans le surplace, et écorche à vif l’égoïsme forcené d’une société qui n’a que faire de savoir si des cadavres s’amoncellent dans le garage du voisin. Comme le dit un des personnages, « ce ne sont pas nos affaires », même quand la vie d’un homme est en jeu. Se laissant aller à deux trois plans assez gores, le pauvre homme dans le pars brise est dans un très mauvais état et jamais Gordon ne fera un film dénué d’hémoglobine, Stuck insiste sur l’aberration de la situation jusqu’à la rendre drôle. 13 Beloved jouait aussi sur ce registre. A croire que plus l’on se penche sur les dérives du monde et plus le rire devient l’ultime bouée de sauvetage de l’individu. Ces aberrations font penser aux dramaturges scandinaves pour leur capacité à fouiller les tréfonds obscurs de l’âme humaine avec en filigrane un humour à froid. Rire du pathétique, sourire pour dédramatiser. Car en général cela se termine souvent mal. Et si Stuck rend justice à l’injustice, il n’en laisse pas moins une impression amère dans la bouche. Après le rebelle Carpenter, Joe Dante la tête brûlée et Romero l’éternel psychologue du vivant zombifié, il faudra dorénavant compter sur Gordon en tant que sociologue du pathétique horrifique.

Enfin, film de clôture censé peindre un imaginaire entre Jodorowsky et Bunuel, The Fall de Tarsem Singh échoue à emporter le spectateur loin des rivages narratifs et des histoires rationnelles malgré son postulat de départ. Dans un hôpital à Los Angeles vers 1940, une petite fille se voit racontée par un cascadeur cloué au lit une histoire de pirates et d’amour. Le film alternera entre ces deux mondes. Fort de son premier film, The Cell plongeait Jennifer Lopez dans l’esprit d’un serial killer, occasion pour le réalisateur de construire nombres de séquences dantesques dans un monde mental cauchemardesque et esthétiquement bluffant, Tarsem récidive dans un registre plus enfantin et s’abandonne dans une image léchée se voulant de véritables odes à l’imaginaire. Bien mal lui en prend, son film ne dépasse jamais le statut de pelloche boursouflée, où, se prenant pour le nouveau maître du conte-mystico-païen, tout est fait pour en mettre plein la vue à coup de paysages sortis de l’Eden et de costumes stylisés à outrance. Certes c’est très beau, mais l’histoire reste très plan-plan, tant dans l’hôpital que dans cette plate histoire d’amour (le monde imaginaire ici n’est pas très imaginatif), et surtout on ressent cette envie de la part du metteur en scène de plagier les grands maîtres psychédéliques sans avoir le discours approprié. Faire un beau film c’est bien, mais faut-il avoir encore quelques chose à dire sans que ce dit film paraisse pour un trip arty prétentieux. A aucun instant une quelconque émotion émerge de ce charabia faussement jodorowskien, et le film continue de dérouler sa logorrhée visuelle en arc-en ciel sans tenir compte de ce manque à ressentir. The Fall, oui, mais pas dans le sens où l’entendait le réalisateur.