Controversé, enfant terrible, diabolique, obsédé par le sexe, l'église et la musique : Ken Russell, cinéaste culte, est décédé dimanche 27 novembre à l'âge de 84 ans.
Il marque le 7e art avec son mix détonnant de polémique, de sexualité, de rock dans des univers baroques qui ont longtemps contribué à une image du cinéma britannique "moderne".
Parmi les films qui ont marqué sa carrière, on retiendra évidemment Women in Love, d'après le roman de D.H. Lawrence, en 1969. Oliver Reed, Alan Bates et Glenda Jackson sont au coeur d'une guerre des sexes dans l'élite britannique des années 20. Russell est nommé à l'Oscar du meilleur réalisateur tandis que Jackson obtient celui de la meilleure actrice. Ce sera la première fois qu'une comédienne emporte la statuette alors qu'elle y a une scène de nu. Une autre scène de lutte nue entre les deux hommes avait fait scandale. Russell avait flairé l'air du temps : la révolution sexuelle, l'apolitisme, la liberté artistique...
Avant ce film, il avait surtout travaillé pour la télévision, notamment en réalisant de nombreux documentaires (Antonio Gaudi, Isadora Duncan, The Debussy Film...). Son deuxième film, en 1967, était un thriller, Un cerveau d'un milliard de dollars, avec Michael Caine et Karl Maiden. Ce fut surtout le dernier film de Françoise Dorléac. Russell, contraint contractuellement, ne voulait pas tourner ce troisième épisode de la série des Harry Palmer. Sa première réalisation date de 1964 : French Dressing, une comédie librement inspirée de Et Dieu créa la femme, de Roger Vadim.
Sulfureux, s'épanchant sur toutes formes de sexualité, désinhibé, dingue, Russell, passé par la marine marchande, le ballet, la photographie et le cinéma muet, était surtout un amoureux de la musique. La symphonie pathétique (1970), avec Richard Chamberlain et Glenda Jackson, traite de l'homosexualité de Tchaïkovski. Les diables (1971), d'après un roman d'Aldous Huxley, avec Vanessa Redgrave et Oliver Reed, retrace l'histoire de nonnes françaises réprimées sexuellement. La censure américaine coupera de nombreuses scènes de sexualités entre les soeurs. Puis il adapte la comédie musicale The Boy Friend en 1971, avec Twiggy. Toujours passionné par les artistes, il s'attaque en 1972 au biopic du sculpteur Henri Gaudier-Brzeska dans Savage Messiah. Il enchaine avec un autre biopic, Mahler, en 1974. Le film reçoit le Grand prix de la technique au Festival de Cannes. Il reviendra sur la Croisette avec un film à segments, Un sketch, en 1987, où le générique le fait coexister avec Robert Altman, Jean-Luc Godard et Bruce Beresford.
Ken Russell fera son grand film en 1975. Oliver Reed, Jack Nicholson, Elton John, Tina Turner, Eric Clapton participent à l'aventure de Tommy, d'après le rock opéra de The Who. Psychédélique, déjanté, hallucinant, le film est un énorme succès.
Il continuera à mélanger cinéma et musique - Lisztomania en 1975, Valentino en 1977, avec Rudolf Nureyev et Leslie Caron - mais il ne retrouvera jamais le succès de Tommy. Il essaya de réaliser une version d'Evita et un film sur Sarah Bernhardt, les deux avec Barbra Streisand, en vain. Il se tourna aussi vers la réalisation de clip vidéo comme ceux de Elton John (Nikita), Bryan Adams (Diana), Cliff Richard (She's so Beautiful).
Il s'essaie à l'horreur (Au-delà du réel, Le repaire du ver blanc, Gothic), au thriller passionnel (Les jours et les nuits de China Blue, Whore - son dernier film en 1991), ... Il revient à ses premières amours - sexe, biopic, décors flamboyants - avec Salome's Last dance, d'après Oscar Wilde en 1988, où il retrouve Glenda Jackson. L'esthétique est toujours magnifiée. Mais les budgets modestes, les scénarios inaboutis, une direction artistique parfois à la limite du kitsch et le changement d'époque le marginalisent.
Il revient alors au petit écran (il réalise un feuilleton autour de Lady Chatterley).
Depuis 20 ans il était devenu comédien de manière plus régulière : on le verra dans Invasion of the Not Quite Dead de Tony Lane. Il était à l'affiche cette année de Mr. Nice. Il fut révérend dans un épisode de la série Miss Marple. Fan de Kubrick, il joua meme dans le film Appelez-moi Kubrick, avec John Malkovich. Dans La Maison Russie, avec Sean Connery et Michelle Pfeiffer, il fit une apparition notable en agent britannique très ambivalent et gay.
Ces derniers mois, il écrivait avec Faye Dunaway le scénario du premier film de la comédienne. Master Class sera l'adaptation de la pièce de théâtre mettant en vedette le personnage de Maria Callas.
Cinéaste de l'outrance, de l'iconographie religieuse, des couleurs primaires, ce "Fellini du nord" tel qu'on le surnommait, aimait déranger autant que divertir.
Il avait rédigé son autobiographie en 1989, A British Picture: An Autobiography. Ses photos furent souvent exposées. Il continuait d'écrire dans The Times, dans la rubrique cinéma.