En Pologne, le film « Kler » bat des records au box office et se transforme en polémique politique

Posté par vincy, le 5 octobre 2018

935000 spectateurs le week-end dernier pour Kler (Clergé en français) au box office polonais. Le film de sorti le 28 septembre réalisé par Wojciech Smarzowski a battu tous les records locaux depuis 30 ans, surclassant Cinquante nuances de Grey, Star Wars et n'importe quel film polonais. Cold War, primé à Cannes et représentant du pays pour les Oscars, n'a ainsi attiré "que" 755000 spectateurs au cours de sa carrière. Un phénomène d'autant plus marquant que ce drame aborde un sujet brûlant : les prêtres et la pédophilie, dans un pays encore très catholique.

Il reste encore de la marge pour battre le record de recettes historique dans le pays (Avatar, seul film à avoir dépassé les 20M$ aux box office). Mais ce devrait être le plus gros succès polonais dans le pays, record détenu par Lejdis, comédie sortie en 2008.

Le film dénonce pourtant les méthodes et les affaires d'une église omniprésente dans le champ politique polonais et à laquelle le peuple reste très attaché 40% des Polonais croient encore aux lois de l'Eglise et un peu plus vont régulièrement à la messe). Dans les débats, l'Eglise encaisse et compte sur ses relais.

Le chef du parti ultraconservateur et nationaliste (au pouvoir), Jaroslaw Kaczynski, a même parlé d'un "coup porté contre la Pologne", le chef du bureau de sécurité nationale Pawel Soloch hurle au "film de propagande odieux". Le film attise les passions dans un pays où la religion catholique est encore enseignée à l'école et où l'Eglise intervient intensément dans la politique (l'avortement est toujours interdit, le blasphème est un délit pénal).

"Tous ceux qui portent la Patrie dans leur coeur, qui aiment Dieu et la Pologne, doivent dire clairement aujourd'hui "non" à la destruction de nos valeurs nationales", a affirmé une association de journalistes catholiques, appelant au retrait d'un film profondément "anticlérical, anticatholique et antipolonais" qui "fausse" l'image de l'Eglise, rapporte l'AFP.

La vérité sur une Eglise intouchable

En s'attaquant aux crimes pédophiles des prêtres, Kler tombe à pic. Des scandales de ce genre, il y en a chaque semaine qui sont révélés du Chili aux Etats-Unis, d'Irlande à l'Allemagne, du Canada à la France. Il y a déjà eu des films sur le sujet (Sleepers, Spotlight) et le prochain Ozon, Grâce à Dieu, sera sur ce thème.

En montrant les coulisses de l'institution cléricale, le réalisateur Wojciech Smarzowski, qui a du tourner une partie de son film en République tchèque, met en lumière ce que pensent les Polonais sur la sacro-sainte Eglise. Nombreux sont ceux qui avouent que le pays a besoin de voir son Eglise en face, de comprendre cette vérité.

Le film raconte l'histoire de trois prêtres. L'un d'eux est accusé (à tort) d'actes pédophiles tandis qu'un autre utilise tout son pouvoir pour masquer ses propres "écarts". Victimes ou témoins de tels crimes dès leur enfance, c'est en fait un combat pour que le mensonge gagne sur la vérité. C'est aussi un film qui expose la corruption, l'hypocrisie, l'abus de bien social, l'alcoolisme et l'homosexualité des élites religieuses. Le cinéaste a fait relire son scénario à des membres du clergé, qui ont authentifié chacune des déviances racontées.

"Aucun réalisateur n'a jamais osé présenter une vision aussi critique de l'Eglise catholique en Pologne. Kler s'attaque ouvertement à l'Eglise et dénonce tous ses péchés cardinaux allant de cas de pédophilie, au versement d'argent par les fidèles pour accéder aux sacrements, aux appels d'offres truqués et à la démoralisation généralisée de la hiérarchie", explique Janusz Wroblewski, critique de cinéma.

Controversé, dérangeant, le film a remporté six prix au Polish Film festival dont celui du public.