Bien sûr, par les temps qui courent, les offres cinématographiques ne manquent pas. A vrai dire, les propositions sont même si nombreuses qu'elles ont fait naître une nouvelle forme d'anxiété, celle de ne pas réussir à profiter de tous les films, mais aussi livres, expositions ou spectacles, disponibles gratuitement en ligne d'ici la fin du confinement. Parmi cette profusion d'oeuvres d'art qui valent évidemment toutes le déplacement (si l'on peut dire), on vous parle aujourd'hui d'un film exceptionnel, incontournable et tout simplement merveilleux, Un rêve solaire de Patrick Bokanowski.
Résultat de la réunion de deux courts métrages (Battements solaires et Un rêve), eux même nés du désir du cinéaste de rompre avec son travail précédent (acteurs portant des masques, images transformées par l'usage de verre soufflé ou de miroirs, tels qu'on peut le voir dans ses courts métrages La femme qui se poudre, Déjeuner du matin ou La plage, et dans son premier long métrage L'Ange), le film est un voyage nécessairement onirique dans différents espaces, temporalités et séquences qui sont moins assemblés dans une idée de narration que dans celle d'une logique inhérente aux images elles-mêmes.
Au départ, il y a une falaise sur laquelle s'écrasent les vagues, avec le soleil au zénith. A la fin, il y a des poussières d'étoiles. Entre les deux, des silhouettes dansent, des ombres mouvantes se projettent sur un mur, la mer scintille, des acrobates travaillent, des acteurs jouent, des mécanismes sont en action, un enfant rêve... Il est impossible de décrire cette succession de tableaux, de mouvements, de couleurs, qui défilent sous les yeux du spectateur, au son de la musique tantôt légère et lancinante, tantôt rythmique et entêtante de Michèle Bokanowski.
Il faut véritablement se laisser bercer, surprendre, interpeller, et souvent émerveiller par la poésie visuelle née de ces images savamment composées, construites par couches successives, et qui mêlent prise de vue continue (y compris des films super 8 issues des propres archives de Bokanowski), ombres projetées, encres liquides, feux d'artifice, pâte à modeler ou encore dessins sur pellicule. Ce qui se joue à l'écran tient à la fois d'une évocation hypnotique de l'incessant ballet entre l'ombre et la lumière, et d'une recherche plus impalpable sur le médium cinéma lui-même, avec des expérimentations formelles qui interrogent la teneur même de l'image (créée, déformée, recomposée...) et un jeu de mise en abyme qui inclut à plusieurs reprises le projecteur et la pellicule dans le plan.
Chance inestimable, la société d'édition Re:Voir proposera gratuitement le film en VOD sur son site le 7 avril prochain ! En effet, depuis le début du confinement, Re:Voir offre chaque jour une pépite issue de son formidable catalogue de films expérimentaux, en utilisant le code STAYHOME. Après des oeuvres de Len Lye, Vivian Ostrovsky, Virgil Widrich ou encore Maurice Lemaître, on pourra ainsi découvrir prochainement Paysages de Jacques Perconte, L'enfant secret de Philippe Garrel, Once every day de Richard Foreman, Sleepless night stories de Jonas Mekas ou encore Octobre à Madrid de Marcel Hanoun. Et si c'était justement l'occasion d'aller vers un cinéma singulier et rare qui nous emmène loin des sentiers cinéphiles (re)battus, exactement à l'image de la période ?